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Suspension du certificat d’exportation pour l’une des « Pascaline » de Blaise Pascale

Article publié le 19 novembre 2025

Le Tribunal administratif de Paris, saisi en référé, a décidé le 18 novembre 2025 de suspendre l’autorisation d’exportation d’un des huit exemplaires de la Pascaline, considérée comme la première machine à calculer fonctionnelle de l’histoire de l’humanité et ce, à la demande de plusieurs associations et de particuliers. Le certificat d’exportation délivré par le ministère de la culture est donc temporairement suspendu.

Pour autant, le Tribunal n’a aucunement interdit ou suspendu la vente aux enchères publiques organisée par Christie’s France, vente qui aurait pu être maintenue sous la seule réserve que la machine à calculer demeure sur le territoire français dans l’attente de la décision à intervenir au fond par le Tribunal administratif de Paris qui sera assurément saisi par les associations mobilisées depuis quelques semaines sur ce sujet. Le retrait de la Pascaline, présentée jusqu’alors sous le numéro de lot 74 avec une estimation comprise entre 2 et 3 millions d’euros, ne résulte ainsi que de la volonté commune de la maison de ventes et de ses mandants, les héritiers de Léon Parcé, qui avait acquis la machine à calculer en 1942.

Une suspension aux fondements contestables
Le juge des référés a considéré, dans sa décision du 18 novembre 2025, que la Pascaline présente un intérêt majeur pour le patrimoine français en raison de sa « valeur historique et scientifique ». Or, les dispositions du Code du patrimoine, et notamment l’article L. 111-1, envisagent la notion de trésor national n’appartenant pas encore au domaine mobilier de l’État français au regard d’autres critères, à savoir l’existence d’un « intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie ou de la connaissance de la langue française et des langues régionales ». Le législateur français n’utilise ainsi ni les termes de « valeur » ni de « valeur scientifique » mais a au contraire choisi comme critère d’appréciation l’existence d’un « intérêt majeur pour le patrimoine national ».
Afin de suspendre le certificat d’exportation, sésame administratif permettant la sortie définitive de la Pascaline du territoire national dès lors qu’il ne constitue pas un trésor national, le juge des référés considère que la légalité de la décision du ministère de la culture fait l’objet d’un « doute sérieux ». Ce doute est doublement justifié par le juge des référés. D’une part, au regard de la fameuse « valeur historique et scientifique », critère pourtant contestable. Et d’autre part, au regard du « caractère insuffisant de l’expertise » menée par deux conservateurs, l’un du Musée du Louvre et l’autre du Conservatoire numérique des Arts et Métiers (CNAM), expertise ayant conduit à la délivrance du certificat d’exportation. Nul ne pouvait imaginer jusqu’à présent un juge des référés plus expert que deux conservateurs spécialistes de leur domaine.

Quelles suites ?
Les opposants à la mise en vente de cet exemplaire de la Pascaline devront dorénavant saisir le Tribunal administratif de Paris au fond afin que celui-ci se prononce sur la qualification ou non de trésor national de l’objet. L’état actuel de la jurisprudence en la matière est davantage propice à une confirmation de la part du juge administratif de l’appréciation souverainement exprimée par la Commission consultative des trésors nationaux, dont les conclusions sont ensuite reprises par l’administration et le ministère. Néanmoins, la configuration habituelle du contentieux en la matière est plutôt celle d’une contestation en justice du refus de délivrance d’un certificat d’exportation et, corrélativement, d’un classement de l’objet considéré comme trésor national. Le présent cas d’espèce est assez inédit.
Si la décision de délivrance du certificat d’exportation était annulée, la machine à calculer serait alors classée en tant que « trésor national » et une période de trente mois permettrait à l’État français de formuler une éventuelle proposition d’acquisition au regard du prix de l’objet sur le marché international. Pour autant, aucune obligation ne s’impose à l’égard de l’État de formuler une quelconque proposition d’acquisition. Et à défaut, au terme de ce délai des trente mois, la délivrance d’un nouveau certificat d’exportation s’imposerait automatiquement.
Si la décision de délivrance du certificat d’exportation était judiciairement maintenue, la machine à calculer serait à nouveau libre de circuler sur le marché international et d’être ainsi acquise par une institution étrangère notamment. La seule option qui resterait ouverte à l’État serait de procéder à un classement ou à une inscription de l’objet au titre des monuments historiques. Cette solution s’avère toutefois bien délicate et sans doute inopportune dès lors que l’État serait contraint d’indemniser fortement les propriétaires actuels sans pour autant devenir propriétaire de l’exemplaire de la Pascaline.

Une étude récente souligne que « ce sont donc en moyenne 8,6 biens qui sont classés annuellement depuis trente ans » entre 1993 et la fin de l’année 2022, soit 257 biens au total pour lesquels un certificat a été initialement refusé. Une donnée peut être plus intéressante encore réside dans le constat que sur ce nombre total de classements, « 65 objets ont finalement été remis en circulation sur le marché de l’art ». Un refus de délivrance de certificat d’exportation n’emporte donc pas dans les faits systématiquement une proposition d’acquisition, à l’instar du tableau représentant Judith et Holopherne attribué au Caravage, ou encore une acquisition de la part de l’État. À l’heure d’une contraction budgétaire importante des finances publiques, il n’est pas évident que l’avenir de la Pascaline soit de demeurer sur le territoire national et encore moins dans les collections publiques.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

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