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La difficile reconnaissance de l’originalité des couvertures de livre

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Versailles a rejeté les demandes en contrefaçon d’un éditeur à l’encontre d’un groupe de restauration en raison de la reprise non autorisée d’une couverture d’un ouvrage publié par ses soins dans le cadre d’une campagne publicitaire d’ampleur. Confortant la décision de première instance, la Cour a rejeté toute protection par le droit d’auteur au bénéfice de la couverture du roman en litige. Cet arrêt du 22 mars 2022 n’est pas sans rappeler celui qui avait été rendu le 24 septembre 2019 par la Cour d’appel de Paris dans un litige opposant deux éditeurs sur la reprise considérée comme litigieuse des éléments qui auraient fondé l’originalité des couvertures d’une célèbre série de romans policiers. 
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles concernait ici la revendication de la protection par le droit d’auteur de la couverture du livre « L’Embellie » d’Audur Ava Olafsdóttir, paru aux éditions Zulma[1]. Avant de rejeter une telle protection au détriment de l’éditeur, la Cour a consacré des développements relatifs à la définition de l’originalité, condition sans laquelle la qualification d’œuvre de l’esprit ne peut être reconnue.

L’appréhension de l’originalité sous le prisme de l’arrêt Cofemel
La décision de la Cour d’appel de Versailles reprend de manière pédagogique les deux éléments cumulatifs permettant seuls l’accueil d’une création dans le giron du droit d’auteur, à savoir une forme – c’est-à-dire un objet identifiable – et l’originalité. 
En ce qui a trait à la première condition, la Cour rappelle ainsi que la condition d’originalité implique nécessairement l’existence « d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité ». En effet, tant les magistrats que les défendeurs doivent pouvoir connaître avec clarté et précision l’objet dont la protection est revendiquée. En outre, il existe une nécessité « d’écarter tout élément de subjectivité, nuisible à la sécurité juridique, dans le processus d’identification dudit objet », ce qui suppose que ce dernier ait été exprimé d’une manière objective. Dès lors, ne répond pas à l’exigence de précision et d’objectivité requise une identification reposant essentiellement sur les sensations, intrinsèquement subjectives, de la personne qui perçoit l’objet en cause.
En ce qui a trait à la seconde condition, c’est-à-dire celle au terme de laquelle un objet puisse être regardé comme original, la Cour rappelle qu’il est « à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier ». En revanche, lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une œuvre. 
Et ici, la Cour se réfère expressément à l’arrêt du 12 septembre 2019 dit Cofemel, de la Cour de justice de l’Union européenne[2], qui ne cesse de s’imposer dans l’appréciation judiciaire des contours de l’originalité

Un objet, dont la protection est revendiquée, bien identifié
La première condition ne soulevait aucune difficulté, dès lors que la couverture du livre « L’Embellie », en tant qu’objet en débat, était clairement identifié et précisément et objectivement défini en ses différentes caractéristiques. 
L’appréhension de l’objet dont la protection était revendiquée consistait ainsi en une couverture se composant d’un motif sérié de losanges de couleur dégradée, allant du bordeaux au rose pâle, et d’un cartouche blanc de forme triangulaire, figurant sur le premier tiers de l’ouvrage, pointant vers le bas présentant un fin liseré rose et comportant le nom de l’auteur en lettres capitales en police Futura et le titre de l’ouvrage en lettres italiques en police Caslon.

