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Femen, la Cour de cassation persiste et signe : exhiber sa poitrine est un délit d’exhibition sexuelle

À l’heure où la société et le monde de la culture prennent conscience du chemin qu’il reste à parcourir pour une reconnaissance pleine et entière du droit des femmes, la Cour de cassation vient de rendre une décision attendue mais décevante. Confirmant son approche traditionnelle, la haute juridiction reconnaît que le fait pour une femme de montrer sa poitrine est constitutif du délit d’exhibitionnisme sexuel, tout en refusant de condamner la militante Femen car l’atteinte à sa liberté d’expression serait disproportionnée.

Un délit désuet ?
Inscrit dans le Code pénal au sein de la section sur les agressions sexuelles, le délit d’exhibition sexuelle est toujours en vigueur alors que celui d’outrage public à la pudeur et celui d’atteinte aux bonnes mœurs par images, chants, cris ou discours ont été abrogés en 1994. Le délit d’exhibition sexuelle a donc pour objet de réprimer une atteinte à l’intégrité physique ou psychique là où les délits abrogés avaient pour objet de protéger l’ordre moral et la pudeur publique.

Connues pour leurs actions réalisées seins nus afin, notamment, de dénoncer l’exploitation des femmes, les militantes Femen sont pourtant systématiquement poursuivies sur le fondement du délit d’exhibition sexuelle par la justice française. La constitution de ce délit exige, d’une part, un acte matériel consistant dans la réunion de deux conditions : un acte de nature sexuelle et la publicité de cet acte. D’autre part, les juges doivent également caractériser l’élément moral, c’est-à-dire si la personne était consciente que ce spectacle était imposé à la vue d’autrui ou du public. Mais est-ce que l’exhibition d’une poitrine dans le but de porter un message politique est de nature sexuelle ?

Une absence d’intention sexuelle selon les juges du fond
Les faits portés devant les tribunaux étaient les suivants : une militante Femen s’était présentée au musée Grévin, dans la salle dite « des chefs d’Etat » qui rassemble plusieurs statues de cire de dirigeants mondiaux dont le président russe Vladimir Poutine. Le haut du corps dévêtu, sa poitrine portant une inscription « Kill Putin », la militante plantât à plusieurs reprises un pieu métallique dans la statue au cri de « Fuck dictator, fuck Vladimir Poutine ».

Pour les juges du fond, la réponse était évidente. La Cour d’appel avait retenu que l’exposition du torse nu d’une femme à la vue d’autrui, en dehors de tout élément intentionnel de nature sexuelle, ne peut, au regard des circonstances dans lesquelles cette exposition s’est déroulée, recouvrir la qualification d’exhibition sexuelle[1]. Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation avait cassé cet arrêt en estimant, sans surprise, que la cour avait confondu l’élément moral de l’infraction et le mobile. La Cour suprême rappelait alors que les motifs invoqués par la prévenue restaient « sans effet sur les éléments constitutifs de l’infraction » et qu’elle « avait exhibé volontairement sa poitrine dans un musée, lieu ouvert au public », éléments constitutifs dudit délit[2].

Or, la cour de renvoi s’est rebellée en s’affranchissant de la décision de la Cour de cassation et en relaxant la prévenue. Selon les magistrats, l’exposition des seins dénudés s’analysait « comme un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci ». Constatant que « le regard de la société sur le corps des femmes » a changé, la Cour note que la « morale publique » ne s’outre plus à la vue « de la nudité féminine dans la presse ou la publicité, même dans un contexte à forte connotation sexuelle ».

Une atteinte disproportionnée à liberté d’expression
Saisie d’un nouveau pourvoi, la chambre criminelle persiste et signe en affirmant que c’est à tort que la cour de renvoi a vrai estimé « que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévue à l’article 222-32 du code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle ». Ainsi, la seule exposition d’une poitrine est constitutive d’une exhibition sexuelle. Toutefois, la chambre criminelle confirme la relaxe prononcée par la cour de renvoi en retenant que « le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique », son incrimination constituerait donc une ingérence disproportionnée dans l’exercice de sa liberté d’expression. Cette décision limite donc le champ de l’incrimination lorsque le message porté est politique. 

Dans une autre affaire, la chambre criminelle avait refusé la protection d’une Femen au titre de la liberté d’expression car le comportement de la militante « ne pouvait se concilier avec le droit pour autrui (…) de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion »[3]. Il est vrai que les faits étaient différents. Une militante Femen avait pénétré dans l’église de la Madeleine, dénudé sa poitrine sur laquelle étaient inscrits les mots « 344ème salope », avant de procéder, sur l’autel, à un simulacre d’avortement, à l’aide de morceau d’abats, censés représenter le fœtus de Jésus. La scène s’était déroulée devant les médias invités pour l’occasion et le prêtre de l’église. 

Un cadre juridique désormais établi
La jurisprudence relative à l’exhibition sexuelle politique est désormais stabilisée. Lorsque le message politique entre en confrontation avec la liberté de religion protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, la liberté d’expression ne peut l’emporter. En revanche, lorsqu’aucun autre droit fondamental n’est invoqué en opposition, la liberté d’expression apporte une protection suffisante aux militantes dévêtues. Un tel raisonnement peut apparaître surprenant alors que le délit d’outrage public à la pudeur a été abrogé par une loi vieille de 28 ans. 

En matière de « nu artistique », si la question du délit pouvait se poser, elle semble désormais soldée. Le spectateur ayant choisi en son libre arbitre d’assister au spectacle, la nudité ne peut être considérée comme ayant été « imposée ».

Article écrit par Me Simon Rolin,
Avocat Collaborateur

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[1] CA Paris, ch. 4-11, 12 janv. 2017.

[2] Cass. crim., 10 janv. 2018, no 17-80.816.

[3] Cass. crim., 9 janv. 2019, no 17-81.618.