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Publicités pour des chocolats, indigestion d’un photographe les estimant contrefaisantes

Une célèbre société de chocolats, considérant « la chocolaterie comme un art et une manière de mettre le chocolat dans ses plus belles dispositions », a été condamnée par le Tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon le 7 septembre 2021[1]. Deux visuels d’une campagne publicitaire d’octobre 2019 reprenaient sans autorisation des photographies de nature morte de produits de beauté réalisées par un photographe reconnu dans le milieu et publiées en 2013 dans un magazine.

Connu pour réaliser au profit de clients prestigieux du domaine du luxe et des cosmétiques des photographies publicitaires, un photographe français avait réalisé en 2013 une série de huit visuels mettant en scène des produits cosmétiques pour un magazine. Au sein de cette série, le photographe avait réalisé une prise de vue, représentant, « vu du dessus, des boites de poudre compacte de marque Chanel resserrées et fermées sous la forme d’un carré, dans les couvercles desquelles a été découpé, au centre du visuel, un triangle à cheval sur plusieurs boites laissant apparaître leur contenu ». Une seconde prise de vue représentait quant à elle, « vu du dessus, des flacons d’eau de parfum rectangulaires de marques Gucci Première resserrés et fermés, sous la forme d’un rectangle, au centre duquel a été découpé un cercle entourant un flacon central non découpé ».

À la fin de l’année 2019, le créateur découvrait sur le site Internet de la célèbre chocolaterie deux visuels constituant selon lui la reprise servile de deux de ses photographies. Le premier consistait en un assemblage de trois boîtes formant un rectangle, dont les couvercles avaient été découpés afin de former un grand triangle. Le second visuel était, quant à lui, composé de chocolats rectangulaires alignés et formant ensemble un rectangle, dont certains avaient été découpés afin de « faire apparaître un cercle qui entoure un produit entier disposé au centre de ce cercle ». Après de vaines tentatives de résolution amiable du litige, le photographe assignait le chocolatier en contrefaçon de droits d’auteur afin de faire cesser l’exploitation des visuels litigieux et d’obtenir réparation de ses préjudices qu’il estimait à 215.000 euros. Après avoir caractérisé l’originalité des deux visuels réalisés en 2013, le Tribunal judiciaire de Paris constate leur reproduction litigieuse par la société défenderesse, et la condamne à verser la somme de 25.000 euros en réparation des différents préjudices subis. 

L’ « œuvre », une notion autonome du droit de l’Union européenne
Si l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle instaure, au profit de l’auteur d’une œuvre, un droit de propriété incorporelle du seul de fait de sa création, il convient à ce dernier de caractériser son originalité lorsque le bénéfice de cette protection est contesté en défense. Dans la présente espèce, la société défenderesse soutenait que le photographe n’avait fait l’objet d’aucun effort créatif dans la réalisation de ses deux visuels. En effet, selon elle, il se serait borné « à aligner de manière purement géométrique des poudriers et des flacons » et aurait été contraint dans ses choix de cadrage, de mise en scène et d’angle de prise de vue par des paramètres techniques. Mais surtout, ses deux visuels appartiendraient au fonds commun de la création relevant du genre publicitaire, notamment dans le domaine de la parfumerie et des cosmétiques, « consistant à présenter le produit en coupe pour voir l’intérieur ou évoquer son contenu ».

Dans un premier temps, le Tribunal judiciaire de Paris se place délibérément sous l’égide de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, les règles du droit d’auteur prévues au sein du Code de la propriété intellectuelle français ne relèvent pour partie que de la transposition de directives de l’Union européenne et notamment de la directive no 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur. Et, selon le Tribunal, la définition d’ « œuvre » au sens du droit d’auteur constitue, à cet égard, une notion autonome du droit de l’Union européenne, qui doit être interprétée et appliquée de façon uniforme par les différentes juridictions des pays membres de l’Union européenne. Au visa de la décision dite, Cofemel du 12 décembre 2019[2], les magistrats du Tribunal judiciaire de Paris, rappellent donc qu’au sens du droit de l’Union européenne, la notion d’« œuvre » suppose la réunion de deux éléments cumulatifs. D’une part, l’existence d’un objet original, qui est une création intellectuelle propre à son auteur, identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité et, d’autre part, que cette œuvre reflète la personnalité de son auteur en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier, l’effet esthétique étant indifférent pour caractériser l’originalité. Les magistrats français énoncent en outre que l’accès à la protection « n’est pas conditionné(e) par la preuve d’un effort créatif ».

