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Refus de reconnaissance de l’originalité de photographies prises à l’occasion d’un tournage

La Cour d’appel de Versailles a refusé, le 25 octobre 2022, de retenir l’originalité de sept photographies prises à l’occasion d’un tournage par un photographe de plateau et reprises sans autorisation par une société tierce en vue de leur commercialisation.

La veuve de Georges Pierre, photographe de plateau dont l’immortalisation du baiser entre Jean-Paul Belmondo et Anna Karina avait été retravaillée pour l’affiche du festival de Cannes de 2018, avait constaté qu’un site Internet reproduisait plusieurs œuvres de son défunt mari. Ce site Internet, au-delà de la reproduction des sept photographies sans autorisation, assurait la vente des droits d’exploitation de ces œuvres, une nouvelle fois sans autorisation, et sans mention du nom de leur auteur.

À défaut d’accord entre la veuve de l’auteur et la société gérant la banque d’images par le biais du site Internet incriminé, une action en contrefaçon fut initiée devant le Tribunal judiciaire de Nanterre. Celui-ci rejeta l’intégralité des demandes en 2021, en raison d’un défaut d’originalité des sept photographies indûment reproduites. Appel fut interjeté de cette décision, mais la Cour d’appel de Versailles vient, une nouvelle fois, de rejeter l’ensemble des demandes le 25 octobre 2022. Si la Cour conforte la possibilité pour la veuve de l’auteur d’agir seule, sans que ne soient parties à la procédure les héritiers réservataires, la juridiction dénie néanmoins aux photographies en litige le bénéfice de la protection par le droit d’auteur à défaut de démonstration de leur originalité[1].

Les sept photographies pouvaient être distinguées selon deux typologies. Deux d’entre elles consistaient en des photographies de plateau, tandis que les cinq autres consistaient en des photographies réalisées en dehors du tournage. Cette distinction fut reprise tant en première instance qu’en appel.

La délicate reconnaissance de l’originalité de photographies de plateau
Si les juridictions étaient jusqu’à présent enclines à accueillir aisément les photographies de plateau dans le giron de la protection accordée par le droit d’auteur, la décision ici recensée participe au mouvement actuel d’un rééquilibrage au détriment des auteurs de telles photographies. Et un tel mouvement n’est guère circonscrit à cette seule catégorie, dès lors que les photographies prises sur le vif sont également concernées par un tel cantonnement malheureux[2].
En l’espèce, la Cour apprécie les deux clichés en contemplation du film sur le tournage duquel ils furent pris. Après avoir rappelé que le critère des choix, pour libres ou arbitraires qu’ils soient, ne suffit pas à octroyer la protection du droit d’auteur, la Cour insiste sur le fait que de tels choix doivent en outre révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Or, toujours selon la Cour, si « le photographe a fait quelques choix de mise en scène, d’éclairage, de pose, de cadrage ou encore d'angles de prise de vue distincts de ceux du réalisateur du film, il ne se dégage pas des photographies une impression visuelle différente de celle produite par les scènes filmées ». Ainsi, l’impression d’ensemble, induite par la comparaison entre les deux photographies examinées et les scènes du film concerné,« reflète, voire accentue, les choix préexistants du réalisateur et non l’empreinte de la personnalité propre » du photographe. C’était donc à bon droit que les premiers juges avaient rejeté la qualification d’œuvres de l’esprit aux deux photographies à défaut pour leur auteur d’avoir su imprimer sur ses créations le reflet de sa personnalité et à défaut pour sa veuve d’avoir su expliquer davantage un tel reflet. Les photographes de plateau semblent dorénavant contraints à un travail de démonstration d’un degré supérieur à ceux d’autres créateurs, malgré l’indifférence axiomatique du genre et du mérite en ce domaine.

La photographie de portrait : un genre aux codes délicats à combattre
La Cour de justice de l’Union européenne a ciselé, au terme d’une décision phare du 1er décembre 2011, les contours de la démonstration à opérer en matière de photographie de portrait, si ce n’est même de photographie, quel qu’en soit le genre. Ainsi, l’arrêt Eva-Maria Painer c/ Standard avait affirmé qu’un auteur peut exprimer sa personnalité et ainsi faire oeuvre originale s'il a la faculté d'effectuer des choix libres et créatifs : « S'agissant d'une photographie de portrait, il y a lieu de relever que l'auteur pourra effectuer ses choix libres et créatifs de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation. Au stade de la phase préparatoire, l'auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l'éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l'angle de prise de vue ou encore l'atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l'auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu'il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l'emploi de logiciels. À travers ces différents choix, l'auteur d'une photographie de portrait est ainsi en mesure d'imprimer sa "touche personnelle" à l'oeuvre créée. Par conséquent, s'agissant d'une photographie de portrait, la marge dont dispose l'auteur pour exercer ses capacités créatives ne sera pas nécessairement réduite, voire inexistante ».
Dans l’espèce ici concernée, et pour ce qui était des cinq photographies encore en litige, la Cour d’appel de Versailles ne s’attache guère à envisager les trois étapes chronologiques de la démonstration de l’originalité en matière de portrait posé. En effet, la Cour se contente de dénier toute marge de liberté au photographe dans l’attitude ou la pose du sujet photographié, faute d’élément de preuve extérieure rapporté par la requérante. De la même manière, la Cour relève que la rareté du sourire du réalisateur capté par la photographie n° 3 n’est pas de nature en soi à démontrer l'originalité du cliché.

Une fois ces deux seules précisions apportées, la Cour s’emploie à rattacher les cinq photographies au fonds commun de la photographie noire et blanc, qu’elle qualifie sans raison de photographie « par nature plus théâtrale, voire plus artistique, que la photographie couleur ». Dès lors, l’auteur n’aurait déployé qu’un savoir-faire technique sans particulière singularité. Quant à l’impression visuelle procurée par les photographies, celle-ci correspond à « celle de toute photographie de portrait en noir et blanc sans que le fait que [le sujet] ait été capturé dans des attitudes de détente ou de sourire inusuelles de sa part ne soit de nature à témoigner de l'empreinte de la personnalité propre du photographe ».
L’utilisation même de la notion « d’impression visuelle » semble ici critiquable, dès lors qu’elle se rattache davantage à la notion d’ « impression visuelle d’ensemble », condition de protection en matière de droit des dessins et modèles, plus qu’à une notion rattachée au droit d’auteur. Quant à l’appartenance d’une photographie de portrait au fonds commun, celle-ci semble bien plus délicate à combattre qu’en d’autres domaines de la photographie, à l’instar, par exemple, de celui de photographie de produits cosmétiques.
À défaut de parvenir à prouver l’originalité des sept photographies en litige, l’héritière du photographe ne pouvait corrélativement qu’être déboutée de son action en contrefaçon.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.   

Le Cabinet intervient pour de nombreux estate ou successions d’artistes, tant français qu'étrangers, afin de les accompagner dans la structuration de leurs activités, qu'ils soient organisés sous forme de fondation, de fonds de dotation, d'association ou sous la forme d'une indivision successorale. Les conseils prodigués portent notamment sur le processus d'authentification, la défense de l'oeuvre - d'un point de vue juridique et sur le marché - et la promotion de celle-ci. Nous assurons un suivi constant, qui ne se limite pas au seul domaine juridique, et intervenons aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment pour des procédures en contrefaçon ou pour des procédures attachées à des problématiques d’authenticité.

[1] CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 25 oct. 2022, RG no 21/01681.

[2] V. réc. CA Rennes, 1re ch., 18 janv. 2022, RG no 19/06526 ; TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 24 mai 2022, RG no 20/11677.