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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

De la faculté pour un éditeur de publier deux ouvrages sur le même sujet

À défaut de stipulation contractuelle contraire, un éditeur a la faculté de publier deux ouvrages sur un sujet similaire, dès lors que l’un des deux ouvrages n’est pas de nature à compromettre la commercialisation de l’autre. La résolution unilatérale par l’auteur échaudé de constater une telle publication concurrente, avant même la publication de son ouvrage, peut entraîner sa responsabilité contractuelle et l’indemnisation de préjudices de nature tant commerciale que morale.

En octobre 2015, un auteur et un éditeur s’entendaient pour la publication à venir d’un ouvrage dont l’intitulé provisoire était « Syrie, la naissance d’un nouvel ordre mondial » et concluaient en ce sens un contrat d’édition. En avril 2016, l’auteur remettait à l’éditeur un premier manuscrit avant d’adresser un courrier de résiliation seulement un mois plus tard à l’éditeur. Le motif d’une telle volonté de se délier du contrat conclu résidait dans la découverte de la publication à venir, chez le même éditeur, d’un autre ouvrage portant sur la Syrie et qui constituerait selon l’auteur un « télescopage qui ne peut qu’être préjudiciable » à son propre ouvrage. Pour autant, et un mois plus tard, soit en juin 2016, l’auteur réitérait son ire relative à la publication d’un ouvrage sur un sujet apparemment commun, tout en indiquant souhaiter tout à la fois différer la publication et retravailler le texte préalablement soumis. Fait surprenant, l’auteur reversait l’à-valoir perçu. En réponse, l’éditeur lui indiquait comprendre que l’auteur puisse bénéficier d’un temps complémentaire pour finaliser son texte tout en s’émouvant d’une résiliation unilatérale jugée non nécessaire, d’autant que son diffuseur avait commencé le travail de présentation du livre et reçu de nombreuses commandes.

Mais à la surprise de l’auteur de découvrir chez son éditeur une publication sur un sujet proche de celui de son ouvrage succéda la stupéfaction de l’éditeur de découvrir chez un concurrent la publication en mars 2017 du manuscrit remis en avril 2016. C’est pourquoi l’éditeur lésé assignait son ancien auteur devant le Tribunal judiciaire de Paris afin de voir engagée sa responsabilité contractuelle. La juridiction de première instance considéra qu’en ne livrant pas à son éditeur le manuscrit objet du contrat d’édition, l’auteur avait manqué à ses obligations contractuelles et avait corrélativement provoqué la résolution de ce contrat à ses torts exclusifs, emportant alors une indemnisation de son éditeur à hauteur de 6.000 euros au titre du préjudice commercial subi. Si la Cour d’appel de Paris, au terme de sa décision du 11 mai 2021[1], reprend le sens de la décision rendue en première instance, le montant alloué au titre du préjudice est néanmoins minoré.

La publication non fautive d’un autre ouvrage sur un sujet proche
Ainsi, selon la Cour d’appel de Paris, la seule circonstance que l’éditeur a prévu de publier un autre ouvrage sur le sujet de la Syrie au même moment, ouvrage dont « la structure et les sujets traités sont distincts de ceux évoqués par [l’auteur] dans son manuscrit », ne saurait justifier l’inexécution par l’auteur de ses obligations, dès lors que le contrat d’édition ne comportait aucune disposition particulière à ce sujet et que le fait que « cet autre ouvrage vienne compromettre l’exploitation de celui de [l’auteur] n’est aucunement démontré ».

En d’autres termes, la liberté éditoriale d’une société d’édition ne saurait permettre de réserver le traitement différencié d’un sujet au bénéfice d’un seul auteur à défaut de stipulation contractuelle explicite. Une telle solution est sensée, dès lors que de nombreux éditeurs ont créé des collections thématiques afin d’offrir à leur lectorat des offres spécifiques dans un domaine de prédilection. Au-delà de la question de la réservation d’un sujet au bénéfice d’un seul auteur, la publication aurait pu néanmoins venir perturber l’exploitation de l’ouvrage en litige. Mais pour cela, encore eut-il fallu que l’ouvrage en litige ait été publié pour parvenir à la démonstration d’une inexécution de l’obligation de l’exploitation permanent de la part de l’éditeur.

C’est en ce sens que la Cour d’appel indique qu’il n’était aucunement démontré que l’éditeur aurait manqué à son obligation d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, dès lors que cette obligation, « pour être exécutée, impliquait au préalable la remise par l’auteur d’un manuscrit et son accord pour la publication, ce qui n’a pas été le cas ». L’inexécution ne pouvait donc être nullement prouvée faute pour l’éditeur d’avoir été mis en capacité d’assurer ses obligations d’exploitation et de promotion. Une telle inexécution était d’autant plus hypothétique que la Cour d’appel relève à juste titre que« l’éditeur justifie au contraire avoir commencé avant publication son travail de promotion de l’ouvrage en le présentant aux commerciaux de son diffuseur ».

Dès lors, en ne livrant pas à son éditeur le manuscrit objet du contrat d’édition, alors même que l’éditeur n’avait pas manqué à l’exécution d’aucune de ses obligations, l’auteur avait nécessairement manqué à ses obligations contractuelles. La résolution du contrat à ses torts exclusifs s’imposait, quand bien même l’auteur avait-il procédé à la restitution de l’à-valoir précédemment versé.

Le calcul de l’indemnisation due à l’éditeur
L’éditeur sollicitait une indemnisation à hauteur de 10.000 euros au titre de son préjudice commercial, arguant d’avoir consacré du temps à la lecture du manuscrit et à la conception graphique de la couverture, et qu’il avait enregistré 950 commandes fermes. Par ailleurs, l’éditeur sollicitait une somme complémentaire de 5.000 euros au titre de son préjudice moral, compte tenu de l’atteinte portée à la confiance dont il est investi auprès notamment des acteurs de la diffusion des livres.

Sur le premier chef de préjudice, la Cour d’appel, au regard des pièces versées aux débats, et notamment de l’état des commandes et de l’attestation du diffuseur, conforte le fait que 959 exemplaires de l’ouvrage litigieux avaient été commandés à un prix de 15 euros. Mais si l’éditeur argue d’une marge de 26,6%, il ne s’en justifie aucunement. C’est pourquoi, et à défaut d’élément comptable complémentaire, la Cour fixe les dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial à la somme de 2.000 euros en lieu et place des 6.000 euros retenus en première instance.

Sur le second chef de préjudice, la Cour retient ici l’existence d’un préjudice moral à hauteur de 1.000 euros.


Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.

[1] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 11 mai 2021, RG no 19/00977.