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Lalique c. Habitat : de la nécessité d’apprécier la contrefaçon de modèle au regard de l’impression d’ensemble de la totalité de l’objet concerné

La détermination de la contrefaçon au titre du droit des dessins et modèles ne peut pas être réalisée qu’au regard de la seule impression visuelle dégagée par la partie du modèle considérée comme non usuelle, mais doit être opérée au regard du modèle pris dans son ensemble.

Depuis 2012, la société Lalique commercialise une gamme de verres à pied nommée 100 Points et issue d’une création conjointe avec le critique de vin américain James Suckling. Clin d’œil au système de notation des vins, cette collection allie, selon la maison, « l’utile à un design résolument contemporain, reflet du style Lalique très reconnaissable : verres soufflés par les maîtres verriers, jambes hautes travaillées en satiné repoli ». Au-delà de revendiquer des droits d’auteur sur cette collection, la maison Lalique est également titulaire d’un modèle de verre à la tige identique, déposé à la fois en tant que modèle communautaire et en tant que modèle international visant la France. Or, il apparaît que depuis 2015, la société Habitat proposait à la vente une gamme de verres à pied Glitz, dont les tiges s’inspireraient très fortement de celle des verres à pied de la gamme 100 Points. La maison créée par René Lalique en 1888 assigna alors la chaîne de magasins de Terence Conran en contrefaçon de droits d’auteur et de modèles, ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire. Déboutée en première instance[1], le manufacturier de cristal interjeta appel et obtint gain de cause devant la cour d’appel de Paris[2], tant sur la contrefaçon au titre du droit d’auteur et du droit des dessins et modèles qu’à celui de la concurrence déloyale et parasitaire. 

Originalité déniée : la nécessité de répondre aux arguments du défendeur
La société Habitat se pourvut alors en cassation et vient d’obtenir gain de cause devant la chambre commerciale au terme d’un arrêt du 23 juin 2021[3]. Le pourvoi reprochait notamment à l’arrêt d’appel d’avoir retenu que l’originalité de la tige 100 Points n’était aucunement contestée et d’avoir corrélativement retenu que la tige Glitz reprenait l’essentiel des caractéristiques originales revendiquées. C’est pourquoi, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait tenu l’originalité de la création revendiquée pour établie, alors même que la société Habitat contestait dans ses conclusions d’appel son caractère original en produisant des antériorités de tiges de verre similaires. Dès lors, selon la Cour de cassation, la cour d’appel avait modifié l’objet du litige et violé l’article 4 du Code de procédure civile en vertu duquel l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Les exigences attachées à l’impression d’ensemble en matière de droit des modèles
En ce qui a trait à la contrefaçon de modèles, la société Habitat faisait ici grief à l’arrêt d’appel de s’être fondé uniquement sur l’impression visuelle conférée par les tiges des modèles de verres en litige. Et ce, sans prendre en considération l’ensemble de leurs éléments constitutifs, à savoir tiges, gobelets et socles. En effet, l’arrêt avait retenu que la comparaison des représentations des modèles litigieux avec les verres Glitz démontrait qu’il s’agissait de deux verres à vin dont la forme du gobelet est usuelle pour des verres à vin et dont les tiges respectives donnent une impression visuelle globale d’identité en ce qu’elles comportent toutes deux une partie haute transparente, une partie basse plus longue également transparente, et entre les parties haute et basse, une jambe comportant un renflement dans sa partie supérieure, dont l’aspect opaque contraste avec les parties haute et basse.

Ces éléments identiques étaient, selon l’arrêt attaqué, dominants pour l’utilisateur averti compte tenu de ce que la liberté du créateur pour une tige de verre à vin est relativement restreinte, les quelques différences relevées apparaissant à l’utilisateur averti comme des variantes insignifiantes d’exécution technique procurant la même impression d’ensemble d’une tige renflée dans sa partie supérieure dont le contraste de la partie opaque renflée avec les parties basse et haute transparentes donne l’effet de deux points lumineux.

Or, pour la Cour de cassation, « en se déterminant ainsi, au seul motif que la tige des modèles de verre à vin invoqués et celle des verres « Glitz » produisaient la même impression visuelle alors que, les modèles déposés portant sur un verre à vin, elle aurait dû rechercher si l’impression visuelle d’ensemble produite par les verres « Glitz » était identique ou différente de celle produite par ce verre à vin, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». La haute juridiction casse et annule alors la décision rendue au visa les articles L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle et 10 du règlement (CE) no 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires.

Enfin, la Cour de cassation rappelle opportunément que l’action en concurrence déloyale doit se fonder sur des actes distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon. À ce titre, la haute juridiction précise que la cour d’appel de renvoi est susceptible de fonder une éventuelle condamnation pour contrefaçon sur des faits sanctionnés par l’arrêt attaqué au titre de la concurrence déloyale. Dès lors que les actes de contrefaçon et les actes de concurrence déloyale présentent un réel lien de dépendance, la cassation, au visa de l’article 624 du Code de procédure civile, est susceptible d’être retenue.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des artistes, des designers ou des titulaires de droits dont les œuvres ont pu être reprises ou détournées sans autorisation préalable afin de faire respecter leurs droits et de se voir indemnisés des divers préjudices subis.

[1] TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 7 sept. 2017, RG no 16/11378.

[2] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 1er mars 2019, RG no 17/17885.

[3] Cass. com., 23 juin 2021, no 19-18.111.