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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Inexécution fautive des obligations d’un éditeur vis-à-vis de son auteur

La Cour d’appel de Paris a retenu la responsabilité d’un éditeur pour avoir failli dans l’exécution d’obligations essentielles attachées aux deux contrats le liant à une autrice pour un montant de 10.000 euros. Bien que la nature de ces contrats n’ait pas été précisée (contrat d’édition et/ou contrat à compte d’auteur), les obligations de promotion, d’exploitation continue et de reddition de comptes s’imposent à l’éditeur en cas de stipulation contractuelle expresse en ce sens.

Une autrice de romans avait écrit en 2010, sous un nom d’emprunt, un premier ouvrage. Souhaitant parvenir à le faire publier, elle s’était alors rapprochée d’une société éditrice dont le site Internet annonçait aider les jeunes auteurs à diffuser leurs œuvres. Un contrat fut alors signé au début de l’année 2013, pour une durée déterminée de 18 mois, afin de permettre l’impression, la reproduction, la publication, la promotion et la vente de l’ouvrage concerné. Ce premier roman ayant connu un certain succès (plus de 2.500 exemplaires papiers et près de 500 exemplaires numériques furent vendus), l’auteur décida de procéder à l’écriture de la suite de ce premier volet. Ce second opus donna lieu à l’envoi par l’éditeur d’un contrat d’édition, qui ne fut jamais signé, et à la sortie de l’ouvrage. L’éditeur informa l’autrice en octobre 2015 de sa volonté de résilier les contrats conclus, ce à quoi s’opposa sa cocontractante en reprochant corrélativement à son éditeur de ne pas lui avoir versé ses droits d’auteur, tant sur le premier ouvrage dans la période de septembre 2014 à octobre 2015, que sur le second ouvrage de juillet à octobre 2015, tout en ayant préjudicié à sa carrière du fait de ses manquements contractuels. Un an et demi après ces échanges, l’autrice assignait son ancien éditeur devant le Tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon de ses droits d’auteur et pour un certain nombre de manquements contractuels qu’elle lui reprochait. Le 18 février 2022, la Cour d’appel de Paris vient de rendre dans cette affaire une décision intéressante quant au montant du préjudice subi par l’autrice[1].

Une absence de qualification des contrats en litige
Tant l’éditeur que l’autrice s’opposaient sur la qualification des contrats conclus en 2013 et en 2014. L’éditeur soutenait que ces contrats devaient s’analyser en des contrats à compte d’auteur, tandis que l’autrice estimait que les contrats étaient de nature hybride, empruntant tout à la fois au contrat à compte d’auteur et au contrat d’édition. L’irruption du contrat à compte d’auteur se justifiait ici par l’obligation faite à l’autrice de rémunérer son éditeur tant pour le premier ouvrage que pour le second. Ce faisant, le Tribunal judiciaire et la Cour d’appel de Paris auraient dû procéder à la qualification des liens contractuels entre les deux parties en litige. Pour autant, ce n’est pas là la démarche adoptée par la Cour qui se contente d’analyser les obligations qui avaient été contractuellement mises à la charge de l’éditeur.

À titre de rappel, l’article L. 132-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que ne constitue pas un contrat d’édition le contrat dit à compte d’auteur. En effet, par un tel contrat, l’auteur ou ses ayants droit versent à l’éditeur une rémunération convenue, à charge par ce dernier de fabriquer en nombre, dans la forme et suivant les modes d’expression déterminés au contrat, des exemplaires de l’œuvre et d’en assurer la publication et la diffusion. À défaut d’être un contrat d’édition, au sens des dispositions de l’article L. 132-1 du Code de la propriété intellectuelle, un tel contrat constitue un louage d’ouvrage, c’est-à-dire un contrat de prestation de services, régi tant par les dispositions contractuellement arrêtées par les parties que par les usages en la matière. Il aurait été ici intéressant, si ce n’est nécessaire, que la Cour d’appel opère une juste qualification des contrats litigieux, dès lors qu’à chaque qualification juridique répond un régime juridique précis, soit des règles qui lui sont propres.

Les distinctions entre contrats d’édition, à compte d’auteur et de compte à demi
Cette distinction s’avère d’autant plus nécessaire en matière d’édition au regard des conditions de rémunération de chacune des parties. En effet, le contrat à compte d’auteur constitue un contrat par lequel l’auteur verse à l’éditeur une rémunération pour que celui-ci fabrique en nombre des exemplaires de l’œuvre ou la réalise sous une forme numérique et en assure la publication et la diffusion. L’ensemble des droits générés par la vente des exemplaires de l’ouvrage demeure au bénéfice du seul auteur. Au contraire, le contrat de compte à demi consiste en un contrat par lequel l’auteur charge un éditeur de fabriquer, à ses frais et en nombre, des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser sous une forme numérique et d’en assurer la publication et la diffusion, moyennant l’engagement réciproque de partager les bénéfices et les pertes d’exploitation, dans une proportion contractuellement prévue. La coopération entre les deux parties est ici au cœur de leur relation. Enfin, le contrat d’édition d’un livre consiste en un contrat par lequel l’auteur cède à un éditeur, en contrepartie d’une rémunération contractuellement prévue, le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser sous une forme numérique. Il incombe alors à l’éditeur d’en assurer la publication et la diffusion, conformément aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle qui viennent encadrer de manière particulièrement stricte les relations entre les deux parties à un tel contrat. En l’espèce, et à défaut d’éléments complémentaires, il était délicat de déterminer la nature exacte de la relation entre les deux parties à la seule lecture des termes des contrats repris par la Cour d’appel de Paris.

