La délicate originalité de la traduction d’un texte scientifique
La traduction d’une œuvre à caractère scientifique impose au traducteur une réelle fidélité au texte de l’œuvre d’origine qui oblitère bien souvent tout accès à la condition d’originalité. La seule mise en œuvre d’un savoir-faire technique déployé à l’occasion du travail de traduction empêche corrélativement l’expression de la personnalité du traducteur et toute protection au titre du droit d’auteur.
Un contrat de traduction prévoyait qu’un éditeur était investi de la possibilité de juger de la qualité de la prestation de traduction et qu’il pouvait en confier la révision à un tiers si le premier traducteur refusait de s’en charger lui-même. C’est au regard de cette stipulation contractuelle que l’éditeur notifia au traducteur la résiliation du contrat conclu en raison de la remise tardive d’une traduction jugée incomplète. La traduction fut alors confiée à un tiers et l’éditeur publia la nouvelle version du texte dans sa traduction reprise. Estimant que de nombreuses similitudes existaient entre la première traduction et le texte finalement publié, l’auteur de la première traduction assigna l’éditeur pour contrefaçon et pour rupture abusive du contrat conclu, soit deux fondements distincts ayant donné lieu à des considérations différentes tant par le Tribunal judiciaire de Paris que par la Cour d’appel de Paris[1].
En ce qui a trait à la rupture du contrat, la Cour d’appel de Paris, dans sa décision du 29 juin 2021, confirme le jugement rendu en première instance en retenant la responsabilité de l’éditeur qui avait rompu unilatéralement le contrat alors même qu’il n’avait pas refusé explicitement la traduction soumise ou proposé au traducteur de reprendre son travail afin d’y apporter les remaniements qui pouvaient être considérés comme nécessaires. Or, les stipulations du contrat prévoyaient bien un encadrement des conditions de l’éviction du premier traducteur, conditions aucunement respectées ici. À défaut d’avoir respecté les termes du contrat conclu, la responsabilité de l’éditeur était nécessairement acquise de ce chef.
La contestation de l’originalité du travail de traduction d’un texte scientifique
Le premier traducteur tentait, par ailleurs, de démontrer l’originalité de son travail en produisant de nombreux exemples et en soutenant que sa traduction témoignait de choix personnels significatifs créatifs et inventifs. Le requérant soutenait ainsi que « l’objectif de fidélité qui s’impose au traducteur n’interdit pas de faire des choix » tandis que l’éditeur invoquait le fait que « les choix personnels prétendument réalisés » démontraient que le traducteur avait « dénaturé le texte original au lieu d’y rester fidèle ». La traduction litigieuse portait ici sur « une œuvre à caractère scientifique » dont l’éditeur considérait, à l’instar de l’appréciation finale de la Cour d’appel, qu’elle « impos[ait] au traducteur une particulière fidélité à la pensée de l’auteur de l’œuvre d’origine ».
Cette appréciation différenciée selon la nature de l’œuvre traduite n’est pas nouvelle. Il est ainsi loisible de citer une décision, certes ancienne mais constante, de la Cour d’appel de Paris du 27 janvier 1987 qui avait pu retenir pareilles solution et distinction, accueillant de manière plus aisée la caractérisation de l’originalité d’une traduction d’une œuvre littéraire par rapport à celle d’une œuvre première technique, scientifique ou encore utilitaire[2]. En effet, le traducteur doit une certaine fidélité au texte, dont il ne peut dénaturer l’esprit. Ainsi, la composition est en principe reprise et l’apport personnel du traducteur se situe uniquement dans le champ de l’expression.
Afin de rejeter la caractérisation de l’originalité revendiquée de la traduction, la Cour d’appel de Paris opère ici une distinction entre le travail et la création, entre le savoir-faire et l’expression d’une personnalité. Selon les magistrats, les choix revendiqués par le traducteur relevaient davantage de son « savoir-faire » et de sa « parfaite connaissance du sujet » que d’un réel « effort créatif » ou d’une « démarche subjective ». Le seul souci d’une cohérence stylistique argumenté par le traducteur ayant listé les différents choix grammaticaux, documentaires et lexicaux mis en œuvre ne peut justifier d’une réelle empreinte de sa personnalité. À défaut de se voir reconnaître la qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit, l’action en contrefaçon devait corrélativement achopper.
Une caractérisation plus aisée pour les textes littéraires
Pour autant, toute traduction n’est pas nécessairement dépourvue d’originalité. Et ce, d’autant plus que les dispositions de l’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle réputent bien que « les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ». Une nouvelle fois, et à l’instar de toute autre création pour laquelle le bénéfice du droit d’auteur est revendiqué, la qualification de l’originalité s’impose en premier lieu, que cette originalité s’exprime de manière autonome ou de manière dérivée par rapport à une œuvre en rapport, comme en matière de traduction.
À cet égard, une décision plus ancienne de la Cour d’appel de Paris mérite d’être mentionnée. Le 7 juin 2016, les juges de la Cour d’appel avaient pu énoncer dans un attendu de principe limpide les enjeux attachés à la caractérisation de l’originalité d’une traduction d’une œuvre littéraire. Ainsi, selon ces magistrats, « pour bénéficier de cette protection, la traduction, tout en restant fidèle à l’œuvre première, doit révéler l’existence d’un dialogue intime avec celle-ci dans lequel se révèle la personnalité et l’activité créative du traducteur »[3]. Et ce dialogue intime permettant une éventuelle activité créative du traducteur doit être prouvé.
Dans l’espèce concernée, la Cour avait ainsi retenu que les traducteurs avaient cherché « à se démarquer d’une simple traduction littérale en français de la pièce de théâtre [de l’auteur], par une adaptation et une mise en forme originale, notamment pour rester au même niveau de langage des personnages et leur personnalité propre (étant rappelé que tout le texte est composé de dialogues) sans que le texte de l’œuvre source l’imposait ». Les dialogues composant le texte traduit reposaient alors sur des choix personnels des traducteurs « en s’éloignant de la traduction littérale de façon significative et qui ne s’imposaient pas » d’eux-mêmes.
Mais toute traduction d’une œuvre première ressortant du domaine de la littérature n’est pas nécessairement éligible à la protection par le droit d’auteur et ce, à l’instar de toute autre création. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris, dans une décision du 2 avril 2014, refusa une quelconque protection au bénéfice du titre Cinquante nuances de Grey, traduisant le titre anglais Fifty shades of Grey[4]. En effet, selon la Cour, « dans le cas de la traduction d’une œuvre littéraire écrite dans une langue étrangère, le titre français est protégeable pour autant qu’il s’agisse d’une interprétation originale et non pas d’une simple traduction littérale du titre étranger ». Or, en l’espèce, « le titre de l’édition française du roman d’E.L. James n’est que la traduction littérale du titre anglais (Fifty shades of Grey) ; qu’en effet le terme « Grey », s’il peut désigner en langue anglaise la couleur grise, fait référence de par l’usage d’une majuscule, à l’un des deux personnages principaux du roman, Christian Grey [...] ».
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.
[1] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 29 juin 2021, RG no 18/21198.
[2] CA Paris, 27 janv. 1987, JurisData n° 1987-021223.
[3] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 7 juin 2016, RG no 15/03475.
[4] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 2 avr. 2014, RG n° 13/08803.