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La déclaration de soupçon à Tracfin

Article publié le 6 décembre 2023

Élément fondamental de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), la déclaration de soupçon doit être parfaitement maîtrisée par l’ensemble des acteurs du marché de l’art afin d’éviter tout engagement de leur responsabilité et toute sanction éventuelle.

Le Code monétaire et financier impose aux professionnels assujettis aux obligations en matière de LCB-FT, notamment du marché de l’art, de procéder à une déclaration de soupçon à Tracfin dès lors qu’ils « savent, soupçonnent ou ont des raisons de soupçonner » que les fonds employés pour la transaction relative à une œuvre d’art ou un objet de collection ont une origine illicite et pourraient permettre la réalisation d’une opération de blanchiment d’argent. Tel est notamment le cas lorsque ces fonds sont reliés au financement du terrorisme ou proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an, conformément à l’article L. 561-15 du Code monétaire et financier. Parmi ces hypothèses, il est possible d’envisager les délits d’escroquerie, d’abus de confiance ou encore de vol.

Bien qu’il soit à relever qu’aucune définition légale n’existe en ce qui a trait au soupçon, selon les lignes directrices communes entre Tracfin et la DGDDI (direction générale des douanes et droits indirects) de novembre 2020, relatives aux opérateurs de ventes volontaires, le soupçon devrait s’entendre comme « le fruit d’une réflexion du professionnel en fonction de l’expertise qu’il possède dans son domaine d’activité. Il résulte d’un doute qui le conduit à s’interroger sur la licéité de l’opération, eu égard notamment à l’origine supposée de la somme, de l’objet de la transaction, du comportement et de la réputation du client ». Les contours de la « réflexion » du professionnel peuvent interroger dès lors que la notion induit une nécessaire part d’appréciation personnelle et, corrélativement, une absence de ligne directrice claire. Une réflexion identique est à l’œuvre au regard de la notion cardinale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, puisque la notion même de « doute » dénote elle-même l’existence d’une part d’appréciation personnelle.

Si les autorités compétentes que sont Tracfin et la DGDDI constatent régulièrement le manque de proactivité des acteurs du marché de l’art (bien que les commissaires de justice et les opérateurs de ventes volontaires aient procédé en 2021 à 186 déclarations de soupçon), une autre lecture de la situation et du nombre relativement faible de déclarations de soupçon est ainsi possible. Habitués aux spécificités de ce marché si singulier, les acteurs du monde de l’art (commissaires-priseurs, galeristes ou encore antiquaires) peuvent avoir vocation à moins douter de l’origine des sommes ou des objets au regard des interlocuteurs réguliers avec lesquels ils peuvent commercer. Pour autant, des critères plus objectifs existent permettant aux professionnels de mieux déterminer quand procéder à une déclaration de soupçon. 

Quand déclarer un soupçon ?
Le professionnel concerné doit effectuer une déclaration de soupçon lorsque le soupçon est établi au terme de l’analyse qu’il a conduite, c’est-à-dire lorsqu’il n’a pas obtenu, au regard des informations et documents recueillis auprès de son client ou par d’autres moyens, d’assurance raisonnable quant à la licéité des fonds ou de l’opération, ou quant à sa justification économique au regard de sa connaissance de la clientèle.
En d’autres termes, le professionnel concerné doit tenir compte d’un faisceau d’indices. Il évalue les risques en fonction de chaque situation, grâce aux informations qu’il a recueillies, et se forge une opinion sur le caractère régulier ou non de la transaction projetée. Le doute résulte d’une réflexion qui doit être autant que possible objective et méthodique, pareille réflexion étant intimement liée à la connaissance précise du marché et à la connaissance de la clientèle de la part du professionnel. Lorsque le professionnel estime le soupçon caractérisé, il procède à une déclaration Tracfin.
S’agissant du cas particulier du blanchiment de fraude fiscale au sens de l’article L. 561-15-II du Code monétaire et financier, une déclaration à ce titre nécessite que l’un au moins des seize critères énumérés à l’article D. 561-32-1 du Code monétaire et financier soit constaté par le professionnel.  