Une analyse des obligations à la charge de l’éditeur
Pour autant, et en ce qui a trait au contrat conclu en 2013, et intitulé « Contrat de publication d’une œuvre littéraire », la Cour constate qu’un tel contrat prévoyait que l’auteur autorisait « l’éditeur et ses ayants-droit à imprimer, reproduire, publier et vendre dans une édition courante l’ouvrage », que corrélativement « l’éditeur s’engage à assurer la publication en librairie de cet ouvrage, et à lui procurer pour une diffusion dans le public et auprès des tiers susceptibles d’être intéressés, les conditions favorables à son exploitation sous toutes les formes contractuellement prévues ci-dessous ». Il était ajouté que « l’auteur prend à sa charge une somme forfaitaire et définitive ». L’auteur assurait enfin à l’éditeur la concession des droits permettant tant la publication de l’ouvrage que son adaptation. Enfin, l’éditeur s’engageait à assurer à l’œuvre une exploitation commerciale, permanente et suivie, marques habituelles des obligations classiquement mises à la charge d’un éditeur dans le cadre d’un véritable contrat d’édition.

Parmi les autres obligations mises à la charge de l’éditeur, l’auteur faisait grief à son ancien cocontractant d’avoir dû elle-même réaliser les corrections sur son ouvrage et qu’un retard dans la publication de l’ouvrage avait eu lieu par la faute de l’éditeur. La Cour écarte ici ces deux griefs, dès lors que le premier ne permettait pas de retenir une inexécution des obligations expressément mises à la charge de l’éditeur et que le second grief n’était aucunement caractérisé, dès lors que l’ouvrage avait paru dans les quatre mois suivant la signature du contrat et que les dispositions contractuelles prévoyaient un délai maximal de cinq mois à compter de la remise du manuscrit.  

En revanche, en ce qui avait trait aux trois obligations mises à la charge de tout éditeur (obligations de promotion, d’exploitation continue et de reddition des comptes), la Cour constate aisément un certain nombre de manquements contractuels. Seule l’autrice avait ici procédé au démarchage de grandes enseignes pour pouvoir y réaliser des séances de dédicace et avait procédé à la promotion de l’ouvrage auprès de la presse et des médias. Au contraire, la société d’édition était dans l’incapacité de prouver une quelconque diligence en ce sens. Or, le contrat imposait bien à cette société une telle obligation de promotion. Quant à l’exploitation continue, l’autrice justifiait d’avoir été confrontée dès octobre 2013 à l’impossibilité pour un libraire de pouvoir obtenir des ouvrages de la part de l’éditeur afin d’assurer une séance de dédicace. Et, de la même manière, en janvier 2014, des lecteurs s’étaient plaints du fait que l’ouvrage n’était aucunement disponible en format papier dans une grande enseigne ni même sur son site Internet en format numérique. Ce faisant, la diffusion de l’ouvrage, participant à l’exploitation continue de l’œuvre, n’était aucunement respectée malgré les stipulations contractuelles en ce sens. Enfin, dernière obligation essentielle en matière d’édition, la reddition des comptes était intervenue de manière particulièrement tardive pour le premier ouvrage, dès lors que l’éditeur n’avait envoyé qu’en octobre 2015, en même temps que le courrier de résiliation, un tel document. À cet égard, la Cour constate le caractère bien trop tardif d’un tel envoi au regard notamment de la date d’expiration du premier contrat en août 2014 et ce, quand bien même aucun délai de reddition n’était contractuellement prévu. Pour le deuxième contrat, et au regard de la date de la signature de celui-ci, aucune inexécution contractuelle ne pouvait être retenue à l’encontre de la société d’édition par l’envoi en octobre 2015 de la reddition des comptes afférente à ce second ouvrage.

La réparation des inexécutions contractuelles de l’éditeur
Le Tribunal judiciaire, ayant pris en considération les nombreuses démarches que l’auteur avait dû accomplir pour la promotion de ses ouvrages, avait alors retenu à l’encontre de l’éditeur une somme de 2.000 euros en réparation du préjudice subi. Pour autant, selon la Cour d’appel, « cette somme est cependant insuffisante au regard de la gravité et de l’ampleur de la défaillance de la société [éditrice] dans l’exécution d’une obligation contractuelle essentielle ». En outre, et toujours selon la Cour, l’autrice « fait valoir à juste raison que la réparation du préjudice moral doit tenir compte du fait que la reddition des comptes n’a été faite que très tardivement, près de 14 mois après l’expiration du contrat, pour l’ouvrage ». Enfin, et conformément à l’analyse précédemment menée, l’éditeur n’avait pas correctement exécuté son engagement de mettre l’ouvrage à la disposition du public. C’est pourquoi, la Cour relève le montant fixé en première instance à 2.000 euros à un total de 10.000 euros pour la seule réparation du préjudice moral subi.

En revanche, pour ce qui a trait au préjudice matériel qui aurait résulté des manquements contractuels de la société éditrice, la Cour balaie toute indemnisation. Aucun retard dans la parution du premier ouvrage n’avait été accusé, les conditions de sortie du second étaient critiquées par l’autrice mais aucunement justifiées et l’ensemble des droits qui devaient lui être reversés au titre des contrats l’avaient été. Enfin, la Cour infirme la décision de première instance sur la restitution des sommes versées par l’auteur à son éditeur au titre de la publication des deux ouvrages.


Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.

[1] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 18 févr. 2022, RG no 20/12504.