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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Contrat à compte d’auteur et obligations de l’éditeur

Bien que le contrat à compte d’auteur ne constitue aucunement un contrat dit à compte d’éditeur, les obligations, qui peuvent contractuellement peser sur l’éditeur auquel est confié le soin de fabriquer et de vendre les ouvrages contre une rémunération, peuvent se rapprocher du contrat phare du monde de l’édition. Une décision de la Cour d’appel de Paris du 3 février 2022 condamne ainsi un éditeur pour ne pas avoir mis en œuvre l’ensemble des diligences auxquelles il s’était engagé concernant la promotion de l’ouvrage.

Un contrat conclu à compte d’auteur
Un auteur et un éditeur avaient signé deux contrats à compte d’auteur, soit des contrats aux termes desquels l’auteur verse à l’éditeur une rémunération pour que celui-ci fabrique en nombre des exemplaires de l’œuvre ou la réalise sous une forme numérique et en assure la publication et la diffusion. Ici, les contrats précisaient que la société éditrice avait le droit exclusif d’imprimer, de reproduire, de publier et de vendre les deux ouvrages rédigés sous pseudonyme. En contrepartie, l’auteur devait verser à l’éditeur une rémunération forfaitaire de 3.980 euros pour le premier livre et de 4.380 euros pour le deuxième livre, rémunération qui constitue le cœur de la distinction avec le contrat à compte d’éditeur[1]. Et, ainsi que cela est habituellement envisagé en matière de contrat à compte d’auteur, les deux livres bénéficiaient d’une cession de droits d’auteur limitée dans le temps – ici une durée de deux années à partir de leur sortie de presse, soit respectivement en 2014 et en 2015 -. Ces contrats furent résiliés à l’initiative de l’auteur par courrier en 2017.

Au-delà de cette seule résiliation, l’auteur reprochait à son cocontractant un certain nombre d’inexécutions contractuelles pour lesquelles il souhaita obtenir réparation en justice, faute d’être parvenu à une résolution amiable du différend l’opposant à son ancien éditeur. C’est pourquoi l’auteur l’assigna devant le Tribunal judiciaire de Paris, dont la décision lui fut favorable, avant qu’un appel ne soit interjeté devant la Cour d’appel de Paris, dont la décision du 3 février 2022 est ici envisagée[2].

L’existence d’un contrat à compte d’auteur ne dispense pas, en effet, la société d’édition de respecter les prescriptions arrêtées d’un commun accord dans le contrat conclu avec l’auteur. Face à la concurrence existant dans ce secteur pour attirer les auteurs, plus nombreux sont désormais les éditeurs à promettre un meilleur accompagnement pour assurer au livre publié à compte d’auteur une chance de succès. C’est pourquoi les causes d’engagement de la responsabilité d’un tel éditeur peuvent être multiples, à l’instar de l’impression d’un nombre d’exemplaires insuffisant par rapport au nombre convenu, au déploiement d’efforts trop peu importants pour la promotion de l’ouvrage ou encore en raison d’un façonnage mal réalisé des exemplaires de l’ouvrage. Et c’est au regard du manquement à l’obligation de promotion que le Tribunal judiciaire de Paris retint la responsabilité de la société éditrice, obligation à nouveau au centre des débats devant la Cour d’appel.

Un contrat imposant à l’éditeur un certain nombre d’obligations
L’éditeur, se présentant comme l’un des principaux acteurs de la publication à compte d’auteur en France, n’ayant que très récemment débuté la publication d’ouvrages à compte d’éditeur, exposait qu’il accompagne, moyennant une rémunération qui lui est versée, les auteurs de la réception du manuscrit à l’impression, puis de la promotion à la commercialisation de l’ouvrage. En ce sens, son activité se distingue de celle d’un grand nombre d’acteurs du milieu de l’édition à compte d’auteur dont les pratiques sont bien peu scrupuleuses et fort peu respectueuses des intérêts des auteurs.

