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La donation avec réserve de jouissance : une transmission spécifique de la propriété de l’œuvre d’art

Les libéralités ayant pour objet des œuvres d’art contribuent à l’enrichissement des collections tant privées que publiques. En effet, la donation constitue un moyen privilégié de transmettre un bien à autrui tout en bénéficiant d’un régime fiscal souvent avantageux. Bien qu’en principe la donation porte sur un bien en pleine propriété, le donateur peut se réserver la jouissance de l’œuvre par l’introduction d’une clause spécifique dans l’acte de donation, dénommée « clause de réserve de jouissance » ou encore « clause de réserve d’usufruit ».  

Un démembrement de la propriété de l’œuvre
Un tel mécanisme est expressément prévu par l’article 949 du Code civil qui dispose qu’ « il est permis au donateur de faire la réserve à son profit ou de disposer, au profit d’un autre, de la jouissance ou de l’usufruit des biens meubles ou immeubles donnés. ». Il apparaît que la spécificité de cette donation réside dans son démembrement de propriété, lequel répond aux règles classiques du droit des biens. Le donateur se réserve l’usufruit sur l’œuvre, entendu alors comme le droit d’usage et de jouissance sur un bien dont un autre est propriétaire[1]. Ainsi, le donateur usufruitier doit la conserver et peut percevoir les revenus afférents à l’œuvre. A l’inverse, le bénéficiaire de la donation a reçu la nue-propriété de l’œuvre et peut exercer les actes de disposition sur celle-ci. La donation porte donc uniquement sur la seule nue-propriété du bien.

L’absence de dépossession immédiate du donateur
L’acte notarié peut stipuler que le donateur conserve la jouissance de l’œuvre sa vie durant ou pour une période déterminée au terme de laquelle l’œuvre rejoint pleinement le patrimoine de la personne privée ou publique bénéficiaire de la donation. Lorsque le terme est celui du décès du donateur, il s’agit d’un usufruit viager, bien que l’acte puisse également contenir une clause de réversion d’usufruit au profit du conjoint survivant. A l’inverse, l’usufruit est temporaire lorsque le terme est déterminé. A la fin du terme déterminé ou déterminable, ou en cas de révocation de celui-ci par le donateur, la pleine propriété de l’œuvre a vocation à se reconstituer auprès du nu-propriétaire.

Un mécanisme présentant des intérêts certains
Ce démembrement de propriété se révèle particulièrement adapté pour les collectionneurs désireux d’anticiper la transmission de leur collection tout en conservant la jouissance de leurs œuvres ? Il est également fort utile en prévision de l’acquittement de droits de succession parfois conséquents. Cette donation bénéficie d’un régime fiscal particulièrement favorable. En effet, la nue-propriété de l’œuvre est transmise par le donateur de telle sorte que seule celle-ci sera assujettie aux droits de donation, selon un pourcentage déterminé en fonction de l’âge de l’usufruitier et de l’application d’un barème fiscal précis[2]. Au terme précisé dans l’acte de donation, le nu-propriétaire recouvrera la pleine propriété de l’œuvre sans être assujetti au paiement d’une somme complémentaire. Une spécificité existe également pour les donations d’œuvre d’art, de livres, d’objets de collection ou de documents de haute valeur artistique ou historique à l’État, lesquelles sont exonérées des droits de mutation et des taxes annexes[3].

La possible action des tiers face aux abus du donateur
Ce mécanisme peut être source d’insécurité à l’égard des tiers. Le donateur, en effectuant une donation sous réserve de jouissance, peut chercher à réduire le gage des créanciers, sans qu’ils en aient connaissance, car le donateur continue à jouir du bien. Pour autant, les créanciers ne sont pas totalement démunis et peuvent mettre en œuvre l’action dite paulienne, laquelle leur permet d’agir à l’encontre du débiteur, qui, en raison de son comportement frauduleux, tente d’échapper à ses obligations[4]. Le créancier doit alors démontrer que la donation a compromis le paiement de sa créance, nécessitant alors de caractériser l’insolvabilité du donateur. 

Une libéralité contribuant à l’enrichissement des collections publiques
La possibilité d’effectuer une donation d’œuvres d’art, de livres, d’objets de collection ou de documents de haute valeur artistique ou historique sous réserve de jouissance à l’État est expressément prévue par le Code général des impôts, sous réserve d’un agrément donné par décret en Conseil d’État. Pour les musées nationaux, l’arrêté est pris par le ministre de la Culture, après avis du Comité consultatif et du Conseil artistique. Une telle donation peut permettre au donateur de conserver « sa vie durant, la jouissance du bien donné » et que celle-ci « bénéficiera après sa mort à son conjoint »[5], bien que le donateur puisse y renoncer à tout moment. La durée de la jouissance ne peut toutefois excéder vingt-cinq ans pour les personnes morales, à moins que l’œuvre ne soit accessible au public selon les conditions déterminées par l’agrément de la donation. C’est notamment par ce mécanisme que le Musée d’Orsay s’est enrichi, en 2016, d’un nombre conséquent d’œuvres de Pierre Bonnard et d’Édouard Vuillard, consenties en donation sous réserve d’usufruit par le collectionneur Jean-Pierre Marie-Rivière.

Un article écrit par Adélie Michel
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre juillet et octobre 2022.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement des collectionneurs désireux d’envisager et d’anticiper la transmission de leurs oeuvres.

[1] Code civil, article 578.

[2] Lequel est fixé à l’article 669, I du Code général des impôts.

[3] Code général des impôts, article 1131.

[4] Code civil, article 1341-2.

[5] Code général des impôts, article 1131.