Des visuels révélant l’empreinte de la personnalité du photographe et n’appartenant pas au fonds commun des photographies de produits cosmétiques
Le photographe décrivait, au soutien de ses deux réalisations, ses choix sur la mise en scène, l’éclairage, le cadrage et l’angle de prise de vue, révélant l’empreinte de sa personnalité. Si les magistrats admettent que le cadrage et l’éclairage relèvent d’un savoir-faire technique, tel n’est pas le cas du découpage et de l’agencement des produits cosmétiques photographiés. La mise en scène de ces produits réalisée par le photographe ne constitue nullement « une simple technique marketing » ou « une présentation la plus réaliste possible des produits » mais des choix personnels révélant, en effet, l’empreinte de sa personnalité.

Pour combattre l’originalité des deux visuels, la société défenderesse soutenait que ceux-ci appartenaient au fonds commun de la création. Si la notion d’antériorité est inopérante en matière de droit d’auteur, le défendeur à une action en contrefaçon peut toujours tenter de démontrer que les créations dont la protection est revendiquée appartiennent au fonds commun de la création, en rapportant la preuve d’autres créations ayant des éléments caractéristiques identiques, rendant ainsi ces éléments banals. En l’espèce, la société de chocolaterie ne parvient pas à rapporter cette preuve, la plupart des autres créations soumises à la sagacité des magistrats étant postérieures à la publication de la série du photographe au sein du magazine, non datées ou encore non pertinentes au regard des éléments originaux revendiqués. Les deux visuels réalisés en 2013 étaient donc originaux.

Une reproduction servile des visuels entraînant un manque à gagner pour le photographe
Rejetant les arguments de la société défenderesse sur ce point, les magistrats estiment que les deux visuels constituent des reproductions non autorisées. La société de chocolaterie affirmait pourtant qu’elle exploitait depuis plusieurs années des visuels géométriques afin de mettre en valeur ses créations et que l’usage de fenêtres transparentes dans les emballages était courant dans ce domaine. De tels arguments ne pouvaient venir au soutien du premier visuel présent sur son site Internet, puisque trois boites avaient été réunies pour former un rectangle et une découpe des couvercles avait été réalisée afin de dessiner un triangle dépourvu de fenêtre. Le second visuel consistant quant à lui à la réunion de chocolats dépourvus d’emballage.

La reproduction et la représentation des deux visuels étant fautives, le photographe demandait, une condamnation au titre de l’atteinte à ses droits patrimoniaux et de son droit moral sur le fondement de l’article L. 331-3 du Code de la propriété intellectuelle. Si le Tribunal fait droit à la réparation au titre du manque à gagner en se fondant sur des factures établies par le photographe en 2019 et 2020 pour des prestations similaires et au titre de l’atteinte à son droit à la paternité, il refuse toute réparation au titre du bénéfice tiré par la défenderesse, à défaut d’élément permettant d’établir ce préjudice. En effet, selon les magistrats, peut être fins connaisseurs en la matière, les bénéfices réalisés par la célèbre chocolaterie étaient « essentiellement liés à la qualité de ses produits et à la renommée de ses créations, et non aux visuels utilisés ponctuellement ».

Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat Collaborateur.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste très régulièrement des artistes dans la protection de leurs droits, notamment de leurs droits d’auteur, afin d’assurer la protection de leurs créations.

[1] TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 7 sept. 2021.

[2] CJUE, aff. C-683/17, Cofemel – Socedade de Vestuario SA, c/ G-Star Raw CV.

[3] Note renvoi article sur Cofemel.