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Condamnation d’une société pour l’importation de tabourets design contrefaisants

Par un arrêt d’espèce du 24 janvier 2022, la Cour d’appel de Colmar a condamné la société exploitant un réseau de restaurants de bagels pour contrefaçon. Celle-ci avait importé au profit de ses franchisés des tabourets contrefaisant deux modèles fabriqués et commercialisés par la célèbre entreprise française Tolix.

En 2016, deux ans avant que les créations du fondateur de la marque de meubles design Tolix ne tombent dans le domaine public, la société française de mobilier constatait l’acquisition par un célèbre franchiseur de bagels de deux modèles contrefaisant ceux qu’elle fabrique et commercialise depuis presque un siècle. Après une mise en demeure, en réponse de laquelle la société accusée de contrefaçon affirmait avoir suspendu l’importation des meubles auprès d’une société de droit britannique, l’entreprise Tolix faisait procéder à une saisie-contrefaçon afin de déterminer l’étendue de la contrefaçon et du préjudice en résultant.

Saisi de l’affaire, le Tribunal de grande instance de Strasbourg reconnaissait l’originalité des deux modèles de tabourets et condamnait la société pour contrefaçon de droits d’auteur. Celle-ci interjetait alors appel de la décision auprès de la Cour d’appel de Colmar. Si l’arrêt ne s’intéresse pas à la question de l’originalité des meubles, tranchée en première instance, il permet néanmoins de revenir sur la présomption de titularité des droits d’auteur par une personne morale, ainsi que sur la preuve de la contrefaçon et la réparation des préjudices résultant de celle-ci[1].

La présomption de titularité au profit d’une personne morale exploitant les droits d’auteur
Selon le Code de la propriété intellectuelle, seule une personne physique peut être considérée comme auteur. Néanmoins, au terme d’un contrat de cession de droits, toute personne physique peut céder ses droits à une société afin que celle-ci les exploite. En l’espèce, le fondateur de la société Tolix, également le designer des deux modèles de tabourets phare et ici en litige, était décédé presque soixante-dix ans au moment des faits. Or, la société de mobilier design n’avait pas en sa possession de contrat permettant de rapporter la preuve formelle d’une cession à son profit.

Afin de pallier ces difficultés probatoires, la jurisprudence admet de façon constante qu’en l’absence de revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé l’œuvre, la personne morale qui l’exploite sous son nom bénéficie, à l’égard des contrefacteurs, d’une présomption de titularité[2]. Outre une exploitation non équivoque depuis de nombreuses décennies, la société de meubles design justifiait avoir déposé la marque Tolix, édité des catalogues au sein desquels figuraient les tabourets et obtenu plusieurs décisions lui reconnaissant la titularité des droits patrimoniaux sur ceux-ci. Elle bénéficiait donc de façon incontestable de cette présomption de titularité.

La nullité partielle du procès-verbal de saisie contrefaçon
Puissant moyen procédural, la saisie-contrefaçon permet au titulaire des droits, revendiquant des droits d’auteur sur une œuvre de l’esprit et dont il allègue d’actes de contrefaçon, d’obtenir de façon non contradictoire une ordonnance du président du Tribunal judiciaire afin de faire réaliser, par un huissier des actes d’enquête permettant d’établir la réalité et l’étendue de la cession. Ce moyen est souvent utilisé par les titulaires de droits de propriété intellectuelle afin de connaître l’auteur de la contrefaçon et, le cas échéant, les réseaux de fabrication des objets contrefaisants.

Pour autant, si pareille mesure constitue un avantage non négligeable pour celui qui allègue d’actes contrefaisants, la réalisation de la saisie contrefaçon par l’huissier et les personnes qui l’assistent est strictement encadrée par le Code de la propriété intellectuelle et par une jurisprudence désormais bien établie. La Cour de cassation a ainsi délimité le recours aux personnes susceptibles d’assister un huissier dans le cadre de ses diligences. Dans la présente affaire, la société de mobilier design arguait de la nullité du procès-verbal et mentionnait au soutien de son argumentaire une décision de la Cour de cassation imposant, sous peine de nullité du procès-verbal, l’indication par l’huissier de tout tiers l’assistant ainsi que de ses qualités et de ses liens de dépendance éventuels avec la personne au profit de laquelle était exécutée la saisie contrefaçon[3]. En l’espèce, le procès-verbal précisait bien la qualité de clerc d’huissier du tiers assistant l’huissier, qualité n’emportant aucune nullité de l’acte.

