Adoption d’un règlement européen en matière de LCB-FT : quelles conséquences pour les acteurs du marché de l’art ?
Article publié le 6 juin 2024
Le Conseil de l’Union européenne a adopté un ensemble de règles ayant pour objectif de renforcer les obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme auxquelles sont assujettis des acteurs du marché de l’art. Ces règles entérinent certaines dispositions de l’accord provisoire conclu entre les institutions européennes en janvier 2024.
Une harmonisation des règles anti-blanchiment sur l’ensemble du territoire européen
Le corpus de textes adopté le 30 mai 2024 comprend notamment un règlement européen qui est composé des dispositions autrefois contenues au sein de la cinquième directive anti-blanchiment, lesquelles sont désormais étoffées et renforcées. L’insertion des règles relatives à la LCB-FT au sein d’un tel acte européen au lieu et place d’une directive européenne se justifie par le constat présenté au sein même du texte, à savoir qu’actuellement, les règles sont appliquées entre les différents États membres de manière particulièrement fragmentée. Le règlement a ainsi pour objectif de faire appliquer le corpus de ces règles de manière uniformisée sur l’ensemble du territoire européen.
De nouvelles entités assujetties ?
Le règlement tend à unifier la liste des entités assujetties. Tout d’abord, le constat d’une inefficacité de l’assujettissement des personnes se livrant au commerce de biens au-delà d’un certain seuil financier est dressé, « au regard de la mauvaise compréhension et application des exigences en matière de LBC/FT, du manque de surveillance et du nombre limité de transactions suspectes signalées à la cellule de renseignement financier », à savoir Tracfin. C’est pourquoi, la catégorie particulièrement vaste de marchands de biens est supprimée. Pour autant, de nouvelles entités font l’objet d’un assujettissement au niveau européen, assujettissement justifié au regard du caractère « transportable » et « des petites dimensions » des biens considérés. Dès lors, sont ainsi concernés les « personnes négociant, à titre d’activité professionnelle régulière ou principale, des métaux précieux et des pierres précieuses », de tels biens étant limitativement énumérés : l’or, l’argent, le platine, l’iridium, l’osmium, le palladium, le rhodium, le ruthénium, le diamant, le rubis, le saphir et l’émeraude. Cela ne soulève guère de difficultés pratiques, dès lors qu’une telle catégorie est d’ores et déjà visée au sein des textes français.
Le règlement européen introduit également une nouvelle catégorie, à savoir les personnes qui négocient « à titre d’activité professionnelle régulière ou principale, des biens de grande valeur ». Afin de pallier d’éventuelles difficultés d’interprétation, les biens de grande valeur sont définis au sein du texte européen, comprenant les articles d’orfèvrerie, de bijouterie et de joaillerie ou encore, les montres ou les horloges d’une valeur supérieure à 10.000 euros. En ce qui a trait aux maisons de ventes aux enchères, aux galeries ou encore aux marchands d’œuvres d’art et d’antiquités, la nouveauté réside dans le remplacement de la notion non définie « d’œuvres d’art et d’antiquités » par celle de « biens culturels », renvoyant expressément au règlement européen du 18 décembre 2008 relatif à l’exportation de biens culturels. Cette catégorie comprend donc les objets archéologiques, les peintures, les photographies, les manuscrits, etc. Bien qu’il semble que les seuils financiers n’ont pas vocation à s’appliquer, au regard de la limite de 10.000 euros fixée par le nouveau règlement européen, aucune précision n’est donnée quant aux seuils d’ancienneté.
Le seuil d’identification et de vérification de l’identité du client occasionnel abaissé
La cinquième directive anti-blanchiment imposait une obligation d’identification et de vérification de l’identité du client occasionnel notamment lorsque le montant de la transaction ou une série de transactions liées entre elles était égal ou supérieur à 15.000 euros. Le seuil est désormais abaissé à 10.000 euros. Par ailleurs, le nouveau règlement prévoit également une telle obligation lorsque la transaction ou une série de transactions liées est d’un montant de 3.000 euros et est réglée en espèces, contre 10.000 euros actuellement.
Des paiements en espèces davantage limités
Le texte européen précise d’entrée que les paiements en espèces, quand bien même ils seraient inférieurs à la limite fixée par l’Union européenne, constituent des vulnérabilités en matière de LCB-FT en ce qu’ils « constituent un point d’entrée dans le système financier de l’Union ». Alors que les seuils de paiement en espèces sont actuellement particulièrement diversifiés au sein de l’Union européenne, le règlement prévoit la fixation d’un seuil commun européen, applicable aux « personnes négociant des biens ou fournissant des services » pour un montant maximal de 10.000 euros. Le règlement prévoit que les éventuelles limites inférieures à ce seuil d’ores et déjà existantes au sein des pays membres continueront de s’appliquer. Dès lors, l’actuelle faculté française d’accepter le règlement d’une créance en espèces à hauteur de 15.000 euros lorsque le débiteur est un non-commerçant et dont le domicile fiscal n’est pas établi en France sera désormais abaissée à 10.000 euros. A contrario, la limite existante quant au paiement d’une créance par un professionnel ou un particulier dont le domicile fiscal est établi en France resterait limitée à 1.000 euros.
Des apports divers
Alors que l’absence de définition d’une telle notion avait agitée l’ensemble des acteurs concernés, le règlement introduit une définition de la notion de « transactions liées », à savoir « deux transactions ou plus dont l’origine, la destination et la finalité, ou d’autres caractéristiques pertinentes, sont identiques ou similaires, sur une période donnée ». De tels éléments devront nécessairement être précisés au sein des protocoles internes des entités assujettis. Par ailleurs, le règlement unifie les règles existantes tout en les modifiant. À titre illustratif, la liste des personnes politiquement exposées (PPE) est homogénéisée et intègre de nouvelles catégories. Tel est également le cas pour la notion de bénéficiaire effectif, pour laquelle il est fait état de « la nécessité d’avoir accès à des informations exactes, à jour et adéquates sur les bénéficiaires effectifs joue un rôle déterminant pour remonter jusqu’aux criminels, qui pourraient autrement masquer leur identité derrière de telles structures opaques ». Il est désormais prévu que doivent être comprises dans une telle notion les personnes détenant 25% des actions ou du droit de vote ou de tout autre type de participation au capital, de tels éléments figurant déjà au sein du dispositif législatif français. Plus notable est l’insertion de l’obligation dans le cadre d’une opération occasionnelle d’obtenir des informations sur l’objet la nature envisagée de la transaction, en obtenant des informations sur l’objet et la justification économique de la transaction, l’origine des fonds, etc. Une telle obligation n’étant actuellement applicable qu’à l’égard des clients liés par une relation d’affaires.
L’ensemble des règles contenues au sein de ce règlement européen s’appliquera trois ans à compter de son entrée en vigueur. Il ne fait aucun doute que les acteurs du marché de l’art, maisons de ventes aux enchères, galeries, marchands, numismates, doivent appréhender et se mettre en conformité avec les obligations qui sont les leurs.
Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.