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La difficile protection des meubles Tolix tombés dans le domaine public

Article publié le 10 janvier 2024

Xavier Pauchard, fondateur en 1927 du fleuron du design français Tolix, est décédé en 1948. Ses différentes créations, dont la chaise « A » présente dans les collections de nombreux musées, sont entrées dans le « domaine public » en 2018. Aujourd’hui, les conséquences économiques de la perte de cette protection essentielle se ressentent lourdement sur la société qui affirme avoir perdu la moitié de son chiffre d’affaires et avoir dû licencier 40 % du personnel de son usine. L’extinction légale de la protection au titre du droit d’auteur a imposé à la société implantée à Autun d’avoir recours à d’autres droits de propriété intellectuelle et notamment au dépôt de marques tridimensionnelles en décembre 2017, afin d’empêcher la commercialisation de meubles trop similaires.

Des meubles importés de Chine et retenus en douane à l’origine du litige
À la fin de l’année 2020, la société Tolix était informée par les douanes françaises de l’importation et de la vente sur le territoire national de trois modèles, une telle information ayant été portée à sa connaissance à la suite d’une retenue douanière de plus de mille chaises et tabourets importés de Chine. L’importateur basé au Havre proposait à la vente sur une page Internet une chaise et deux tabourets similaires à l’emblématique chaise « A », au tabouret « H », ainsi qu’une déclinaison de ce dernier plus récente désignée sous les lettres « HPD ». L’adresse url de la page Internet de l’importateur français mentionnait également le nom de l’éditeur historique « Tolix ». C’est pourquoi l’éditeur autunois décidait d’assigner l’entrepreneur individuel ayant importé les assises en contrefaçon de droit d’auteur, de droit des marques – tridimensionnelles et verbales – ainsi qu’en concurrence déloyale et en parasitisme.
Confirmant la décision de première instance, la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 29 novembre 2023, annule les marques tridimensionnelles protégeant la chaise « A » et le tabouret « H » et rejette la protection au titre du droit d’auteur pour la déclinaison avec dossier du tabouret « H » au détriment de l’éditeur. La commercialisation sur le site Internet par l’importateur constitue néanmoins une contrefaçon de la marque verbale « Tolix ». Mais surtout, la Cour d’appel de Paris condamne l’importateur au titre des actes parasitaires à verser la somme de 10.000 euros. Cette décision fleuve concernant un des éditeurs français historiques permet de mettre en lumière l’impact de la perte des droits d’auteur entrés dans le domaine public sur la vie d’une société spécialisée dans l’édition de meubles design. Elle permet également de revenir sur les différentes protections juridiques mobilisables par les créateurs ou les éditeurs afin de tenter de protéger au mieux leurs investissements intellectuels et financiers.

Les droits de propriété intellectuelle utilisés par Tolix pour protéger ses meubles
Pour protéger les créations de design, les éditeurs et les designeurs ont à leur disposition trois catégories de droits de propriété intellectuelle : la marque, les dessins et modèles et le droit d’auteur. Le premier vient protéger un signe qui distingue des produits et services d’une entreprise assurant ainsi une garantie d’origine. Les deux autres protègent, quant à eux, l’apparence d’une création sous réserve du respect de certaines conditions.
Contrairement aux deux premiers titres de propriété intellectuelle, le droit d’auteur n’impose aucun formalisme spécifique et la protection naît dès l’acte de création sur la tête de l’auteur. Seule la marque confère une protection illimitée, la protection des dessins et modèles étant limitée à vingt-cinq années à compter du début de l’exploitation et le droit d’auteur expirant à l’issue de la soixante-dixième année à la suite du décès de l’auteur.

Les enjeux juridiques de la décision pour l’éditeur
La différence de durée des protections accordées met en relief l’existence d’un impératif de protection du consommateur pour le droit des marques, alors que les deux autres biais de protection, visant à récompenser économiquement l’investissement d’une personne, doivent fléchir face à la nécessaire circulation des idées afin de permettre un progrès technique et, corrélativement, la liberté du commerce.
Cette décision illustre ainsi la difficulté pour les maisons d’édition de meubles design et les créateurs de conserver le contrôle sur leurs créations une fois la protection accordée par le droit d’auteur expirée et le difficile recours au droit des marques pour tenter d’y pallier. En effet, alors que la Cour d’appel de Colmar avait pu sanctionner un autre importateur en janvier 2022 pour un montant plus important, une telle décision concernait des faits datés de 2016, soit deux ans avant l’extinction de la protection accordée par le droit d’auteur. À cette époque, le recours unique au droit d’auteur s’avérait ainsi encore suffisant.
Elle invite enfin à s’interroger sur la place accordée par le parasitisme, reconnu par la Cour d’appel, et qui confère à l’entreprise Tolix un ultime fondement pour tenter de lutter au mieux contre la vente de ses meubles iconiques sans son autorisation.

Un article écrit par Me Simon Rolin,
Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet. 

Le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des designers, des ayants droit de designer et des sociétés d’édition dans le cadre de la défense de leurs droits et de la promotion de leurs créations. Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et du marché de l’art, et plus généralement au droit d’auteur, le Cabinet assiste régulièrement des artistes et leurs héritiers confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme. Avocats en droit de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, droit d’auteur, droit de la propriété industrielle, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).