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Le rapport de la mission du CSPLA sur les jetons non fongibles

En novembre 2021, le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), Olivier Japiot, a confié à l’avocat Jean Martin et au maître des requêtes au Conseil d’État, Pauline Hot, une mission d’analyse du phénomène des jetons non fongibles (« JNF »), communément désigné sous sa dénomination anglaise « NFT » pour « non fongible token ».
La mission qui se devait « de fournir un état des lieux permettant d’identifier, d’analyser et d’évaluer le phénomène des JNF dans ses divers aspects juridiques, notamment au prisme du droit d’auteur, dans l’intérêt des différents acteurs concernés et de son marché » s’est achevée par la publication d’un rapport officiel, le 12 juillet 2022. Fruit d’une soixantaine auditions auprès de professionnels, le rapport présente successivement le NFT dans sa qualification juridique, son opportunité pour le secteur culturel mais également les multiples interrogations qui s’en infèrent avant  de s’achever par des propositions et recommandations dans l’attente d’un réel encadrement juridique.

Le rôle du CSPLA
Le CSPLA est une instance consultative dont la mission est de « conseiller le ministre chargé de la culture en matière de propriété littéraire et artistique. »[1]. A cet égard, il remplit une fonction d’observatoire de l’exercice et du respect des droits d’auteur et suit l’évolution des pratiques dans ce domaine, pouvant « provoquer le lancement d’études correspondant à ses missions »[2]. C’est dans ce cadre qu’a été inaugurée la mission d’analyse du phénomène des NFT.

La qualification juridique des NFT : entre exclusion et assimilation
En pratique, le rapport définit le NFT comme « un jeton cryptographique émis dans la blockchain associé à un « smart contract » », ce dernier correspondant à des lignes de codes inscrites sur la blockchain contenant diverses informations relatives au jeton (adresse de l’émetteur, nom du jeton, etc.).
La définition juridique du NFT est davantage délicate. Le rapport procède à des exclusions qui devraient trouver à s’appliquer, sauf exceptions. Ainsi, le NFT n’est pas une œuvre au sens du Code de la propriété intellectuelle, en ce qu’il ne reflète pas la personnalité de son auteur et ne revêt donc pas un caractère original. En effet, sa création relève d’un processus de codage informatique contraint et automatisé. Par ailleurs, le NFT ne contient en principe pas l’œuvre originale en elle-même. La mission propose alors de rattacher le NFT à un titre de propriété : « assimilable à un bien meuble incorporel, qui correspond à un titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain, auquel peuvent être associés d’autres droits sur le fichier numérique vers lequel il pointe. ».

Les NFT, véritable opportunité pour le secteur culturel
Selon le rapport, l’encadrement des NFT permettrait de protéger davantage la diversité artistique et pourrait conduire à une meilleure valorisation culturelle dans de nombreux domaines, par exemple en matière de photographie. En effet, le NFT permettrait d’offrir une traçabilité et une comptabilité des droits en cas d’association à des contrats de cessions de droits ou de licences dans ce domaine de la création artistique.

Une source d’interrogations juridiques et de nombreux défis encore à relever
Il est ensuite mis en exergue la nécessité de clarifier de nombreux points juridiques liés aux NFT et ce, dans les domaines de la propriété intellectuelle, de la fiscalité, de l’économie, domaines auxquels le rapport s’attache à apporter certains éclaircissements et hypothèses.
Parmi les nombreuses interrogations, figure la difficile identification des titulaires des droits d’auteur sur les NFT. Le rapport appelle à la plus grande des précautions lors de la production de NFT associés à des œuvres pour lesquelles la protection des droits patrimoniaux n’existerait plus, qui bien que librement reproductibles, nécessitent de respecter le droit moral, perpétuel, de leur auteur. Par ailleurs, l’émetteur devrait également être vigilant en cas de production de NFT sur une œuvre toujours protégée au titre des droits patrimoniaux et dont il n’est pas le titulaire des droits. Comme pour toute reproduction d’œuvres, il convient de s’assurer de disposer de l’accord de l’auteur, lequel peut s’accompagner d’une contrepartie financière. A défaut, les sanctions habituelles en matière de contrefaçon devraient donc trouver à s’appliquer.  
L’application du droit de suite aux reventes successives de NFT invite à la réflexion. Le droit de suite permet, sous certaines conditions, à l’auteur et ses ayants droit de bénéficier d’une rémunération à l’occasion de la revente du support d’une œuvre. Tout d’abord : est-il possible d’appliquer l’article R. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle relatif au champ d’application du droit de suite ? Autrement dit, le fichier numérique associé au NFT est-il une création plastique sur un support audiovisuel ou numérique, dans la limite de douze exemplaires ? Pour les auteurs du rapport, rien ne l’exclut. Une seconde interrogation réside dans la qualification des plateformes d’échanges de NFT : sont-elles des « professionnels du marché de l’art » permettant l’application du droit de suite ? La réponse n’est pas évidente, bien que leur rôle de marchand en ligne pourrait inciter à une telle assimilation. En tout état de cause, il serait envisageable d’inscrire dans le smart contract une application automatique de commissions, assimilables à un droit de suite. 
Les défis liés aux NFT dépassent le seul champ de la propriété intellectuelle et connaissent un retentissement dans le droit de la consommation. Le consommateur s’entend d’une personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale. Toute la subtilité réside donc dans la qualification du vendeur. En effet, si l’on considère que les plateformes mettent en relation des vendeurs professionnels avec des acheteurs consommateurs, les dispositions protectrices du droit de la consommation devraient s’appliquer, et notamment celles relatives aux contrats conclus à distance.

Des pistes pour sécuriser les cas d’usages des NFT
Enfin, le rapport formule une série de recommandations, lesquelles sont résumées en vingt propositions, afin d’adapter et de clarifier le régime des NFT dans l’attente d’une meilleure qualification juridique et d’un encadrement légal, et notamment des plateformes. Ainsi, le rapport fait état de la nécessité d’informer les utilisateurs de ces plateformes, d’élaborer une charte de bonnes pratiques mais également de parvenir à une coordination européenne. 

Il ressort donc de ce rapport de mission que les NFT, bien qu’étant source d’opportunité pour le secteur culturel, présentent des risques pour les auteurs, leurs ayants droit et les consommateurs, de telle sorte qu’un encadrement s’avère nécessaire. 

Un article écrit par Adélie Michel
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre juillet et octobre 2022.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, ainsi qu’au droit d’auteur, le Cabinet assiste des artistes dans l’appréhension juridique des nouveaux supports de création et de promotion que sont les NFT.

[1] Arrêté du 10 juillet 2000 modifié portant création du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, article 2.

[2] Ibid.