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Le « sleeveface » d’un album de Mireille Mathieu porte atteinte à sa dignité

Si l’atteinte au droit à l’image fait l’objet de nombreuses décisions en matière d’articles de presse ou de reportages audiovisuels, rares sont les décisions rendues concernant des photographies ou peintures relevant de la liberté de création artistique. Or, dans un arrêt du 3 octobre 2019, la Cour d’appel de Paris reconnaît l’atteinte au droit à l’image de la célèbre chanteuse Mireille Mathieu par un photographe, ce dernier ayant réalisé un montage aventureux avec la pochette de l’album de 1971 intitulé « Bonjour Mireille »,

La technique du « sleeveface » consiste à juxtaposer la pochette d’un album vinyle représentant le visage ici d’une artiste avec le corps d’un modèle dans une mise en scène souvent originale. Dans le cadre de sa pratique artistique, un photographe avait réalisé un « sleeveface » représentant une femme assise sur une table et tenant une bouteille de vin, substituant l’album « Bonjour Mireille » à son visage. Un homme agenouillé devant elle, sa tête placée entre ses jambes dans une position sexuelle explicite, permettait de parachever le détournement opéré par le montage.

La photographie litigieuse était vendue sur le site Internet du photographe et un exemplaire avait été acquis par un restaurant qui l’avait affiché dans ses locaux. Et c’est à l’occasion d’un repas dans ce restaurant que la chanteuse a découvert l’œuvre. Elle décide alors d’assigner le photographe en référé devant le tribunal de grande instance de Paris pour atteinte à son droit à l’image.

Fondée sur l’article 9 du Code civil et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’atteinte au droit à l’image a fait l’objet de multiples décisions de jurisprudentielle permettant l’élaboration d’un cadre juridique précis. La condition préalable à toute atteinte consiste en l’identification de la personne photographiée[1]. Afin de se prémunir, les médias utilisent souvent la technique du floutage. Toutefois, et malgré le recours à cette technique, d’autres éléments, tels que des objets personnels, peuvent permettre à des spectateurs d’identifier la personne[2]. Or, dès lors que la personne est identifiable, son consentement pour l’utilisation de son image doit être obtenu par le photographe.

La conciliation nécessaire du droit à l’image avec la liberté d’expression
La jurisprudence a néanmoins limité la protection au titre du droit à l’image dès lors qu’un tel droit doit se concilier avec la liberté d’expression. Dans le présent arrêt, la Cour d’appel de Paris rappelle opportunément que l’atteinte peut « céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression. »

Une jurisprudence plus ancienne de la Cour d’appel de Paris avait retenu, quant à elle, que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensables à une société démocratique » [3]. Ainsi, la liberté de création prend souvent le pas sur le droit à l’image « sauf dans le cas d’une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité »[4].

Dans la présente affaire, le tribunal de grande instance avait rejeté les demandes de Mireille Mathieu après avoir relevé le caractère artificiel et fantaisiste de la photographie litigieuse. En outre, aucun préjudice n’avait pu être démontré en raison de la faible commercialisation de ladite photographie.

Après avoir relevé que l’exploitation de l’image dans le « sleeveface » avait été faite sans le consentement de la chanteuse, la Cour d’appel infirme la décision après avoir mis en balance le droit à l’image et la liberté d’expression, deux droits fondamentaux d’égale valeur juridique. 

Une analyse critiquable du caractère artistique du montage réalisé
La Cour note tout d’abord que l’utilisation des traits de la chanteuse « s’inscrit dans un cadre dévalorisant », la mise en scène de la photographie représentant « une scène sexuelle particulièrement crue et explicite, dans laquelle le plaisir sexuel se combine avec les plaisirs de l’alcool. » Or, selon l’analyse de la Cour, cette mise en scène est dénuée d’« intention purement artistique ». En effet, selon les magistrats le montage s’inscrit « davantage dans une volonté de faire rire » en jouant sur le contraste entre le montage et l’image médiatique, la chanteuse ayant souhaité durant « toute sa vie et sa carrière (…) privilégier la discrétion et l’attachement aux valeurs morales traditionnelles ». L’absence d’intention artistique est renforcée, toujours selon la Cour, par le fait que parmi tous les montages réalisés par le photographe, celui détournant l’album « Bonjour Mirelle » était le seul présentant une mise en scène au caractère sexuel.

Ainsi, « l’utilisation dans un sens volontairement dévalorisant de l'image » de Madame Mireille Mathieu justifiait la procédure en référé afin de faire cesser l’atteinte à ses droits. Toutefois, la photographie ayant entre temps été supprimée du site Internet du photographe et retirée du restaurant la Cour d’appel relève que le trouble illicite a disparu et qu’il n’y a plus lieu de statuer sur une demande de suppression de la photographie sur le site internet du photographe. En revanche, la Cour prononce l’allocation d’une provision indemnitaire de trois mille euros au titre du préjudice moral subi par Madame Mireille Mathieu au titre du détournement de son image à des fins opposées à l’image promue par elle.

En retenant qu’une photographie détournant les traits d’une personnalité dans une scène à connotation sexuelle ne peut être animée par quelconque volonté artistique, la Cour rend une décision sévère en s’arrogeant l’appréciation du caractère artistique de la création. Pour rappel, la jurisprudence refuse de manière constante d’interdire la protection au titre du droit d’auteur pour des œuvres pornographiques. En effet, le genre, le mérite, la destination sont indifférents à la qualification d’œuvre de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle.

Un article écrit par Simon Rolin

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[1] Cass. civ. 1re, 21 mars 2006, no 05-16.817 ; Cass. civ. 1re, 5 avr. 2012, no 11-15.328.

[2] Cass. civ. 1re, 29 mars 2017, no 15-28.813.

[3] CA, Paris, ch. 11, sect. A, 5 nov. 2008, RG no 07/10198.

[4] Ibid.