Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Quelle protection pour les œuvres créées à l’aide de l’intelligence artificielle ?

La notion d’intelligence artificielle recouvre « la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité »[1]. Le développement de tels outils est en pleine expansion et le domaine de la création n’est pas en reste : en 2016, une intelligence artificielle a composé, à partir de trois cent quarante-six tableaux du peintre Rembrandt, un tableau reprenant la technique et le style du maître hollandais. En 2018, l’œuvre Edmond de Belamy, créée en utilisant les algorithmes d’intelligence artificielle Generative Adversarial Networks, par le collectif français Obvious a été adjugée par la société Christie’s à 430.000 dollars. Enfin, l’œuvre Théâtre d’opéra spatial, réalisée avec Midjourney par l’artiste Jason Allen a remporté le Colorado State Fair’s en 2022, et devient le premier contenu créé par une intelligence artificielle à remporter un concours.
Au-delà de la prouesse technique et de la séduction que peut offrir un tel outil, l’utilisation d’intelligences artificielles au sein même du processus créatif interroge nécessairement quant à l’éventuelle protection par le droit d’auteur du contenu ainsi généré ainsi qu’au titulaire de ce droit.

Les intelligences artificielles dites génératives
La notion même d’intelligence artificielle s’avère marquée du sceau de la diversité, recouvrant notamment les intelligences artificielles dites « génératives ». Celles-ci s’entraînent selon la méthode du machine learning, par la mise à disposition d’éléments présents en ligne, afin de générer des contenus nouveaux selon les instructions données par un utilisateur. Un tel système est défini par l’Ai Act européen comme « un logiciel qui est développé au moyen d’une ou plusieurs des techniques et approches énumérées à l’annexe I [telles que l’apprentissage automatique] et qui peut, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, générer des résultats tels que des contenus, des prédictions, des recommandations ou des décisions influençant les environnements avec lesquels il interagit »[2]. Ces intelligences artificielles reçoivent des instructions d’un utilisateur afin de générer des images, du texte, de la musique, etc.

Une protection au titre du droit d’auteur octroyée au seul auteur, personne physique
Bien que le Code de la propriété intellectuelle ne le précise pas expressément, la jurisprudence française exige que l’auteur soit une personne physique, déniant une telle qualité à une personne morale[3]. Le Code de droit économique belge s’avère davantage explicite puisqu’il énonce que « Le titulaire originaire du droit d’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre »[4]. Enfin, le Copyright Office américain précise que « pour être qualifiée d’"œuvre d’auteur", une œuvre doit être créée par un être humain »[5]. Ainsi, seule une personne physique peut prétendre à la qualité d’auteur de l’œuvre ainsi créée, déniant pareille qualité à l’algorithme de l’intelligence artificielle ou à la société ayant développé cet algorithme.

Une intervention humaine nécessaire pour la protection d’une œuvre au titre du droit d’auteur
Au regard de l’utilisation croissante des intelligences artificielles dans le processus d’élaboration de la création, l’institution américaine chargée d’enregistrer des informations sur la titularité du droit d’auteur, le Copyright Office, a procédé à des éclaircissements successifs. En février 2023, cette institution a refusé d’accorder à l’artiste Kris Kashtanova la titularité des droits d’auteur sur une bande dessinée créée avec Midjourney car l’artiste ne pouvait qu’influencer le choix de l’image obtenue par des instructions spécifiques. Pour autant, elle ne pouvait dicter le résultat obtenu de telle sorte qu’elle ne contrôlait et ne guidait pas l’intelligence artificielle[6]. A contrario, le Copyright Office a approuvé l’enregistrement sur les éléments créés par l’artiste, à savoir le texte, la sélection et la disposition des images et du texte. Dans cette continuité, l’office américain a publié des lignes directrices sur les œuvres contenant des éléments générés par l’intelligence artificielle, en refusant l’enregistrement d’œuvres produites par une machine ou un simple processus mécanique qui fonctionne de manière aléatoire ou automatique sans aucune contribution créative ou intervention d’un auteur humain[7].
Il s’en infère que la protection au titre du droit d’auteur n’est accordée que si l’intervention humaine est prépondérante. Tel est notamment le cas lorsque l’auteur utilise l’intelligence artificielle comme un simple outil d’assistance ou encore si des sélections ou des modifications substantielles sont opérées sur les images générées. En tout état de cause, les efforts et les dépenses afférentes à la réalisation sont sans incidence aucune sur la protection[8].
En toute hypothèse, l’utilisation d’un outil technologique, tel qu’un algorithme, ne peut automatiquement emporter le rejet de la qualité d’œuvre au résultat obtenu.  

