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Planches originales de bande dessinée : le rôle de la possession pour la détermination de leur propriétaire originaire

La Cour de cassation a définitivement tranché, le 19 mai 2021[1], le contentieux opposant les deux créateurs des séries du Vagabond des Limbes et des Chroniques du temps de la vallée des Ghosmes quant à la propriété matérielle des planches originales des différents albums. Ce contentieux était né de la constatation par le scénariste de la vente de planches originales de deux bandes dessinées, dont lui-même et le dessinateur sont les auteurs, par deux sociétés spécialisées dans le domaine. Celles-ci avaient pu procéder ainsi avec l’accord du dessinateur, seul en possession des planches, et sans pour autant solliciter l’aval du scénariste. C’est pourquoi ce dernier sollicita notamment une indemnisation de la part de son ancien partenaire visant à réparer le préjudice soi-disant subi par la vente des planches dont il s’estimait copropriétaire.

Pour autant, la cour d’appel de Paris a rejeté ses prétentions le 22 novembre 2019, estimant que si les œuvres en cause consistent bien en le fruit d’une collaboration, le dessinateur, et désormais son héritière – avait la propriété exclusive des planches. La cour prenait ainsi le contrepied de la décision rendue en première instance, au terme de laquelle une propriété partagée des planches avait été retenue. Contestant une telle analyse, le scénariste saisit alors la Cour de cassation afin de tenter de faire reconnaître une copropriété des planches originales en raison du processus de création de celles-ci, à savoir un processus fondé sur un travail de collaboration. 

L’acte de création en collaboration n’emporte pas la copropriété des planches
La Cour de cassation a rejeté, le 19 mai 2021, ses prétentions. En effet, si l’entreprise créative relevait bien d’une inspiration commune et que le scénariste donnait des instructions détaillées sur la composition et le contenu des planches au dessinateur, ces éléments n’étaient aucunement pertinents pour déterminer s’il était possible ou non pour le dessinateur de vendre les planches en sa possession sans l’accord du scénariste. En effet, la copropriété incorporelle qui résulte de l’œuvre de collaboration n’a pas vocation à déterminer les règles relatives à la propriété corporelle des planches de bande dessinée.

Cette détermination ne relève pas d’une problématique attachée au droit d’auteur mais bien au seul droit de propriété lorsqu’aucune disposition contractuelle spécifique n’existe. Pareille solution s’impose au regard du principe cardinal de l’indépendance entre l’œuvre, objet incorporel relevant du droit de la propriété intellectuelle, et le support matériel intégrant l’œuvre, objet corporel relevant du droit commun des biens, fondé sur les dispositions de l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle.

À défaut de clause contractuelle, seule la possession a vocation à jouer
Le dessinateur pouvait ainsi légitimement se fonder sur la règle de l’article 2276 du Code civil selon laquelle « en fait de meuble, possession vaut titre » pour vendre les planches. Le scénariste n’ayant jamais revendiqué la propriété des planches qu’il aurait considérées comme siennes, la possession du dessinateur s’avérait donc paisible et la propriété de ce dernier sur le fruit de son travail devait être nécessairement confortée.

Dès lors qu’aucun contrat ne régissait la destinée des planches entre les co-auteurs et que seul le dessinateur en avait la possession paisible et non contestée, le scénariste ne pouvait en contester la propriété. Et l’usage selon lequel le dessinateur remet traditionnellement deux planches de chaque album à son scénariste ne saurait remettre en cause un tel principe. C’est ici ce que sous-entend la Cour de cassation. La solution retenue aurait pu être fort différente si une disposition contractuelle avait préalablement réglé le sort de la propriété matérielle des planches. 

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs de bandes dessinées, ainsi que leurs ayants droit, aussi bien à Paris qu’en province ou à l’étranger.
Notre Cabinet a su développer une expertise particulièrement reconnue dans ce domaine notamment pour les successions de certains auteurs de bandes dessinées français ou belges et est notamment intervenu dans la toute première dation réalisée au profit de l’État français de planches et d’illustrations d’un auteur français de bande dessinée.

[1] Cass. civ. 1re, 19 mai 2021, n° 20-11.121.