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Temps de chien pour les morning routine des influenceurs

Article publié le 10 juillet 2023

Une influenceuse possédant un blog avait instauré comme routine quotidienne de se prendre en selfie et de publier le cliché en story sur Instagram afin de mettre en avant ses tenues à ses 30.000 followers. Certains de ces selfies la présentaient avec son chien dans un ascenseur. A l’autonome 2019, elle découvrait la campagne publicitaire automne-hiver 2019 de la marque de prêt à porter Maje intitulée « Maje, my dog and I », marque avec qui elle avait pourtant déjà collaboré.

Estimant que cette campagne constituait une reprise des visuels publiés sur son blog, elle assigna la société en contrefaçon de droit d’auteur, concurrence déloyale et agissement parasitaire afin de tenter d’obtenir, au total, 170.000 euros de dommages et intérêts. Le Tribunal judiciaire de Paris n’accueillit que partiellement ses demandes en condamnant la marque de vêtements à verser la somme de 5.000 euros au titre des actes de parasitisme. Après un appel de la société d’habillement, les magistrats furent invités à apprécier de nouveau l’intégralité des demandes de l’influenceuse[1].

Le refus de la protection au titre du droit d’auteur des selfies postés en story Instagram
A titre principal, l’influenceuse demandait la condamnation sur le fondement de la contrefaçon au titre du droit d’auteur. Il lui fallait donc identifier les photographies ou les éléments sur lesquels elle demandait la protection, puis caractériser leur originalité, conditions nécessaires à l’accès à la protection au titre du droit d’auteur. Identifier une photographique et la date de sa diffusion peut s’avérer délicat lorsqu’elle est publiée sur une story Instagram visible uniquement pendant 24 heures par les abonnés du compte concerné. La société de prêt à porter se saisissait de cette difficulté, affirmant que l’influenceuse n’identifiait pas le cliché sur lequel elle revendiquait la protection. Mais les magistrats n’y firent pas droit, l’Instagrameuse produisant des témoignages de certains de ses abonnés attestant avoir vu la photographie.
Une fois le cliché identifié, l’influenceuse devait ensuite démontrer l’existence de choix dans sa réalisation démontrant un effort créatif et un parti-pris esthétique portant l’empreinte de sa personnalité. Malheureusement, poursuivant la restriction de l’accès à la protection pour les photographies par la jurisprudence, les magistrats estimèrent que la photographe échouait dans cette démonstration. Les choix mis en avant se démarquaient peu, il faut le reconnaître, de n’importe quel selfie : décor de cage d’ascenseur métallisé, technique du selfie dans le miroir de l’ascenseur, présence d’un chien, posture avec le téléphone d’une main, la laisse du chien dans l’autre et le regard baissé vers le téléphone, format vertical pour une photographie en pied. Il s’agit là de « choix déjà retenus par des influenceurs avant elle, qui sont par ailleurs dictés par la technique du “selfie” ou la mise en valeur de la tenue qu’ils portent ».

L’absence de confusion dans l’esprit du consommateur
À défaut de protection par le droit d’auteur, la photographe affirmait que l’utilisation de visuels reprenant sa morning routine avec son chien créait un risque de confusion entre les produits dans l’esprit du public et, conséquemment, constituait des actes de concurrence déloyale. La concurrence déloyale vient sanctionner l’abus dans la liberté d’entreprendre. La confusion opérée sciemment par un agent économique entre des produits afin de bénéficier du marché d’un autre agent économique est constitutif d’un tel abus. L’assimilation de produits ou d’entreprise dans l’esprit de la clientèle peut résulter d’une imitation ou de ressemblance entre ces produits. Afin d’apprécier cette assimilation, le juge prend notamment en compte la notoriété et la ressemblance des produits.
Selon l’influenceuse, cette confusion était tout d’abord caractérisée par la reprise dans la campagne publicitaire des éléments précédemment décrits et qui avait entraîné certains abonnés à son compte Instagram à penser qu’elle était présente au sein d’un des clichés de la marque de prêt à porter. Les magistrats rejettent néanmoins cet argument, estimant que la marque Maje « ne fait que s’inscrire dans la tendance du moment ». La photographe estimait en outre que la marque avait cherché à utiliser sa notoriété sur le réseau social Instagram. Sur ce point, la Cour d’appel relève que si elle possède 30.000 abonnés, le taux d’engagement de ses stories n’est que de 1,02 % soit une audience de 300 personnes. Elle doit donc être qualifiée de « micro-influenceuse » « bénéficiant d’une audience limitée dont elle perçoit d’ailleurs peu de revenus », notoriété relative par rapport à la marque de prêt à porter. Ainsi, aucune volonté de créer une confusion ne pouvait être caractérisée dans la campagne publicitaire menée par Maje.

L’absence d’actes parasitaires de la société Maje
En première instance, le Tribunal judiciaire avait estimé que certains clichés de la campagne intitulée « Maje, my dog and I » constituaient des actes parasitaires et avait corrélativement condamné la société à verser la somme de 5.000 euros. Les actes parasitaires consistent, pour un agent économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis. Las, la Cour d’appel infirme le jugement de première instance.
Alors que l’influenceuse soutenait que la marque de prêt à porter avait profité de sa notoriété et du rituel mis en place sur sa story, les magistrats relevèrent que cette notoriété ne pouvait se déduire de sa seule qualité de micro-influenceuse. Mais surtout, elle ne démontrait aucun investissement lié au selfie soi-disant repris ou à sa réalisation. Elle échouait donc à démonter l’utilisation de sa notoriété ou la présence d’investissements matériels ou intellectuels réalisés.

La profusion des photographies prises et diffusées par les téléphones portables est, semble-t-il, la rançon du succès des influenceurs. Au regard de l’état de la jurisprudence actuelle en matière de droit d’auteur, ceux-ci risquent d’avoir du mal à obtenir la protection de leurs clichés. Néanmoins, lorsque ces influenceurs ont une véritable empreinte économique et présentent un intérêt pour les marques, il n’y a aucun doute qu’ils puissent agir sur le fondement du parasitisme.

Un article écrit par Me Simon Rolin
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, et plus généralement au droit d’auteur, le Cabinet assiste régulièrement les artistes, leurs ayants droit ou les créateurs, confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme.

[1] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 12 mai 2023, RG no 21/16.270.