La titularité des droits sur l’œuvre 
La réalisation d’une œuvre à l’aide d’intelligence artificielle fait intervenir différents acteurs, à savoir le concepteur, entendu comme la personne qui crée l’algorithme et l’utilisateur, c’est-à-dire celui qui soumet des instructions à l’algorithme afin de générer un contenu. Les textes et la jurisprudence sont aujourd’hui totalement silencieux sur la titularité des droits d’auteur sur une œuvre générée par une intelligence artificielle. Parmi les propositions du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (Cspla)[9], instance consultative en matière de propriété intellectuelle, figurait la création d’un modèle fondé sur l’œuvre collective, en ce que les droits naîtraient indépendamment de tout transfert au profit de l’instigateur du processus créatif[10] ou encore d’un droit sui generis selon le modèle du producteur de base de données afin de soutenir l’investissement fourni. Le Cspla considérait encore que « la désignation du concepteur de l’intelligence artificielle apparaît comme la solution la plus respectueuse du droit d’auteur ». Pour autant, l’œuvre générée peut faire l’objet de modifications substantielles de telle sorte que l’utilisateur joue un rôle prépondérant dans le processus créatif. En conséquence, la titularité de l’œuvre générée par une intelligence artificielle, sous réserve que celle-ci soit suffisamment originale, n’est pas résolue, et apparaît se distinguer en fonction des cas d’espèces 

Des transferts de droits inopérants
Les conditions générales d’utilisation des intelligences artificielles ont anticipé des dispositions relatives à la titularité des droits d’auteur ou à la cession de ceux-ci. À cet égard, celles de Stability AI et d’OpenAI énoncent que l’utilisateur est propriétaire du contenu qu’il génère en utilisant les services. Enfin, celles de Midjourney précisent que l’utilisateur est « propriétaire de tous les actifs que vous créez avec les services, dans la mesure où la loi en vigueur le permet » mais une telle disposition s’avère circonscrite par la suite : « Si vous n’êtes pas un Membre Payant, vous n’êtes pas propriétaire des biens que vous créez. Au lieu de cela, Midjourney vous accorde une licence sur les ressources sous la licence Creative Commons Non commercial »[11]. Il s’en infère que l’utilisateur qui n’a pas souscrit à un compte payant se verrait octroyer une licence d’utilisation du résultat fourni, uniquement pour des finalités non commerciales. Au-delà du caractère contestable d’une telle affirmation au regard du droit français ou belge, de telles précisions s’avèrent inopérantes en l’absence de protection octroyée par le droit d’auteur.

La protection par le droit d’auteur d’œuvres générées par des intelligences artificielles nécessite de délimiter l’intervention humaine au sein de la création. L’absence de protection n’est pas sans incidence, en ce que le créateur du contenu ne peut agir en contrefaçon en cas de reproduction non autorisée de celui-ci, seule une action en concurrence déloyale ou parasitisme, davantage circonscrite lui serait ouverte.

Au-delà de telles considérations, l’essor de l’intelligence artificielle est source d’inquiétude pour les auteurs, et notamment de mangas ou d’anime japonais, lesquels craignent d’être progressivement remplacés par ces algorithmes. Une telle inquiétude s’avère justifiée comme le démontre l’utilisation d’une intelligence artificielle pour la réalisation des décors d’arrière-plan de la série Netflix Dog & Boy, de tels décors représentant une part importante au sein d’un anime. Les artistes ayant procédé à des modifications sur ces décors ont simplement été crédités de la sorte : « Background designer : AI (+ Human) ».

Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, ainsi qu’au droit de l’édition, le Cabinet accompagne ses clients dans l’appréhension juridique des nouvelles technologies à l’instar des nombreuses solutions d’intelligence artificielle disponibles afin de sécuriser leurs droits, notamment en matière de droit d’auteur. Note Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique.

[1] Parlement européen, Intelligence artificielle : définition et utilisation.
[2] Commission européenne, Règlement du parlement européen et du conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle et modifiant certains actes législatifs de l’union dit Ai Act, article 3.1.
[3] Cass. civ. 1re, 15 janv. 2015, no 13-23.566.
[4] Code de droit économique belge, article XI. 170.
[5] U.S. Copyright Office, Compendium of U.S. Copyright Office Practices, january 2021, 313.2 “Works that lack human authorship”.
[6] U.S. Copyright Office, 21 February 2023, Letter to Mrs. Lindberg, Zarya of the Dawn.
[7] U.S. Copyright Office, Library of Congress, 16 March 2023, “Copyright Registration Guidance: Works Containing Material Generated by Artificial Intelligence”.
[8] U.S. Copyright Office, 21 February 2023, Letter to Mrs. Lindberg, Zarya of the Dawn.
[9] Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique, Mission Intelligence Artificielle et Culture, 27 janv. 2020.
[10] Conformément à l’article L. 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, lequel dispose que « Est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».
[11] Midjourney, Terms of Service, 4. Your Rights