La société appelante eut en revanche plus de succès concernant sa demande en nullité d’une mention portée au sein du procès-verbal retranscrivant une déclaration d’un de ses employés qui reconnaissait que la société avait collaboré avec la société de droit britannique. En effet, cette déclaration était intervenue sans que l’huissier ne constate, au préalable, l’existence de relations entre ces deux sociétés. Or, comme le rappellent les magistrats de la Cour d’appel de Colmar, l’ordonnance « autorisant la saisie contrefaçon ne délègue pas à l’huissier une mission générale d’investigation, mais limite sa compétence aux objets et à la durée fixée par le juge. De plus, l’huissier doit limiter les opérations de saisies aux termes de l’ordonnance, même si ceux-ci sont rédigés de manière large. » L’ordonnance ne mentionnant pas l’existence de la société de droit britannique et l’huissier n’ayant pas constaté préalablement l’existence de liens dans le cadre de sa mission, cette déclaration devait donc être considérée comme nulle.

La réparation de la contrefaçon
Malgré cette nullité, les magistrats de la Cour d’appel confirment la réalité des actes contrefaisants. En effet, la société appelante produisait au sein de ses pièces des factures des commandes auprès de la société de droit britannique des tabourets contrefaisants. Or, ceux-ci étaient présentés sur le site de cette société comme une « Reproduction Original design by Xavier P., la chaise avec accoudoirs Café Rétro a été conçue dans les ateliers de Xavier P. et fut commercialisée sous la marque Tolix. », « Robuste, réalisée en métal pressé, proposée en plusieurs colories, d’un entretien facile et pratique, cette recréation [de la société britannique] est bien sûr un vrai best-seller ». Au regard de ces éléments, la contrefaçon par importation était donc constituée.

Il restait alors à la Cour d’appel à déterminer les différents préjudices subis par la société Tolix du fait de l’importation de ces produits contrefaisants. L’appréciation du préjudice est définie par l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle. Cet article qui distingue les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, le préjudice moral et les bénéfices réalisés indûment par le contrefacteur. Sur le premier point, la société appelante ayant notamment communiqué les factures des commandes prouvant l’acquisition de 127 tabourets au total, il suffisait, selon les magistrats, de multiplier ce nombre avec les prix des tabourets commercialisés par Tolix. Les conséquences économiques négatives s’élevaient donc à 39.913 euros. Pour autant la demande indemnitaire de la société de design étant inférieure à ce montant, les magistrats de la Cour d’appel retiennent le montant formulé par celle-ci.

En revanche, la Cour refuse tout préjudice commercial illicite, la société de franchiseurs n’ayant « pas pour activité la vente de mobilier mais la restauration », il ne pouvait donc lui être demandé une part de son chiffre d’affaires à ce titre. De même, aucun préjudice d’image ne pouvait être constaté, la société exploitant l’enseigne de restauration n’ayant, « jamais communiqué sur le mobilier qu’elle utilisait dans ses points de vente ». Sur ces deux derniers points, la solution aurait pu être différente si les meubles objets du litige étaient ceux d’un célèbre designer qui aurait servi de faire valoir au discours commercial de l’enseigne de restaurant.

Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet. 

Dans le cadre de son activité, le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des designers, des ayants droit de designer et des sociétés d’édition dans le cadre de la défense de leurs droits et de la promotion de leurs créations.

[1] CA Colmar, 1re ch., sect. A, 24 janv. 2022, no 19/04529.

[2] V. not. Cass. civ. 1re, 10 juill. 2015, no 13-16.465.

[3] Cass. civ. 1re, 9 avr. 2015, no 14-11.853.