Qui doit procéder à la déclaration ?
Chaque établissement, c’est-à-dire chaque société dans laquelle l’exercice professionnel est réalisé, doit désigner un déclarant et un correspondant Tracfin. Le déclarant et le correspondant peuvent correspondre à une seule et même personne en cas d’effectif inferieur à cinq personnes au sein de la société, ce qui pourra correspondre à de très nombreux cas pour les galeries d’art et les maisons de vente.
Plus précisément, le déclarant est la personne habilitée à procéder à la déclaration de soupçon. Il transmet les déclarations de soupçon à Tracfin et, le cas échéant, les déclarations de soupçon complémentaires. Quant au correspondant, il s’agit de la personne chargée de répondre aux demandes de Tracfin et « d’assurer la diffusion aux membres concernés du personnel des informations, avis ou recommandations de caractère général qui en émanent ». Il est destinataire des accusés de réception des déclarations de soupçon et traite les demandes de communication de pièces ou de documents émanant de Tracfin concernant les déclarations de soupçon. Il est ainsi impératif pour les professionnels, opérateurs de ventes volontaires, marchands, galeristes ou experts, de bien identifier au sein de leur structure, notamment par la rédaction de tout document interne, les personnes – salariées ou dirigeants – ayant la mission de remplir le rôle de déclarant et de correspondant.  

Que doit comporter la déclaration de soupçon ?
La déclaration de soupçon doit comporter trois éléments essentiels, à savoir (i) l’ensemble des éléments dont le professionnel dispose quant à l’identité des parties à l’opération, (ii) une analyse factuelle, précise et détaillée, ainsi que (iii) le délai d’exécution de la transaction.
Selon les lignes directrices de Tracfin et des Douanes, doit donc figurer explicitement, dans la déclaration de soupçon, l’analyse précise et détaillée des faits ayant conduit au soupçon à l’origine du signalement. L’obligation de déclaration constitue « la conséquence naturelle de l’analyse effectuée et de ses conclusions ».
La déclaration de soupçon peut notamment être effectuée, de façon simple et assez efficace, par le biais du portail ERMES. Le professionnel peut encore y procéder par courrier.
Pour autant, la DGDDI et Tracfin ont dû rappeler le caractère essentiel de la correcte rédaction des déclarations de soupçon, quelles que soient les modalités de transmission de ces dernières. La clarté, la concision et la précision de la présentation des éléments d’information mentionnés dans la déclaration de soupçon sont particulièrement importantes pour l’efficacité du dispositif LCB-FT selon les deux autorités.
C’est pourquoi, si Tracfin constate que des informations obligatoires listées par l’article R. 561-31 du Code monétaire et financier sont manquantes, le service informe le déclarant, lequel dispose d’un mois pour régulariser la situation. Passé ce délai, Tracfin l’informe de l’irrecevabilité de sa déclaration de soupçon qui ne sera pas traitée. Attention, une telle situation, marquée par l’irrecevabilité, va priver le déclarant du bénéfice des exonérations de responsabilité civile, pénale et professionnelle prévues à l’article L. 561-22 du Code monétaire et financier.  

Quelles sont les conséquences de la déclaration pour l’opération ?
Les conséquences sur l’opération projetée dépendent de la temporalité de la déclaration. Si le soupçon apparaît avant la conclusion de la transaction, le professionnel doit suspendre la mise en œuvre de cette transaction et procède à la déclaration. Tracfin peut également exercer son droit d’opposition. L’opération peut être finalisée si (i) Tracfin ne notifie pas d’opposition ou (ii) si dix jours après la notification, aucune décision du Président du Tribunal judiciaire de Paris ne parvient au professionnel.
Si le soupçon apparaît après l’opération, la déclaration doit être transmise sans délai. Il n’est pas exigé du professionnel qu’il annule l’opération.
En tout état de cause, la déclaration de soupçon n’est pas un acte anodin, car elle entraîne automatiquement un traitement par Tracfin de l’information ainsi déclarée, lequel peut donner lieu à des investigations complémentaires voire à une transmission à l’autorité judiciaire ou à d’autres administrations compétentes.  

La déclaration est-elle confidentielle ?
La déclaration de soupçon est marquée du sceau de la confidentialité. Le déclarant a l’interdiction de révéler à son client ou à toute personne l’existence d’une déclaration de soupçon, son contenu, ainsi que les suites données à celle-ci. De la même manière, et par souci de parallélisme, il est interdit à Tracfin de divulguer la déclaration de soupçon et donc d’informer le client de l’opérateur de ventes volontaires ou du galeriste.  

Un article écrit par Me Alexis Fournol
Avocat Associé 

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.