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Un héritier indivisaire peut agir seul en défense du droit d’auteur

La veuve de Georges Pierre, photographe de plateau dont l’immortalisation du baiser entre Jean-Paul Belmondo et Anna Karina avait été retravaillée pour l’affiche du festival de Cannes de 2018, avait constaté qu’un site Internet reproduisait plusieurs œuvres de son défunt mari. Ce site, au-delà de la reproduction des sept photographies sans autorisation, assurait la vente des droits d’exploitation de ces œuvres, une nouvelle fois sans autorisation, et sans mention du nom de leur auteur.

À défaut d’accord entre la veuve de l’auteur et la société gérant la banque d’images par le biais du site Internet incriminé, une action en contrefaçon fut initiée devant le Tribunal judiciaire de Nanterre. Celui-ci rejeta l’intégralité des demandes en 2021, en raison d’un défaut d’originalité des sept photographies indûment reproduites. Appel fut interjeté de cette décision, mais la Cour d’appel de Versailles vient, une nouvelle fois, de rejeter l’ensemble des demandes le 25 octobre 2022[1].

La société défenderesse, finalement confortée dans sa position, avait néanmoins tenté d’arguer que la veuve du photographe n’aurait pu agir seule en contrefaçon, c’est-à-dire sans avoir agi avec les héritiers réservataires de son défunt mari ou même les avoir appelés à l’instance. La qualité à agir de la veuve de Georges Pierre était ainsi contestée avant toute défense au fond.

Et cette question, primordiale dans l’appréhension judiciaire de la mise en mouvement de la défense des droits d’un auteur, devait en réalité se dédoubler dans sa résolution entre les règles qui gouvernent tant la dévolution et la gestion du droit d’exploitation et celles qui gouvernent la dévolution et la gestion du droit moral. La Cour d’appel de Versailles opère ici un rappel important et évite la paralysie de la volonté d’un héritier de défendre seul une œuvre en cas de carence des autres héritiers.

La qualité à agir en défense des droits patrimoniaux
La demanderesse avait été mariée avec Georges Pierre et aucun jugement passé en force de chose jugée n’avait constaté la séparation de corps entre eux. Elle bénéficiait donc corrélativement de la qualité de conjoint survivant. Or, cette qualité investit son bénéficiaire d’un usufruit spécial, dit du conjoint survivant, visé par des dispositions spécifiques au sein du Code de la propriété intellectuelle pour ce qui est des droits d’exploitation. Dès lors, et en sa qualité de conjointe survivante, la qualité à agir de la requérante en défense du droit d'exploitation de l'auteur ne saurait être remise en cause selon la Cour d’appel. Par ailleurs, et c’est là une précision essentielle, « la circonstance que cet usufruit soit susceptible d'être réduit au profit des héritiers dans les conditions prévues à l'article 913 du code civil n'est pas de nature à la priver de cette qualité à agir, pas plus que le fait qu'en vertu des dispositions testamentaires de Georges Pierre elle soit légataire à titre universel et non légataire universel. Il importe donc peu que le testament lui-même n'ait pas été produit ».
Cette seule qualité suffisait à asseoir la recevabilité à agir de la veuve du photographe. Pour autant la Cour d’appel de Versailles conforte la recevabilité de l’action sur un autre fondement, en s’appuyant cette fois-ci sur les règles de l’indivision, visées à l’article 815-3 du Code civil, afin d’asseoir son raisonnement et fonder la qualité à agir de la requérante, qu’elle ait ou non la qualité de conjoint survivant. Dès lors, et quand bien même les droits d'exploitation de l'auteur seraient ici en indivision entre sa veuve et les héritiers réservataires du photographe, la défense de ces droits constitue un acte de conservation qui permet à la veuve d’agir en sa seule qualité de coindivisiaire. La Cour d’appel de Versailles rejette donc toute analyse qui voudrait qu’une telle action relève de la catégorie des actes d’administration qui nécessitent l’accord d’au moins deux-tiers des droits indivis. La défense en justice à l’encontre de potentiels actes de contrefaçon résultant d’une reproduction ou d’une représentation non autorisée d’une œuvre est ainsi ouverte à tout héritier coindivisaire des droits sur l’œuvre en litige.  
En outre, il résultait des attestations des héritiers réservataires produites aux débats par la veuve de l’auteur que ceux-ci avaient agréé l’action judiciaire menée par ces soins. De telles attestations équivalaient de leur part, selon la Cour, à un mandat tacite. Ainsi, la veuve de l’auteur était également susceptible d’agir sur le fondement de l'article 815-3 du Code civil sans que la circonstance que les héritiers réservataires ne soient pas parties à la présente instance ne soit de nature à la priver de cette qualité à agir.
Un titulaire indivis peut donc agir seul en défense des droits d’exploitation dont il est investi en concurrence avec d’autres héritiers et ce, qu’il soit ou non conjoint survivant de l’auteur.

