Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Rapport Tracfin 2024 : un rappel fort pour les galeries d’art et les maisons de ventes dans la lutte contre le blanchiment

Article publié le 17 novembre 2025

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) n’est plus un sujet réservé aux seuls établissements financiers depuis fort longtemps. Les galeries d’art, maisons de ventes aux enchères publiques, numismates professionnels et acteurs du marché de l’art sont pleinement intégrés dans le dispositif de prévention. Le rapport Tracfin 2024, récemment publié, rappelle une nouvelle fois que le secteur de l’art est considéré comme un vecteur de risque majeur, et les autorités attendent une vigilance accrue de la part des professionnels concernés.

Tracfin (acronyme de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) a publié entre juin et septembre 2025 ses rapports d’activité et d’analyse sous la forme de trois tomes, disponibles sur ce lien. Ces rapports annuels d’activité et d’analyse proposent un état des lieux de la participation des professionnels assujettis au dispositif LCB-FT, de l’activité institutionnelle de Tracfin et une analyse des tendances et des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme

Une vigilance renforcée pour les professions non financières
Le Code monétaire et financier impose, sur le fondement de l’article L. 561-15, à certaines professions de secteurs considérés comme étant à risque, dont ceux du marché de l’art et du commerce des métaux précieux, des obligations de vigilance et de déclaration à Tracfin. Ces acteurs doivent notamment identifier leurs clients et vérifier la provenance des fonds, mais aussi déclarer sans délai toute opération qu’ils soupçonnent d’être liée à une infraction pénale ou à des faits se rattachant à un potentiel financement direct ou indirect du terrorisme.
Pour les galeries et maisons de ventes, une telle législation implique une adaptation concrète autour de la collecte d’informations sur les acheteurs et vendeurs, de la vérification de l’origine des fonds lors de transactions au-dessus d’un certain seuil, de la mise en place de procédures internes de conformité et de la formation de son personnel.
Le rapport 2024 de Tracfin le souligne sans ambiguïté : les « professions non financières désignées » - dont les entités assujetties du secteur de l’art - doivent monter en puissance dans leur dispositif LCB-FT.

Les chiffres clés du rapport Tracfin 2024
L’année 2024 marque une intensification sans précédent de l’activité de Tracfin. Le service de renseignement financier a enregistré plus de 200 000 déclarations de soupçon, un record historique depuis sa création. Les établissements financiers demeurent les principaux contributeurs (environ 93 % des signalements), mais la proportion croissante de déclarations émanant de secteurs non financiers, comme celui du marché de l’art regroupé au sein du rapport avec le secteur du luxe, attire désormais une attention particulière.
Le rapport note également une évolution qualitative des dossiers transmis : hausse des signalements liés à des opérations transfrontalières, développement de structures de blanchiment complexes et, fait nouveau, une vigilance accrue autour des crypto-actifs.
Cette évolution confirme ce que les professionnels du marché de l’art pressentaient : l’attention des autorités continue à se déplacer vers des secteurs considérés jusqu’ici comme périphériques, mais dont la valeur symbolique et financière attire les réseaux de criminalité organisée.
De manière plus précise, le nombre de déclarations de soupçon adressées à Tracfin par les professionnels du secteur de l’art et du luxe a triplé entre 2022 et 2023. Cette forte croissance confirme la meilleure appropriation du dispositif LCB-FT par les professionnels de ce secteur au cours de ces dernières années. Comme l’année précédente, et de manière encore plus significative, cette augmentation est principalement portée par les opérateurs de ventes volontaires (maisons de ventes aux enchères publiques) dont le nombre de déclarations est passé de 81 à 287 entre 2022 et 2023. De la même manière, et en ce qui concerne les commerçants de métaux et pierres précieuses, l’évolution du nombre de déclarations est particulièrement significative avec une augmentation comparable, de 11 déclarations en 2022 à 37 en 2023.
Par ailleurs, le rapport souligne que le principal motif à l’origine de l’envoi des déclarations de soupçon reste l’absence d’informations quant à l’origine des fonds utilisés pour acquérir un bien de haute valeur, en particulier lorsqu’il s’agit d’espèces. 

Le marché de l’art, un terrain sensible pour le blanchiment de capitaux
L’art et son marché sont considérés par les autorités de contrôle et de surveillance comme un vecteur privilégié de dissimulation de l’origine ou de la destination de fonds. Une œuvre peut aisément franchir les frontières, être acquise par l’intermédiaire de sociétés-écrans, puis être potentiellement revendue avec une plus-value difficilement traçable. Ce manque de transparence affirmé par les autorités de contrôle et de surveillance, combiné à la subjectivité de la valeur artistique, crée un terrain a priori favorable pour le blanchiment.
Les maisons de ventes aux enchères, souvent confrontées à des paiements internationaux ou à des acheteurs opérant par mandataires, sont particulièrement exposées. Les galeries, quant à elles, doivent redoubler de prudence lorsqu’elles travaillent avec des collectionneurs étrangers, des fondations ou des structures juridiques complexes. 

Les obligations concrètes des acteurs du marché de l’art
Face à ces constats, les galeries, maisons de ventes aux enchères et professionnels dans le commerce des métaux précieux doivent mettre en place un véritable programme de conformité interne.
Ces obligations imposent de procéder à :

  • une cartographie des risques, adaptée à la nature et à la taille de la structure ;

  • une procédure de connaissance client (KYC) solide, incluant l’identification du bénéficiaire effectif de l’opération pour les personnes morales ;

  • un suivi des opérations et la détection des signaux d’alerte ;

  • la déclaration à Tracfin en cas de soupçon ;

  • une formation continue du personnel sur les obligations LCB-FT.

Pour autant, et dans sa synthèse des réponses opérateurs de ventes volontaires apportées dans le cadre du questionnaire d’auto-évaluation 2024, la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières notait qu’en ce qui concerne la classification des risques, seuls 40 % des opérateurs de ventes volontaires répondants déclarent en posséder une et qu’en ce qui concerne la mise en place d’une procédure interne, seuls 50 % des répondants ont déclaré avoir un ou plusieurs documents écrits décrivant les procédures internes relatives à la LCB-FT. Or, et toujours selon la DNRED, « ces documents constituent la pierre angulaire du dispositif LCB-FT. Lors des actions de contrôle par les agents de la douane, l’existence, la qualité et le caractère exhaustif de ces documents sont évalués. Dans un second temps, le contrôle apprécie l’effectivité du dispositif LCB-FT afin de s’assurer du respect des obligations LCB-FT par le professionnel ».

Ces démarches ne relèvent pas de la simple formalité administrative. Elles participent directement à la sécurité juridique et réputationnelle de la structure. En cas de manquement, les sanctions peuvent être lourdes, tant sur le plan pénal que disciplinaire, ou encore en cas de contrôle de la part de la DNRED par un renvoi éventuel devant la Commission nationale des sanctions. Enfin, et à titre de rappel, d’autres professionnels, comme les négociants de biens de grande valeur et les clubs de football professionnels, sont appelés à intégrer très prochainement le dispositif LCB-FT national, dans le cadre de l’adoption du 6ème paquet LCB-FT européen au printemps 2024. 

Un article écrit par Me Alexis Fournol
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet

Dans le cadre de son activité dédiée à la conformité et à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, le Cabinet assiste les professions assujetties dans la mise en conformité de leur activité, dans l’élaboration des protocoles internes et dans toutes les phases de contrôle, tant de la part de la DGCCRF que de la part de la DNRED.
À ce titre, et dans le cadre plus spécifique de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.