Le rejet de l’originalité de la couverture de « L’Embellie »
En revanche, concernant la condition d’originalité, la Cour considère que les éditions Zulma échouent à démontrer, dans la composition de la couverture de « L’Embellie », une liberté créative et un parti pris esthétique reflétant la personnalité de l’auteur, de nature à la qualifier d’une œuvre originale.
La Cour balaie ici les arguments avancés concernant les méthodes de travail de l’auteur de la couverture et concernant sa notoriété. Ces arguments sont indifférents dans l’appréhension de l’originalité. De la même manière, l’existence d’une typographie et d’une charte graphique régissant l’ensemble des couvertures des éditions Zulma a joué au détriment de l’éditeur, puisque la Cour considère que ces éléments ne permettent pas de démontrer l’originalité de la couverture de « L’Embellie » mais imposent au contraire d’envisager qu’il s’agit là d’un genre graphique commun à l’ensemble des ouvrages édités par la société. A cet égard, la Cour observe notamment que la volonté d’attirer l’œil du lecteur sur le titre et le nom de l’auteur ne relève pas d’un choix esthétique ou créatif mais d’un objectif fonctionnel et utilitaire, commun à l’ensemble des sociétés d’édition. Enfin, la reconnaissance dont jouit dans son domaine l’auteur des couvertures réalisées au profit des éditions Zulma ne concerne pas spécifiquement la couverture objet du débat et ne peut donc être prise en considération.
En outre, les développements par la société d’édition des choix qui auraient présidé à la réalisation de la couverture objet du débat n’émanaient pas de l’auteur lui-même – qui n’était pas dans la cause – et constitueraient ainsi de simples allégations. Ce positionnement des magistrats est ici critiquable, dès lors que la société éditrice aurait tout à fait pu retranscrire les indications qui lui auraient été transmises par l’auteur. En revanche, et sur l’appréhension même de l’originalité, la Cour considère que « le résultat ne relève pas d’une liberté créatrice mais correspond à une description purement technique, en des termes généraux et usuels, qui découle de la stricte observation impersonnelle et littérale de la couverture de l’ouvrage : un agencement de motifs géométriques simples (triangle et losange) avec des polices de caractère anciennes, créées par des tiers il y a plusieurs années, et dont l’usage est répandu (Caslon et Futura) ». Le travail de caractérisation de l’originalité était insuffisant selon la Cour.
Par conséquent, il résulte de l’ensemble de ces éléments que la couverture de l’ouvrage « L’Embellie » ne constitue pas une œuvre originale en ce qu’elle ne procéderait pas de choix libres et créatifs reflétant la personnalité de son auteur. La société Zulma est corrélativement dépourvue d’un intérêt à agir au titre de la contrefaçon et ne pouvait qu’être déboutée de ses demandes à ce titre. 

Un précédent en matière de rejet de l’originalité d’une couverture de roman
Cette solution rendue au détriment de l’éditeur n’est pas sans rappeler celle qui avait été retenue par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 24 septembre 2019[3] opposant les éditions Viviane Hamy à Flammarion. En effet, selon l’ancienne éditrice de Fred Vargas, la maquette de la couverture du premier ouvrage publié chez son concurrent reprenait les codes de sa collection « Chemins Nocturnes ». Dans cette affaire, la Cour avait alors considéré que les éditions Viviane Hamy avaient omis de revendiquer certaines caractéristiques notables de l’œuvre revendiquée, telles que le titre de la collection (chemins nocturnes) ou le chat stylisé faisant office de logo, mais aussi le resserrement du cadre blanc sur la partie centrale de la couverture ou la présence de quatre et deux lignes placées respectivement au-dessus et sous la photographie, « dont il ne peut qu’être observé qu’elles ne sont pas reproduites dans la maquette litigieuse ». Pour autant, la contrefaçon s’appréciant au regard des ressemblances et non des différences, la mention de ces éléments ne s’imposait aucunement sauf à tenter de tenter de caractériser une impression d’ensemble différente. Par ailleurs, et toujours selon la Cour, tous les choix opposés par les éditions Viviane Hamy sont pour des romans policiers banals, pris isolément ou même en combinaison, ne caractérisant pas l’originalité requise pour la protection des droits d'auteur.

Mais à la différence des éditions Viviane Hamy dans leur litige à l’encontre des éditions Flammarion, les éditions Zulma ont obtenu gain de cause sur le fondement du parasitisme. L’accueil d’un titre d’ouvrage dans le giron de la protection accordée par le droit d’auteur semble bien plus aisément admis que celui de la couverture elle-même, dont la fonction première (identification et promotion de l’ouvrage) semble bien souvent jouer au détriment des éditeurs. 


Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.

[1] CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 22 mars 2022, RG no 20/03988.

[2] CJUE, 12 sept. 2019, C.683/17, Cofemel - Sociedade de Vestuário SA contre G-Star Raw CV.

[3] CA, pôle 5, ch. 1, 24 sept. 2019, RG n°17/19205.