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Suite et fin de l’action du mouvement Femen dans une église : la Cour européenne condamne la France en raison de la peine infligée à la militante

La Cour européenne des droits de l’homme s’est récemment prononcée sur la peine infligée à une militante Femen pour exhibition sexuelle dans une église. L’arrêt Bouton c. France du 13 octobre 2022 condamne ainsi la France pour violation du droit à la liberté d’expression, la peine d’emprisonnement avec sursis constituant une ingérence, laquelle n’est pas nécessaire dans une société démocratique. 

La condamnation de la militante par les juges nationaux
En 2013, une militante de l’organisation internationale de défense des droits des femmes « Femen » s’était dénudée la poitrine et avait mimé un avortement au sein de l’église de la Madeleine, à Paris, en dehors de tout office. Cette action médiatisée visait à dénoncer la position de l’Église à l’égard de l’interruption volontaire de grossesse. Condamnée pour exhibition sexuelle à un mois d’emprisonnement avec sursis et à 2.000 euros au titre du préjudice moral de l’officier du culte de l’église, la militante fit appel, puis se pourvut en cassation, sans succès. La Cour de cassation avait alors conclu à la caractérisation du délit d’exhibition sexuelle et confirmé la sanction prononcée par les juges d’appel, faisant fi des mobiles ayant inspiré l’action de la militante[1]. Cela conduisit alors la militante à saisir la Cour européenne, alléguant notamment de la violation de son droit à la liberté d’expression.

Une ingérence conditionnée dans le droit de la liberté d’expression
La liberté d’expression est garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui l’élève au rang des droits fondamentaux. L’ingérence dans la liberté d’expression est admissible sous réserve de satisfaire trois conditions, à savoir être prévue par la loi, qu’elle poursuit un but légitime et qu’elle s’avère nécessaire dans une société démocratique. À titre de rappel, l’article 222-32 du Code pénal réprime d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public ». Les deux premières conditions étant réunies, de telle sorte que s’imposait l’examen relatif à la nécessité de cette ingérence dans une société démocratique.

L’appréciation de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique
L’appréciation de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique conduit la Cour européenne à devoir déterminer si celle-ci répond à un besoin social impérieux, nécessitant alors de prendre en considération les circonstances de l’affaire. A cet égard, la Cour examine traditionnellement si l’ingérence est proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs évoqués par les autorités nationales sont pertinents et suffisants. Le cas présent ne fait pas exception, et les juges européens s’attardent sur l’étude de la peine infligée à la militante puis sur les diverses mises en balance opérée par le juge national.

Une peine d’emprisonnement non « nécessaire dans une société démocratique »
Les juges européens s’attachent de manière constante à la nature et à l’importance de la peine infligée, et rappelle qu’une peine d’emprisonnement, du fait de sa gravité, n’est compatible avec la liberté d’expression que dans des circonstances exceptionnelles, telles que la diffusion d’un discours de haine. Or, la Cour européenne se dit « frappée de la sévérité de la sanction » d’une peine privative de liberté susceptible d’être exécutée en cas de nouvelle condamnation et considère également que le montant des intérêts civils retendus est relativement conséquent. 

Des mises en balances entre des droits et des libertés divergents
Pour condamner la militante, la Cour de cassation avait effectué une mise en balance entre la liberté d’expression et la liberté de conscience et de religion garantie par l’article 9 de la Convention européenne pour conclure à la proportionnalité de la sanction infligée à la requérante. Ce raisonnement n’est pas suivi par les juges européens, lesquels soulignent que la liberté de conscience et de religion n’avait pas à être invoquée dans le cas d’espèce, en ce que la sanction avait pour objet de réprimer la nudité dans un lieu public et non pas de punir une atteinte à la liberté de religion.
S’ensuit une mise en balance entre des intérêts divergents, entre la liberté d’expression et le droit d’autrui au respect de la morale et de l’ordre public. Les juges de Strasbourg ont ainsi relevé que les juges nationaux n’avaient pas pris en compte le sens donné à la performance par son auteur. Rappelant que l’action de la militante visait à contribuer à un débat d’intérêt général sur le droit des femmes, et plus précisément de la position de l’Église sur l’interruption volontaire de grossesse, la liberté d’expression de la militante aurait dû bénéficier d’un niveau suffisant de protection. La Cour européenne semble ainsi sanctionner le raisonnement des juges nationaux, qui n’ont pas pris en considération le contexte et la dimension politique de l’action, ainsi que l’absence de tout trouble. 

La caractérisation du délit d’exhibition sexuelle maintenue, sans considération aucune du mobile de son auteur
La Cour européenne ne se prononce pas sur la caractérisation du délit d’exhibition sexuelle, laissant expressément aux autorités nationales le pouvoir en la matière, émettant une timide réserve sur des « doutes sur la qualité de la loi ». Pour autant, l’opinion du juge Šimáčková, joint à l’arrêt de la Cour s’exprime en faveur d’une évolution en la matière, en ce que l’exhibition sexuelle a pour seule finalité de protéger contre les agressions sexuelles, bien éloignée des actions du groupe féministe. Par ailleurs, la Cour ne prend pas position quant à la prise en compte des mobiles de l’auteur dans la caractérisation du délit. Sur ce point, les juges nationaux retiennent de manière constante que l’élément matériel de l’infraction, à savoir le dénudement, est caractérisé sans que ne soit pris en considération le mobile de l’auteur.
Ainsi, la présente solution de la Cour européenne ne revient donc pas sur la caractérisation du délit d’exhibition sexuelle, mais impose d’opérer un contrôle de proportionnalité avec les intérêts en cause, en prenant en considération le contexte des agissements des militantes. A cet égard, et dans une autre affaire, la Cour de cassation a récemment approuvé le raisonnement d’une cour d’appel dans la condamnation à une peine privative de liberté de militantes Femen pour exhibition sexuelle dans le cadre d’une cérémonie commémorative de la Première Guerre mondiale. Selon les juges nationaux, cette cérémonie impliquait « une nécessaire dignité », sans toutefois que le droit protégé et mis en balance avec la liberté d’expression ne soit précisément identifié[2].

Un contrôle de proportionnalité déjà amorcé par la Cour de cassation
La Cour de cassation a d’ores et déjà adapté sa position en confortant la relaxe, en 2020, d’une militante Femen en considérant que si le délit d’exhibition sexuelle était effectivement caractérisé, son comportement s’inscrivait dans une démarche de protestation politique[3]. C’est pourquoi, de tels agissements, compte tenu de leur nature et du contexte ne pouvaient justifier une condamnation, ce qui aurait alors constitué une ingérence disproportionnée dans l’exercice de sa liberté d’expression.
L’arrêt de la Cour européenne ne semble pas ébranler outre mesure la caractérisation du délit d’exhibition sexuelle pour des actions intentées par des militantes Femen. Pour autant, il invite les juges nationaux à opérer une mise en balance des intérêts en cause et ce, notamment dans le prononcé de la condamnation. Cela n’est pas sans rappeler l’affaire des décrocheurs des portraits d’Emmanuel Macron, qui n’ont eu de cesse d’invoquer leur droit à la liberté d’expression pour faire échec aux condamnations découlant de la caractérisation du délit de vol.   

Un article écrit par Adélie Michel
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre juillet et octobre 2022.

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[1] Cass. crim., 9 janv. 2019, no 17-81.618.

[2] Cass. crim., 15 juin 2022, no 21-82.392.

[3] Cass. crim., 26 févr. 2020, no 19-81.827.