Et afin de tenter de voir sa responsabilité écartée, l’éditeur soutenait que les deux ouvrages en litige avaient été référencés auprès de son réseau de distribution et rendus disponibles à la vente sur l’ensemble des librairies en ligne de ce réseau. Il ajoutait qu’il avait assuré une promotion active des deux livres tout au long de l’exécution des contrats et que plus de deux-cents exemplaires de chacun des deux livres restaient en stock. Enfin, l’éditeur soutenait n’être nullement tenu à une obligation de résultat et qu’il avait exécuté ses obligations relatives à la réalisation des maquettes, au tirage, à la publication, au référencement, à la distribution et à la promotion conformément aux termes du contrat et ce, avec toute la diligence requise.

La Cour d’appel était donc amenée à envisager le respect des diverses obligations contractuellement mises à la charge de l’éditeur au bénéfice de l’auteur.

Des obligations plus ou moins bien respectées
En ce qui avait trait à l’élaboration des exemplaires, aucune inexécution n’est retenue à l’encontre de la société éditrice dès lors que l’auteur avait été consulté pour l’élaboration de la couverture des deux ouvrages, notamment pour la photographie en première page et le texte en quatrième page. De la même manière, l’auteur avait émis deux bons à tirer pour les ouvrages concernés et l’engagement minimal d’un tirage de 300 exemplaires pour chacun des deux livres avait été respecté.

En ce qui avait trait au référencement, les parties avaient stipulé, outre les démarches légales, une diffusion commerciale prévoyant que « L’Éditeur référence l’Ouvrage auprès des principales enseignes de distribution de livres (telles que la FNAC, Amazon, Chapitre ou Gibert-Joseph) […]. L’Ouvrage est également référencé sur le site Internet de l’Éditeur. L’Éditeur assure également le référencement sur la base de données et de traitement des commandes "Dilicom" [...] utilisée par les libraires en France et dans les pays francophones [...] ». Toutes ces obligations avaient été respectées par l’éditeur, de la même manière qu’en ce qui concernait la reddition des comptes, l’auteur ayant été tenu régulièrement informé de l’état des ventes et de la rémunération à laquelle celles-ci lui ouvraient droit.

En revanche, l’obligation de promotion n’avait pas fait l’objet d’une parfaite exécution de la part de l’éditeur au regard des actions auxquelles il s’était engagé. Loin de n’avoir pas assuré un certain nombre de ses obligations, l’éditeur ne justifiait pour autant aucunement de la réalisation d’un dossier de presse complet, de la mise à disposition effective de 500 cartes de visite par ouvrage, de recherches sur internet des sites, forums, blogs ou réseaux communautaires susceptibles d’être intéressés par les thèmes abordés, d’actions approfondies et effectives de promotion, de la transmission et de la présentation de l’ouvrage à des médias spécifiquement ciblés ou encore de l’envoi de dossiers de présentation à des libraires. À cette première série d’inexécutions s’ajoutait celle qui semble avoir motivé l’auteur à porter son contentieux devant les juridictions. Ainsi, alors que l’article VI-4 des contrats disposait que l’auteur pouvait réaliser des dédicaces à sa convenance et que, dans ce cas, l’éditeur se chargerait de l’envoi des livres destinés à être vendus, l’auteur justifiait avoir ici effectué une journée de dédicaces au Cultura Béziers sans que son éditeur n’ait adressé des exemplaires des deux romans au magasin. Au regard de ces diverses inexécutions contractuelles, la Cour d’appel conforte l’analyse du Tribunal judiciaire en retenant l’octroi de dommages et intérêts au bénéfice de l’auteur à hauteur de 2.000 euros.

Si le montant retenu tant par le Tribunal que par la Cour d’appel peut paraître de prime abord modéré, il convient néanmoins de le rapporter à la réalité des ventes effectuées par l’éditeur au bénéfice de l’auteur. Ainsi, pendant la période contractuelle soit pendant deux années, il apparaît que pour chacun des ouvrages cinquante exemplaires ont été remis à l’auteur et que pour le premier livre seulement dix exemplaires ont été vendus et pour le second seulement deux. La condamnation prononcée semble ainsi viser davantage un rééquilibrage des modalités financières des deux contrats que la réparation d’un réel préjudice au regard du faible intérêt du public pour les deux livres en litige.   


Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.

[1] Pour autant, l’existence d’une rémunération ne suffit pas à imposer une telle qualification, V. en ce sens CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 3 févr. 2004, RG no 00/02746.

[2] CA Paris, pôle 4, ch. 9, 3 févr. 2022, RG no 18/16460.