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Amendement pour proroger le dispositif d’aide à l’acquisition d’œuvres d’art contemporain

Créé en 1987 à l’occasion de la loi sur le développement du mécénat, le dispositif d’aide à l’acquisition d’œuvres d’art contemporain par les entreprises doit cesser à la fin de l’année 2022. Un amendement a été présenté par des députés du groupe parlementaire Renaissance dans le cadre de l’adoption du projet de loi de finances 2023. Ce dernier a néanmoins été retiré avant discussion, laissant les acteurs du marché de l’art dans la crainte de sa suppression.

Adopté dans le cadre de la loi du 23 juillet 1987 sur développement du mécénat, ce dispositif est désormais codifié à l’article 238 bis AB du Code général des impôts. Grâce à ce mécanisme, les entreprises peuvent déduire, sous réserve de respecter certaines conditions, l’intégralité du prix d’acquisition hors taxes d’une œuvre d’art sur une période de cinq années. S’il a été créé en même temps que les autres dispositions « mécénat », ce dispositif diffère, depuis la loi dite « Aillagon » de 2003[1], des dons réalisés par des entreprises au profit d’organismes d’intérêt général, un tel dispositif était codifié sous l’article 238 bis du même Code. Cette loi a en effet substitué le mécanisme de déduction d’impôt du montant des dons par les entreprises, prévu par loi de 1987, au profit d’une réduction d’impôt du montant des dons.  Si la déduction d’impôt vient diminuer l’assiette sur laquelle l’impôt est calculé, la réduction d’impôt s’impute quant à elle directement sur le montant de l’impôt à payer par le contribuable. Dans ce dernier cas, les effets sur le montant d’impôt sont donc bien plus importants et corrélativement plus incitatifs.

Une œuvre d’art ne peut être comptabilisée comme une immobilisation
Cette spécificité du régime visé à l’article 238 bis AB du Code général des impôts peut s’expliquer par l’impossibilité pour les entreprises d’amortir comptablement les œuvres d’art. La plupart des actifs composant le patrimoine d’une entreprise voient leur valeur décroitre en raison de leur usage ou de l’effet du temps. Cette dépréciation vient diminuer le patrimoine de l’entreprise et constitue, en conséquence, une perte pour celle-ci. Le plan comptable général autorise donc l’entreprise à prendre en compte cette dépréciation en l’amortissant, ce qui entraîne une imputation sur le chiffre d’affaires et corrélativement sur l’assiette imposable.
Or, au regard de leur nature spécifique, les œuvres ne peuvent pas être comptabilisées comme des amortissements puisque leur valeur ne décroit pas en fonction du temps ou de leur usage. La loi de 1987 instituant une déduction d’impôt de l’intégralité du prix de vente hors taxes sur cinq années a permis de pallier cette impossibilité pour l’entreprise d’amortir le coût des œuvres d’art en créant in fine le même effet qu’un amortissement.

Un régime strict excluant les professions libérales
Le bénéfice du dispositif prévu à l’article 238 bis AB du Code général des impôts est néanmoins subordonné au respect de plusieurs conditions. Tout d’abord, l’œuvre acquise doit être considérée comme une œuvre d’art au sens de l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts[2]. Mais surtout, il doit s’agir d’une œuvre d’un artiste vivant. Par ailleurs, l’entreprise bénéficiaire doit exposer l’œuvre à titre gratuit dans un lieu accessible au public ou aux salariés, à l’exception de leurs bureaux. Ainsi, une entreprise qui souhaite bénéficier de ce dispositif peut mettre en dépôt l’œuvre au sein d’une institution muséale ou bien dans un lieu accessible au public à l’instar d’un espace d’accueil.
Enfin, la déduction doit être inscrite sur un compte de réserve spéciale au passif du bilan afin de réintégrer les sommes déduites au résultat imposable en cas d’affectation ou de cession de l’œuvre. Une telle obligation exclut les professions libérales du bénéfice de ce dispositif. En effet, les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux n’ont pas la faculté de créer au passif de leur bilan un compte de réserve spéciale et ne peuvent donc procéder à la réintégration extracomptable. Une telle difficulté les empêche alors de bénéficier de ce dispositif, ce qui s’avère bien souvent ignoré de la part de ces professions.

Une bataille de chiffres au dépens des artistes et des marchands ?
La suppression de ce dispositif a été entérinée à la suite du rapport de la Cour des comptes de novembre 2018 sur le soutien public au mécénat des entreprises. Ce rapport avait certes souligné le dispositif fiscal avantageux et dynamique mis en place depuis la loi du 1er août 2003 dite « loi Aillagon » mais avait surtout pointé une dépense fiscale croissante « à l’efficience mal évaluée et peu contrôlée ». Pour autant ce rapport s’attardait très peu sur le dispositif permettant aux entreprises d’acquérir des œuvres d’un artiste vivant indiquant seulement « les informations permettant d’apprécier leur succès auprès des entreprises sont limitées au montant annuel de la dépense fiscale, du reste très faible »[3]. La fourchette du coût de ce dispositif de un à sept millions d’euros mentionnée dans le rapport était très vague[4]. Ce dispositif mal évalué constitue donc une victime collatérale des dispositions créées par la loi Aillagon, alors même qu’il n’a pas fait l’objet de modifications incitatives.
Après avoir tenté de proroger ce dispositif à l’occasion de l’adoption du projet de loi de finances 2022 sans succès, les différents syndicats représentatifs des professions jouent leurs dernières cartes lors de l’examen du projet de loi de finances 2023. Pour l’heure, les représentants des artistes et des galeries d’art continuent de se heurter à l’assimilation malheureuse de ce dispositif spécifique peu connu et mal évalué, aux réductions d’impôt prévues par la loi Aillagon.

Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels et les associations professionnelles souhaitant faire évoluer le cadre juridique (légal et réglementaire) attaché à leur activité sur ce secteur si spécifique. Au-delà de la seule maîtrise des procédures à déployer pour sensibiliser et convaincre les parlementaires, l’accompagnement proposé offre une compréhension fine des problématiques sectorielles du monde de l’art et du marché de l’art.

[1] Loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations.

[2] Sont également admises en déduction dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 238 bis AB du CGI, les sommes correspondant au prix d'acquisition d'instruments de musique.

[3] Cour des comptes, « Le soutien public au mécénat des entreprises, Un dispositif à mieux encadrer », p. 43.

[4] Cour des comptes, « Le soutien public au mécénat des entreprises, Un dispositif à mieux encadrer », p. 85