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Le mariage, l’artiste et ses œuvres en communauté

Témoin de l’indépendance entre une œuvre au sens du droit d’auteur et son support physique, la question de la qualification des tableaux et sculptures d’un artiste plasticien marié sous un régime communautaire suscitait un débat depuis la loi du 11 mars 1957 relative au droit d’auteur et la loi du 13 juillet 1965 faisant de la communauté réduite aux acquêts le régime légal. Le support d’une œuvre d’art créé pendant le mariage est-il un bien commun. Et ce, à l’instar de tous biens acquis pendant le mariage ou des salaires, ou peut-il être considéré comme un bien propre sur lequel l’artiste a un pouvoir exclusif ? Et ce, ainsi que le prévoit les dispositions spécifiques du Code de la propriété intellectuelle sur les droits d’auteur. La Cour d’appel de Paris, dans la lignée des décisions rendues sous l’empire des anciennes dispositions légales par la Cour de cassation, confirme la décision de première instance ayant qualifié de commun les tableaux.

Un peintre et sa compagne s’étaient mariés le 28 janvier 2006 sans contrat de mariage emportant l’application automatique du régime de la communauté réduite aux acquêts. Après presque quatre années de vie maritale, le juge aux affaires familiales, saisi d’une requête en divorce, avait rendu une ordonnance de non-conciliation ordonnant notamment à l’épouse de l’artiste de remettre à son mari les tableaux laissés par lui au domicile conjugal. Le 15 septembre 2015, le même juge prononçait le divorce des époux aux torts exclusifs du mari, ordonnait la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux et fixait les effets du divorce à la date de l’ordonnance de non-conciliation.
À défaut d’accord, l’ex-épouse assignait l’époux aux fins de liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux et, le 28 janvier 2021, le juge aux affaires familiales désignait un notaire afin d’évaluer l’actif de la communauté et incluait, au sein de cette communauté, les tableaux « meubles corporels » à charge pour ce dernier de procéder à leur évaluation. L’époux artiste interjeta appel de la décision, soutenant que les tableaux créés pendant le mariage devaient être qualifiées de biens propres et être ainsi exclus de la communauté.

Une difficulté de qualification spécifique aux artistes plasticiens
Afin d’appréhender les enjeux du débat porté devant la Cour d’appel de Paris, il convient de rappeler le principe cardinal visé à l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle qui affirme que « la propriété incorporelle (…) est indépendante de la propriété de l’objet matériel ». Ainsi, si les dispositions spécifiques aux droits d’auteur prévues à l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle prévoient expressément que le droit moral, et notamment le droit de divulgation, ainsi que les droits patrimoniaux sont des biens propres de l’auteur, le support de l’œuvre, en tant que bien meuble corporel, est susceptible d’être régi par les règles de droit commun des régimes matrimoniaux et notamment l’article 1404 du Code civil qui dispose que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux (…) durant le mariage, et provenant (…) de leur industrie personnelle ». Les droits d’auteur sur les tableaux et les peintures sont propres à leur créateur mais le support créé pendant le mariage appartient quant à lui aux deux époux, qu’il soit considéré comme achevé ou non, voire un simple croquis

Si cette solution n’est pas problématique pour les écrivains, compositeurs ou réalisateur, puisque la principale source de revenus provient de l’exploitation de leurs droits d’auteur dans le cadre d’un contrat d’édition ou de production, tel n’est pas le cas pour les artistes plasticiens. En effet, leur principale source de rémunération ne provient pas de l’exploitation des droits patrimoniaux mais de la vente du support de leur création. Et une fois la peinture ou la sculpture commercialisée, il est très rare que le peintre ou le sculpteur perçoive des revenus importants au titre d’une cession des droits d’auteur, par exemple dans le cadre de son exposition. Cette difficulté de qualification des tableaux et des peintures pour les artistes plasticiens était déjà apparue dans le cadre des successions de Bonnard[1] et Picabia[2], à l’occasion desquelles la Cour de cassation avait décidé les supports matériels des œuvres étaient des biens communs. Et tant la loi du 11 mars 1957 que la loi du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux n’ont pas mis un terme à cette incohérence de régime entre le support de l’œuvre et les droits d’auteur qui y sont attachés.

