Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Refus de nomination d’un expert judiciaire pour un tableau

La Cour d’appel de Paris a refusé de faire droit à la nomination d’un expert judiciaire, à la demande du mandant d’une maison de ventes, faute pour le requérant de prouver l’existence d’un motif légitime pour une telle mesure.

Si la plupart des contentieux attachés à la remise en cause de la description d’une œuvre vendue au feu des enchères relève de l’initiative des adjudicataires, il arrive néanmoins que des vendeurs se sentent a posteriori lésés face au résultat obtenu par l’œuvre confiée à une maison de ventes. Mais le seul ressentiment ne suffit ni à engager la responsabilité d’une maison de ventes ni à permettre la nomination d’un expert judiciaire afin que celui-ci se prononce sur la description opérée de l’œuvre en litige.

C’est ainsi qu’une vendeuse remettait en doute la description réalisée par un opérateur de ventes volontaires d’un tableau qu’elle lui avait confié à la vente comme étant une œuvre de l’atelier du peintre flamand David Teniers le Jeune (1610-1690). Estimée entre 1.500 et 2.000 euros, l’œuvre fut finalement adjugée à 1.700 euros, soit dans la fourchette établie par la maison de ventes.

Néanmoins, après l’adjudication, le fils de la vendeuse eut un doute quant à la description de l’œuvre par la maison de ventes et soutenait dorénavant qu’il était plausible que l’œuvre soit de la main même du peintre flamand et non de son atelier. De la même manière, l’estimation retenue lors de la signature de la réquisition de vente était contestée, car jugée trop faible. C’est pourquoi, et avant d’initier tout contentieux éventuel fondé sur une erreur sur les qualités essentielles de l’œuvre confiée et sur la responsabilité de l’opérateur, la vendeuse sollicita la désignation d’un expert judiciaire afin que celui-ci vienne tout à la fois se prononcer sur la description réalisée de l’œuvre et sur sa valorisation.

Cette demande fut rejetée tant en première instance que devant la Cour d’appel de Paris, aux termes d’une décision du 2 juin 2022[1], la Cour estimant que les conditions de l’article 145 du Code civil – dispositions au regard desquelles était sollicitée la mesure d’expertise – n’étaient pas ici réunies.

Les conditions de mise en œuvre d’une mesure d’expertise judiciaire
La Cour rappelle classiquement que la mise en œuvre de l’article 145 du Code de procédure civile suppose l’existence d’un motif légitime, c’est-à-dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Une telle mesure d’instruction doit ainsi être tout à la fois pertinente et utile.
Ce ne sont pas tant l’existence des faits invoqués qui doivent être prouvés par tout demandeur – ces faits étant l’objet de la mesure sollicitée – que l’existence d’éléments rendant crédibles les suppositions faites.

L’absence d’éléments crédibles avancés par la demanderesse
Or, ici, tant la potentielle attribution du tableau à la main même de l’artiste, et non à son atelier, que la prétendue sous-évaluation de l’œuvre n’ont pas été assez justifiées par l’ancienne propriétaire devant les deux degrés de juridiction.
En effet, l’ancienne propriétaire s’est seulement contentée de faire valoir l’étonnement de son fils lorsqu’il a appris la vente du tableau à un prix modique. Or, ce simple étonnement « qui n’est étayé́ par aucun élément sur l'authenticité potentielle du tableau vendu, n’est pas de nature à rendre plausible l'éventualité d'une œuvre authentique » ainsi qu’en juge opportunément la Cour. Aucun travail d’analyse, de comparaison, de justification et aucune expertise de partie, provenant d’un expert tiers, n’est produit aux débats. L’éventualité selon laquelle l’œuvre pourrait être authentique n'était aucunement justifiée ; la justification de procéder à une mesure d’expertise judiciaire ne pouvait donc l’être elle-même.
Quant à la sous-évaluation manifeste de l’œuvre à laquelle aurait procédé la maison de ventes, celle-ci n’est pas non plus crédible au regard des seuls éléments versés par la demanderesse. En effet, si celle-ci fournissait des résultats de ventes aux enchères pour des œuvres comparables, soi-disant à des prix bien plus élevés, l’œuvre en litige avait bien été évaluée dans la fourchette des évaluations présentées en comparaison. Ces éléments ne suffisaient donc pas à fonder une demande de nomination d’un expert.
Il est enfin notable que le refus de prononcer une telle mesure ne relevait pas tant d’un débat judiciaire entre les parties en litige, dès lors que la maison de ventes n’avait pas constitué avocat et n’était pas représentée judiciairement, mais uniquement de l’appréciation souveraine des magistrats d’appel confrontés à une demande infondée.

Ainsi, à défaut de justifier « d’éléments rendant suffisamment crédibles ses suppositions », les demandes de l’ancienne propriétaire de l’œuvre attribuée à l’atelier de David Teniers le Jeune ne pouvaient qu’être rejetées faute de caractériser le motif légitime imposé par les dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile permettant la nomination d’un expert judiciaire.

Que retenir ?
o   Si la nomination d’un expert judiciaire constitue souvent le préalable nécessaire à toute action en responsabilité ou en nullité d’une vente aux enchères publiques, une demande visant à la nomination judiciaire d’un tel expert doit être justifiée ;
o   Une telle justification impose ainsi un travail préalable fondant l’existence d’éléments rendant suffisamment crédibles les demandes ;
o   Le recours à un tiers expert est souvent nécessaire pour fonder l’existence d’un doute et obtenir ainsi la nomination de l’expert judiciaire ;
o   Une telle nomination peut intervenir même en cause d’appel.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédié au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des collectionneurs et des maisons de ventes, ainsi que des experts, dans les nécessaires opérations d’expertise d’œuvres ou d’objets dont l’attribution ou l’authenticité est judiciairement remise en cause. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Paris, pôle 1, ch. 2, 2 juin 2022, RG no 21/19141.