La qualité à agir en défense du droit moral
L’absence de mention du nom de l’auteur sur les photographies en litige impliquait également la possibilité de tenter de voir reconnue une atteinte au droit à la paternité, soit à l’une des prérogatives constitutives du droit moral. C’est à ce titre que la veuve du photographe avait assigné la société défenderesse en contrefaçon du droit moral sur les sept photographies de Georges Pierre. Une nouvelle fois, la société défenderesse contestait la qualité à agir de la requérante, bien qu’ici la jurisprudence était stabilisée sur la faculté offerte à un seul héritier d’agir en réparation d’une atteinte au droit moral.
En effet, depuis une décision de la Cour de cassation du 15 février 2005, chaque cohéritier a qualité et intérêt légitime à agir seul en défense du droit moral du défunt, indépendamment du défaut d'exercice de l'option successorale[2]. Dans l’espèce qui avait donné lieu à la décision de la Cour de cassation, le nom du peintre Gasiorowski dont l'oeuvre avait été utilisée sans autorisation pour décorer des foulards n'avait pas été mentionné sur ceux-ci, ce qui constituait une atteinte caractérisée au droit de paternité. Le droit moral, selon les règles du droit commun de la dévolution successorale, avait été dévolu à son frère et, après le décès de celui-ci, se trouvait entre les mains de quatre neveux de l'artiste, dont deux seulement avaient agi contre la société Gucci. Celle-ci tenta vainement de soutenir que l’ensemble des héritiers auraient dû agir de concert ou qu’ils auraient dû être appelés dans la cause du procès.  
Or, dans l’affaire débattue devant la Cour d’appel de Versailles, la qualité de conjoint survivant de la requérante n’était pas discutée. Par ailleurs, il n’était ni justifié ni même allégué que le défunt aurait conféré à un tiers l'exercice de son droit moral en vertu de dispositions testamentaires. Dès lors, en sa qualité d'héritière, la qualité à agir de la requérante ne saurait être remise en cause selon la Cour.

En revanche, l’ensemble des demandes fondées sur des éventuels actes de contrefaçon a été rejeté par la Cour d’appel de Versailles au détriment de la veuve ayant pourtant vu sa qualité à agir reconnue.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.   

Le Cabinet intervient pour de nombreux estate ou successions d’artistes, tant français qu'étrangers, notamment pour des photographes, afin de les accompagner dans la structuration de leurs activités, qu'ils soient organisés sous forme de fondation, de fonds de dotation, d'association ou sous la forme d'une indivision successorale. Les conseils prodigués portent notamment sur le processus d'authentification, la défense de l'oeuvre - d'un point de vue juridique et sur le marché - et la promotion de celle-ci. Nous assurons un suivi constant, qui ne se limite pas au seul domaine juridique, et intervenons aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment pour des procédures en contrefaçon ou pour des procédures attachées à des problématiques d’authenticité.

[1] CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 25 oct. 2022, RG n° 21/01681.

[2] Cass. civ. 1re, 15 févr. 2005, no 03-12.159