Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

La nécessaire preuve préalable de l’existence de la vente d’un dessin avant d’en obtenir la nullité

Si l’erreur peut être une cause de nullité d’un contrat, notamment lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles, l’existence même d’une telle erreur doit être appréciée dans un cadre nécessairement contractuel. Dès lors, en l’absence d’un écrit prouvant et formalisant un tel accord, il s’avère impératif d’envisager les éléments qui pourraient fonder l’existence d’un pareil contrat pour ensuite envisager la caractérisation éventuelle d’une erreur sur les qualités essentielles. À défaut de preuve d’un contrat liant les parties, l’inauthenticité avérée d’une œuvre ou d’un objet ne pourra donner lieu à un éventuel jeu de restitutions réciproques. C’est là, la situation à laquelle la cour d’appel de Paris a été confrontée aux termes d’un arrêt du 13 février 2022[1].

Le défaut d’authenticité de l’œuvre
Dans les années 2000, par le biais d’un intermédiaire, un couple de collectionneurs a acquis une œuvre de Modigliani auprès de Jean Max Kisling, fils du peintre Moïse Kisling, lui-même proche ami de Modigliani. Le vendeur supposé s’avérait être également président d’une institution dédiée à cet artiste. Or, une expertise réalisée quelques années après l’acquisition du dessin vint remettre en doute l’authenticité de l’œuvre. Selon l’expertise réalisée, l’œuvre ne s’avérait être qu’une simple reproduction et non un original. C’est pourquoi, les acquéreurs déçus décidèrent d’assigner le vendeur ainsi que l’intermédiaire en nullité de la vente pour erreur sur les qualités essentielles afin d’obtenir la restitution du prix d’acquisition.

Le Tribunal de grande instance de Paris[2] débouta néanmoins les demandeurs aux motifs que si les éléments produits par ces derniers permettaient d’établir l’existence d’une vente, de tels éléments s’avéraient en revanche insuffisants pour déterminer l’objet de la vente et le prix de celui-ci. Soit les conditions essentielles d’un contrat de vente.

Le couple fit alors appel de cette décision, dont la résolution vient seulement d’intervenir, après le décès du vendeur hypothétique concerné et d’une autre partie à l’instance.

L’absence de lien entre la vente mentionnée et l’œuvre litigieuse
La cour d’appel de Paris a pu confirmer, le 1er février dernier, le jugement de première instance. En effet, pour les juges, si une vente entre les parties est bien avérée, les pièces communiquées par les appelants ne permettaient pas d’établir un lien entre l’œuvre litigieuse et cette vente. Par conséquent, il n’est pas démontré que l’œuvre dont l’authenticité est encore contestée constituait l’objet de la vente pour laquelle la nullité était sollicitée. Si une vente a bien pris place entre les parties au litige, l’objet de cette vente demeure indéterminé. Et, corrélativement, il ne peut être envisagé de voir reconnue une erreur sur les qualités d’un objet indéterminé.

Dès lors que la reconnaissance judiciaire de la nullité de la vente litigieuse était sollicitée par les acquéreurs, la charge de la preuve incombait à ceux-ci. En cause d’appel, leurs héritiers produisaient trois documents au soutien de leurs prétentions. En premier lieu, une attestation manuscrite, datée et rédigée par l’ayant-droit de l’artiste qui s’avérait destinée aux acquéreurs. Celle-ci contenait une mention non équivoque relative à la conclusion d’une vente entre les parties concernant un dessin de Modigliani à la mine de plomb représentant un portrait. Pour les juges, ce document constitue un commencement de preuve par écrit en ce que l’œuvre ayant fait l’objet de la vente n’est pas identifiée précisément, son prix n’est pas mentionné – élément pourtant essentiel dans un contrat de vente – et son paiement n’est pas justifié. Selon une jurisprudence ancienne[3], un commencement de preuve par écrit doit être complété par des éléments permettant de le parfaire. Or, ici, les appelants ne semblent pas avoir été en capacité de fournir des éléments satisfaisant une pareille condition.

En deuxième lieu, les appelants communiquaient une note manuscrite, non datée, du potentiel vendeur et apposée sur la photocopie d’un dessin. Cette dernière pièce s’apparente à un certificat d’authenticité d’après les appelants. Selon l’analyse de la Cour, l’objet de ce certificat n’est pas suffisamment précis, alors même qu’il a été établi par le potentiel vendeur, proche de l’artiste et connaisseur reconnu de l’œuvre de ce dernier. Elle relève à cet égard qu’aucun élément ne permet de faire le rapprochement entre ce dernier document certifiant en réalité l’origine du dessin représenté sur la photocopie et l’œuvre soumise à la sagacité de la Cour. En outre, cette note ne suffit pas à démontrer l’existence d’une vente, dès lors qu’il n’est pas daté et qu’aucun élément ne vient établir le lien entre la remise de ce document et la vente litigieuse.

Enfin, et en troisième lieu, un courrier de l’intermédiaire impliqué dans la vente en réponse à celui de l’héritier des acquéreurs l’ayant informé des résultats de l’expertise se réfère à une vente entre les parties, mais ne comporte pas d’élément suffisamment précis permettant de corroborer les affirmations des appelants.

La difficulté probatoire à laquelle les collectionneurs, et leurs héritiers, ont été confrontés est récurrente dans le domaine du marché de l’art. En effet, en l’absence d’écrit, parvenir à prouver des faits anciens devant un tribunal peut s’avérer bien problématique. Pourtant, dans nombre de transactions anciennes la valeur initialement résiduelle de documents ou de courriers peut expliquer l’absence ou la perte de ces documents. Ces derniers se révèlent en réalité d’une portée probatoire essentielle.

C’est pourquoi, il convient d’apprécier en amont les risques éventuels d’une action judiciaire dont l’échec à venir peut être anticipé. Dans ce cas d’espèce, à défaut d’élément probatoire étayant suffisamment l’existence de la vente du dessin litigieux, la remise en cause d’une telle vente paraissait bien délicate.


Un article écrit par Alix Vigeant.
Stagiaire au sein du Cabinet entre janvier et juin 2022.

Dans le cadre de son activité dédié au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des collectionneurs et propriétaires d’oeuvres et d’objets d’art dans leurs démarches visant à contester la validité d’une vente ou à faire reconnaître l’inauthenticité éventuelle d’une oeuvre.

[1] CA Paris, pôle 4, ch. 13, 1er févr. 2022, RG no19/20337.

[2] TGI Paris, 22 sept. 2015, RG no13/16795.

[3] Cass. civ. 1re, 12 juill. 1972, no 71-12.249.