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Architecture : qui est véritablement l’auteur de l’œuvre architecturale ?

La Cour d’appel de Paris vient de rejeter l’action en justice de l’agence d’architecture ayant réalisé le nouveau bâtiment des Halles de Paris. En effet, cette dernière a échoué à démontrer qu’il s’agissait d’une œuvre dite collective. Dès lors, seuls les architectes ayant participé à la création du bâtiment pouvaient agir au titre de l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre. 

L’auteur, titulaire du droit moral sur son édifice

Toute réalisation architecturale est susceptible d’être protégée par le droit d’auteur dès lors qu’elle répond aux conditions énoncées par le Code de la propriété intellectuelle. L’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle l’affirme et les juges le rappellent régulièrement à l’occasion de divers contentieux ayant pu concerner le théâtre des Champs-Elysées, créé par Auguste et Gustave Perret[1], le stade Vélodrome de Marseille ou encore la citée lacustre de Port Grimaud[2]. En tant qu’auteur de l’œuvre architecturale, l’architecte peut alors tenter d’invoquer l’atteinte à son droit moral afin de lutter contre la dénaturation de son bâtiment ou de son projet[3].

Reste à déterminer qui est l’auteur de l’œuvre architecturale. En effet, le créateur du bâtiment ou d’un de ses éléments peut être un intérimaire[4], un architecte salarié ou encore un associé de l’agence d’architecture[5]. Mais la qualité d’auteur peut également être revendiquée par l’agence d’architecture voire, parfois, par le promoteur ou le commanditaire[6]. Deux décisions récentes permettent d’illustrer la difficulté à laquelle est confronté l’architecte souhaitant mener à bien son action en justice et l’importance des différents éléments matériels (contrats, mentions sur les plans, articles de presse, etc.) afin d’asseoir sa qualité d’auteur. 

En effet, contrairement aux droits patrimoniaux qui peuvent faire l’objet d’une cession à une agence, le droit moral ne peut être cédé et demeure nécessairement attaché à la personne physique qui a créé l’œuvre, puis être dévolu à ses héritiers. Le seul moyen pour une personne morale d’être investie du droit moral sur le bâtiment est de démontrer que l’ouvrage consiste en une œuvre dite collective au sein de laquelle aucun apport créatif individuel des architectes ou des employés n’est identifiable de manière autonome. À cette fin, l’agence souhaitant agir sur le fondement de l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre doit notamment démontrer que la réalisation architecturale a été réalisée à son initiative, qu’elle a coordonné le projet et que l’œuvre a été divulguée sous son nom[7]. À défaut, seuls les architectes, personnes physiques, ayant créé l’œuvre pourront agir sur ce fondement. 

L’architecte auteur de l’œuvre architecturale

La première affaire opposait Jean-Pierre Buffi, architecte de la rénovation du stade Vélodrome de 1995, à la ville de Marseille propriétaire du bâtiment. Le marché de construction avait été attribué par la ville à deux cotraitants, un groupement solidaire d’entreprises et un groupement solidaire de concepteurs, incluant des architectes et des paysagistes et dont le représentant était Jean-Pierre Buffi. Or, dans le cadre de l’Euro 2016 de football, la ville avait procédé à des modifications de l’enceinte sportive afin d’augmenter sa capacité d’accueil et avait procédé à l’ajout d’un toit afin de protéger les spectateurs des intempéries. N’ayant pas donné son accord à ces modifications, l’auteur de la rénovation avait alors assigné la ville pour atteinte à l’intégrité de son œuvre. En première instance, les juges avaient retenu la qualité d’œuvre collective réalisée sous la direction de la ville de Marseille et, en conséquence, rejeté la revendication de la qualité d’auteur de Jean-Pierre Buffi.

Cette décision fut infirmée en appel, la Cour relevant que si la ville avait eu l’initiative des travaux, « en revanche concernant la conception architecturale, l’examen de l’annexe du marché de maîtrise d’œuvre permet d’identifier précisément la contribution de chacun des intervenants (…), sans que celles-ci se fondent dans un ensemble ne permettant pas de les individualiser ». En effet, l’architecte était intervenu « exclusivement » dans la phase initiale de conception et « systématiquement » dans les autres phases du processus de construction. Les autres architectes du groupement de conception n’étaient intervenus, quant à eux, qu’à titre technique lors des phases d’exécution. En outre, la ville de Marseille avait divulgué l’œuvre en indiquant le seul nom de Jean-Pierre Buffi en sa qualité de concepteur. Ce dernier pouvait donc se prévaloir du droit moral sur son œuvre et agir de son propre chef pour faire cesser ou réparer l’atteinte portée à l’intégrité de sa création.