La délicate justification du caractère propre du support de l’œuvre
S’appuyant sur la notion d’ « exploitation » visée par l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, une partie de la doctrine soutient que cet article est susceptible de s’appliquer aux supports des œuvres d’art plastique car celles-ci s’exploitent essentiellement par voie d’exploitation. À cet égard, le droit de suite, créé spécifiquement pour la vente d’œuvres d’art plastique, est considéré comme un droit patrimonial et corrélativement comme un bien propre de l’époux auteur. Afin de conserver cette cohérence, la Cour d’appel de Bordeaux avait retenu que les tableaux d’un artiste marié étaient des biens propres mais que le produit de leur vente intégrait la communauté[3]. L’harmonisation du régime des droits d’auteur et du support, trouverait également son fondement dans le lien de filiation entre un auteur et son œuvre incarnée notamment par le droit au moral, droit perpétuel et inaliénable.

Le caractère propre d’un tableau ou d’une œuvre d’art serait ainsi justifié par l’impossibilité pour l’ex-époux s’étant vu attribuer une œuvre non divulguée de la présenter au public et donc de la commercialiser sans l’autorisation de l’époux artiste. L’appelant soutenait à cet égard « qu’il dispose d’un droit de repentir (faculté de modifier ou détruire) sur chaque tableau ou de vente jusqu’à sa mort » et que les tableaux considérés comme communs constituaient « des essais, des recherches voire un simple objet de détente non destinés à une exploitation commerciale puisque plusieurs ne comportent pas de signature ». La notion de signature renvoyait ainsi à la possibilité pour l’auteur de divulguer son œuvre et, corrélativement, de permettre sa commercialisation ce qui confère ainsi au support une valeur économique. À défaut de divulgation, il est en effet impossible pour le propriétaire de jouir pleinement de son droit de propriété sur le support puisqu’il ne peut le présenter au public.

Une application stricte des textes par la Cour d’appel de Paris
Asseoir le caractère propre ou commun d’une œuvre à sa divulgation se heurte en revanche à la multiplicité de cet acte particulier et propre à chaque artiste. La divulgation peut être constituée à la signature de l’œuvre, lors de sa présentation à l’occasion d’une exposition ou simplement à sa diffusion sur les réseaux sociaux. Loin de tous ces débats théoriques et passionnants, la Cour d’appel de Paris s’en est tenue à une application stricte des textes. « La lecture précise des termes de l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle montre qu’il n’existe pas de lien d’interdépendance entre les droits de propriété littéraire et artistique protégés par ce texte et le support matériel de l’œuvre, même picturale ; un tel lien, s’il existait contraindrait l’artiste à céder l’ensemble sans conserver aucune prérogative sur l’œuvre immatérielle. Par conséquent, la nature des premiers est sans effets sur la propriété du second. » Les conséquences pratiques sont nécessairement critiquables.

Le support des œuvres d’art est donc un bien commun qui est inclus dans la communauté et doit être évalué afin de procéder aux opérations de liquidation du régime matrimonial et de partage de l’indivision communautaire. Cette lecture orthodoxe des textes par les juridictions a de nombreuses conséquences pour l’époux artiste ou ses héritiers qu’il lui faut envisager, avant le mariage ou dans le cadre de l’organisation de sa succession.

Un article écrit par Me Simon Rolin
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art, le Cabinet intervient régulièrement pour le compte d'artistes et d’auteurs, en soutien notamment de notaires, afin d’aider ses Clients à appréhender au mieux les enjeux spécifiques de la création artistique dans la détermination de leur régime matrimonial et de ses conséquences, ainsi que dans l’organisation de leur succession.

[1] Cass. civ. 1re, 4 déc. 1956.

[2] Cass. civ 1re, 4 juin 1971.

[3] CA Bordeaux, 1re civ., sect. A, 17 mars 2008, RG no 06/05158.