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« Atteinte au droit d’auteur ou au droit à l’image : l’affaire du clip de campagne d’Éric Zemmour »

Divulgué le 30 novembre 2021 sur la plateforme Youtube, le clip vidéo annonçant la candidature d’Éric Zemmour a suscité de nombreuses réactions dans les milieux artistiques en raison de la reprise sans autorisation de nombreuses séquences vidéo, d’images et de musiques. Immédiatement, des sociétés de production audiovisuelle comme Gaumont, titulaire des droits du film Jeanne d’Arc du réalisateur Luc Besson, ou des chaînes de télévision ont annoncé envisager des actions en justice aux fins de faire respecter leurs droits.

La distinction entre atteinte au droit à l’image et au droit d’auteur
En effet, selon Le Monde, 39 % du temps du clip de campagne du désormais candidat est occupé par des images empruntées et pour certaines détournées de leur sens initial[1]. Une première procédure opposant Jacques Attali à Éric Zemmour et les Amis d’Éric Zemmour a eu lieu le 8 décembre 2021 sur le fondement du droit à l’image. L’intellectuel s’étant désisté de l’instance, aucune décision n’a été rendue à ce titre. Mais une nouvelle procédure, pour contrefaçon de droits d’auteur, oppose cette fois-ci Gaumont à Éric Zemmour et son parti, Reconquête !. Cette « affaire Zemmour » est l’occasion de rappeler la distinction entre atteinte au droit à l’image et au droit d’auteur.

Si le droit d’auteur est régi par le Code de la propriété intellectuelle, le droit à l’image est fondé sur l’article 9 du Code civil et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatifs au respect de la vie privée. L’objet de la protection et la personne protégée sont donc différents. Le droit d’auteur protège un auteur ou son ayant droit de l’utilisation de sa création, également appelé œuvre de l’esprit, par des tiers. Le droit à l’image protège quant à lui toute personne contre l’utilisation non autorisée de son image par des tiers. Ainsi, la diffusion d’une photographie, d’une vidéo ou d’un portrait peint impose en principe d’obtenir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre et des personnes représentées. En effet, tant le droit d’auteur que le droit à l’image peuvent faire l’objet d’une cession contractualisée. À défaut, une atteinte est susceptible d’être caractérisée et les préjudices en résultant réparés.

Le principe de l’autorisation de l’auteur ou du titulaire
Le Code de la propriété intellectuelle instaure au profit de l’auteur d’une œuvre, un droit de propriété incorporelle du seul fait de sa création. L’auteur est alors titulaire de droits dits patrimoniaux, à savoir les droits de reproduction et de représentation, pouvant faire l’objet de cession, et du droit moral, notamment le droit au respect de son œuvre et de son nom, quant à lui inaliénable. Les dispositions du Code de la propriété intellectuelle imposent toutefois un formalisme strict en matière de cession des droits patrimoniaux. En effet, la cession de ces droits doit être réalisée par écrit[2], même lorsqu’elle est gratuite, et doit délimiter son domaine c’est-à-dire son étendue et sa destination, sa durée, son étendue géographique[3]. À défaut de contrat écrit, la diffusion d’une musique, d’une image ou d’une vidéo sur une plateforme en ligne est susceptible de constituer une contrefaçon. L’auteur ou le titulaire des droits après une cession, à l’instar de Gaumont, peut agir pour voir réparer les préjudices subis.

Néanmoins, la loi prévoit des exceptions à cette obligation de cession par exemple lorsque l’œuvre est diffusée dans un cercle de famille ou dans un but d’information ou de pédagogie. C’est en substance, ce que semblent soutenir Éric Zemmour et son parti en invoquant une des exceptions prévues par l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle : l’exception dite de courte citation[4]. Afin d’échapper à une condamnation en contrefaçon, la personne ayant diffusé l’œuvre doit rapporter la preuve que cette exploitation poursuit des fins didactiques, c’est-à-dire être incorporée à d’autres développements qui ont un but critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information. Par ailleurs, cette citation doit être courte, par rapport à l’œuvre citée et par rapport à l’œuvre citante. Enfin, cette citation ne doit pas porter atteinte au droit moral de l’auteur.