Les associés d’une agence d’architecture peuvent être seuls investis du droit moral sur leur création

La seconde affaire opposait l’agence Patrick Berger et Jacques Anziutti à la Ratp. La régie des transports parisiens avait confié la conception, la rénovation et la restructuration du pôle d’échanges de la gare RER Châtelet-les-Halles[8], dans le cadre du projet des nouvelles Halles de Paris. En 2016, la Ratp a décidé de modifier le projet d’édicule, initialement conçu par l’agence titulaire du marché public. Cette dernière assigna en justice la régie de transport pour atteinte à l’intégrité de son œuvre et demandait, en première instance, la suppression de l’édicule alternatif. Au terme de sa décision, la Cour d’appel de Paris rejeta les prétentions de l’agence, l’édicule ne consistant pas en une œuvre collective mais la réalisation personnelle des deux architectes. En conséquence, l’agence n’était pas investie du droit moral sur l’œuvre et ne pouvait agir de manière autonome pour voir réparée l’atteinte à l’intégrité du projet architectural.

Dans un premier temps, l’agence d’architecture invoquait la présomption jurisprudentielle selon laquelle, en l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation de l’œuvre, collective ou non, par une personne morale sous son nom fait présumer, à l’égard des tiers, que cette personne est bien titulaire du droit d’auteur et, plus précisément ici, du droit moral[9]. Ainsi, le bâtiment ayant été divulgué par l’agence d’architecture, celle-ci devait être investie du droit moral. Un tel raisonnement a été sanctionné par les magistrats de la Cour d’appel. En effet, cette présomption au profit de l’agence ne joue que pour la défense des droits patrimoniaux mais non pour l’exercice du droit moral, nécessairement attaché à l’auteur, c’est-à-dire l’architecte personne physique.

Dans un second temps, l’agence invoquait, sur le fondement de l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle, qu’elle était titulaire des droits d’auteur sur l’édicule puisqu’il s’agissait d’une œuvre collective initiée et divulguée sous son nom. La Cour se livre alors à une analyse factuelle suivant la méthode dite du faisceau d’indices afin de déterminer si l’œuvre s’avère collective ou si le travail des deux architectes associés pouvait être identifié distinctement, leur conférant alors la qualité de coauteur de l’œuvre. Or, seuls quelques plans et dessins portaient la mention de l’agence avec son numéro national d’inscription au tableau des architectes. L’ensemble des autres documents (plans, dessins, notice de présentation et courriers) mentionnait les architectes en tant que personnes physiques. Et des articles de presse se faisaient l’écho du succès de ces deux auteurs en énonçant que le concours d’architecture avait été « remporté par le binôme d’architectes parisiens Berger et Anziutti. Deux architectes français de renommée internationale (…) ». En outre, l’agence d’architecture ne démontrait pas avoir créé le bâtiment en donnant des instructions ou des directives à ses salariés et collaborateurs. L’agence n’était donc pas titulaire des droits sur une quelconque œuvre collective lui permettant alors d’agir sur le fondement du droit moral. Seuls les deux architectes créateurs de l’agence étaient investis de ce droit en qualité d’auteurs de l’œuvre architecturale et pouvaient ainsi agir.

Une difficulté inhérente à l’agence d’architecture et aux collectifs artistiques

Ces deux exemples révèlent les enjeux auxquels toute agence d’architecture est confrontée. Celle-ci peut facilement agir en contrefaçon sur le fondement des droits patrimoniaux, par exemple dans le cas de photographies non autorisées du bâtiment ou de la maquette, en s’appuyant sur une cession de droits d’auteur par les architectes et les salariés ou sur la présomption créée par la jurisprudence dite Aréo[10]. En revanche, la qualité d’auteur des architectes associés ou salariés pourra toujours être démontrée factuellement par les mentions portées sur les plans, sur les maquettes ou au sein des contrats et marchés publics. La rigueur juridique doit donc être de mise tant dans le cadre de la réalisation du projet (rédaction des contrats et des documents notamment) qu’au stade des actions en justice fondées sur le droit moral. Il s’agit là de la première étape nécessaire avant d’obtenir gain de cause pour atteinte à l’intégrité de l’œuvre architecturale.

Les mêmes problématiques attachées à l’œuvre collective peuvent également émerger dans de multiples hypothèses, telles que celle d’un collectif d’artistes. Récemment, la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion d’attribuer la qualité d’auteur à un artiste ayant rédigé un texte initialement divulgué sous le seul nom d’un collectif artistique français des années actif jusqu’en 1990.

Article écrit par Me Simon Rolin, Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste les architectes et les agences dans la défense de leurs droits, notamment à l’occasion d’actions en contrefaçon, ou dans l’accompagnement au stade de la négociation et de la rédaction de leurs contrats.

[1] TGI Paris, 1re ch. 4 avr. 1990, Perret : RIDA 3/1990, p. 386.

[2] TGI Draguignan, 16 mai 1972.

[3] Code de la propriété intellectuelle, L. 121-1.

[4] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 juin 2017, RG no 13/24234 : Dans cette espèce, un intérimaire auprès d’une agence d’architecture revendiquait la qualité d’auteur de plans d’une façade d’un bâtiment.

[5] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 oct. 2020, RG no 18/27357.

[6] CA Aix-en-Provence, 2e ch., 22 nov. 2018, RG no 16/06209.

[7] Code de la propriété intellectuelle, article L. 113-2 alinéa 3 : « Est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. »

[8] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 oct. 2020, RG no 18/27357.

[9] Cass. civ. 1re, 24 mars 1993, no 91-16.543.

[10] Cass. civ. 1re, 24 mars 1993, no 91-16.543.