En outre, il est de jurisprudence constante que cette exception de courte citation ne s’applique pas aux œuvres d’art visuel. Dans le cas du clip de campagne d’Éric Zemmour, il semble difficile de rapporter la preuve de fins didactiques. Mais surtout, le droit moral des auteurs, inaliénable par nature, apparaît être violé au regard de l’absence de mention des auteurs des œuvres citées et, éventuellement, au regard du travestissement de l’œuvre par le message politique porté par le candidat à la présidentielle.

L’atteinte au droit à l’image, un régime spécifique
Contrairement au droit d’auteur, le droit à l’image est issu d’une construction jurisprudentielle désormais bien établie. Pour qu’il y ait atteinte au droit à l’image, il faut nécessairement que la personne dont l’image est diffusée soit identifiable par des tiers[5]. Si les médias utilisent souvent la technique du floutage, cela peut ne pas suffire dès lors que des objets personnels de cette personne permettent aux spectateurs de l’identifier[6]. En revanche, le droit à l’image étant un droit attaché à la personne, il s’éteint au décès de celle-ci comme a pu le rappeler la Cour de cassation le 31 janvier 2018 dans une affaire concernant Henri Salvador[7]. De son vivant, la personne peut toutefois céder la diffusion de son image éventuellement contre une rémunération.

Récemment, la Cour suprême a pu rappeler les conditions de la cession du droit à l’image à l’occasion d’un litige opposant une candidate d’une émission de téléréalité à une chaîne de télévision. À ce titre, la cession doit préciser « de façon suffisamment claire les limites de l’autorisation donnée quant à sa durée, son domaine géographique, la nature des supports et l’exclusion de certains contexte » [8]. Ainsi, si la diffusion de cette image n’a pas fait l’objet d’une autorisation ou dépasse ces limites, une action en responsabilité délictuelle peut être envisagée.

Toutefois, comme en matière de droit d’auteur, le droit à l’image cède devant certaines exceptions consacrées par la jurisprudence, notamment au titre de la liberté d’expression. L’atteinte à la vie privée, et donc au droit à l’image, est en effet justifiée par l’exercice de la liberté d’expression de la tierce personne dans le domaine de l’information, lorsqu’elle est nécessaire à la compréhension d’un événement public, d’un fait d’actualité ou d’un débat d’intérêt général avec lequel la personne concernée est en lien direct[9]. La liberté de création artistique peut également justifier cette atteinte sous réserve qu’elle soit proportionnée. Il semble toutefois difficile de soutenir que l’utilisation de l’image des personnes dans le cadre du clip de campagne du candidat relève de l’une de ces deux exceptions. Néanmoins, dans cette hypothèse, l’atteinte à la dignité de la personne pourrait être opposée par les demandeurs.

Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement des artistes ou ayants-droit dans la défense et dans l’exploitation de leurs droits de la personnalité (droit à l’image, droit à la vie privée, etc.).

[1] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/12/03/le-clip-de-campagne-d-eric-zemmour-decortique-114-sequences-empruntees-et-quelques-contresens_6104627_4355770.html.

[2] Code de la propriété intellectuelle, article L. 131-2, alinéa 2 : « Les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit. »

[3] Code de la propriété intellectuelle, article L. 131-3 : « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. »

[4] Code de la propriété intellectuelle, article L. 122-5, 3°, a) : « a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ».

[5] Cass. civ. 1re, 21 mars 2006, no 05-16.817 ; Cass. civ. 1re, 5 avr. 2012, no 11-15.328.

[6] Cass. civ. 1re, 29 mars 2017, no 15-28.813.

[7] Cass. civ. 1re, 31 janv. 2018, no 16-23.591.

[8] Cass. civ. 1re, 20 oct. 2021, no 20-16.343.

[9] Voir not. Cass. civ. 2e, 30 juin 2004, no 02-19.599, Bull. civ. II, n° 340.