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La propriété en conflit de l’œuvre de Vivian Maier

Célébrée au sein de très nombreuses expositions institutionnelles ou marchandes, l’œuvre de la photographe, décédée sans descendance connue ni testament, ne cesse de connaître des vicissitudes judiciaires dans l’attente de la détermination de ses héritiers potentiels.  

Parmi les différents propriétaires des matrices des tirages d’œuvres de Vivian Maier, les deux plus importants d’entre eux ont adopté des stratégies fort différentes face à l’imbroglio successoral qui a succédé à la reconnaissance mondiale d’une œuvre posthume et auparavant inconnue. Le premier est bien évidemment John Maloof, ancien agent immobilier de son état, alors âgé de 26 ans. Acquéreur en 2007 de près de cent-mille négatifs et diapositives contenus dans le box loué par la photographe, il posséderait près de 85% de l’œuvre. Cet ancien agent immobilier est notamment connu du grand public pour avoir consacré en 2014 un documentaire à l’ancienne nounou, A la recherche de Vivian Maier, et s’être allié depuis lors à la très puissante galerie new yorkaise Howard Greenberg. Le second est Jeffrey Goldstein, qui après avoir racheté en 2010 des négatifs auprès d’un des deux autres adjudicataires de la vente aux enchères du garde-meuble a également entamé une démarche de valorisation marchande de l’œuvre. Pour autant, ni l’un ni l’autre de ces promoteurs acharnés ne s’avère investi légalement de la possibilité de réaliser et vendre des tirages posthumes en leur seule qualité de propriétaire de négatifs ou de diapositives.   

Bien qu’aux États-Unis, il s’avère usuel que les sociétés de stockage exigent de leurs clients qu’ils signent des accords les privant de l’intégralité de leurs droits sur le contenu du box si le paiement de celui-ci n’est pas honoré, Vivian Maier n’avait jamais accepté une telle contrainte. L’ancienne nounou new-yorkaise demeurait ainsi seule investie de droits d’auteur sur son œuvre jusqu’à son décès en 2009. En effet, des deux côtés de l’Atlantique, la qualité de propriétaire du support d’une œuvre n’emporte nullement celle de propriétaire des droits d’auteur qui y sont attachés. La propriété corporelle est distincte de la propriété incorporelle, ainsi que le rappelle, en France, l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle. L’exploitation des négatifs par les deux collectionneurs, ayant tout à la fois fait réaliser des tirages posthumes et commercialisés ceux-ci, n’avait donc jamais été autorisée par Vivian Maier, ni par son ou ses héritiers potentiels.

Une recherche généalogique complexe
Face à l’enjeu juridique et financier consécutifs à l’engouement mondial suscité par la découverte du travail de Maier, John Maloof décidait alors de tenter de retrouver l’héritier le plus proche de la photographe. Au terme de nombreuses recherches, il avait acquis la certitude de l’avoir trouvé en la personne de l’arrière-petit neveu de la grand-mère de la photographe. Mais une recherche généalogique parallèlement menée par un avocat américain et ancien photographe semblait indiquer que le petit-neveu du père de Maier serait à même de revendiquer pareille qualité. Confronté à ces différentes revendications, le tribunal des successions et des tutelles du comté de Cook, dans l’Illinois (États-Unis), désigna en 2014 un administrateur judiciaire, chargé tout à la fois de gérer l’estate de Vivian Maier et d’en défendre les intérêts avant que les droits d’auteur ne soient dévolus à l’un des désormais dix héritiers putatifs identifiés. Au-delà de la seule détermination d’un héritier putatif, il est en effet nécessaire de parvenir à dénier une quelconque qualité d’ayant droit à tout autre héritier potentiel. Une mission particulièrement ardue au regard tant des nombreuses ramifications de l’arbre généalogique de Vivian Maier, éclaté entre de nombreux pays européens, que de l’existence d’un frère, Carl, prédécédé en 1977 sans qu’aucune descendance ne soit non plus a priori connue de son côté. Enfin, une particularité attachée à la loi de l’État de l’Illinois imposerait la création d’une entité américaine spécifique pour pouvoir permettre à tout héritier d’origine européenne de pouvoir gérer la succession ouverte dans cet État. En cas contraire, l’héritier ou les héritiers qui seraient confortés dans cette qualité pourraient certes toucher l’ensemble des revenus générés par la gestion de l’estate – moins les frais de fonctionnement – mais ne pourraient aucunement présider à la destinée de l’œuvre en leur seule qualité d’héritiers.

La gestion de l’estate de Vivian Maier par un administrateur nommé par la justice
L’estate sorti des limbes par la justice américaine, la protection de ses droits devint une priorité et de nombreuses mises en demeure furent envoyées aux divers acteurs de la promotion de l’œuvre. La numérisation, la réalisation et la vente de tirages posthumes, ainsi que la reproduction et l’exposition de l’œuvre doivent depuis lors être nécessairement soumises à l’approbation de l’administrateur de la succession. John Maloof, épaulé par la galerie Howard Greenberg, a préféré parvenir avec l’administrateur à un accord financier en 2016, dont les termes demeurent confidentiels, bien qu’il ait été annoncé que celui-ci soldait le passé et assurait à l’estate des revenus sur les ventes futures. C’est grâce à cet accord que l’exposition au Musée du Luxembourg a pu se tenir, ce que dénotait assurément le crédit des photographies : « ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY ». Pareille solution est à l’évidence bienvenue. Pour autant, elle semble acter la mainmise sur l’avenir de l’œuvre, sur ses conditions de présentation et de tirage, au bénéfice non d’éventuels héritiers mais bien d’un collectionneur et d’un marchand. L’administrateur judiciaire n’ayant pas décidé de geler l’exploitation de l’œuvre, celle-ci peut alors être gérée par des tiers, sous réserve qu’ils s’acquittent du paiement des rémunérations convenues. Une telle situation aurait été impossible en France, puisque la mise en œuvre du droit de divulgation n’appartient qu’aux seuls héritiers de l’auteur. En revanche, si une œuvre inédite est divulguée avec l’accord des héritiers par le propriétaire du support physique, une fois l’expiration du délai de soixante-dix ans après de le décès de l’auteur réalisée, ce propriétaire est également investi des droits d’exploitation pendant une durée de vingt-cinq ans. En revanche, il est possible en cas de déshérence du droit de divulgation que le Ministère de la Culture, ou même une association dédiée à un artiste, sollicite le tribunal judiciaire pour se voir investi de la possibilité de divulguer des œuvres inédites. Il faudra néanmoins prouver que cette divulgation respecte bien les volontés de l’auteur, preuve qui aurait a priori était bien délicate à rapporter pour Vivian Maier.

Le positionnement de Jeffrey Goldstein à l’opposé de celui de John Maloof
Dans une approche bien plus agressive, Jeffrey Goldstein décidait de vendre à la fin de l’année 2014 une grande partie de sa collection de négatifs à un collectionneur établi au Canada, afin de perturber l’enquête de l’administrateur de l’estate sur l’étendue de la violation des droits d’auteur emportée par le tirage de photographies posthumes non-autorisées et leur vente. Fidèle à cette ligne de défense, Goldestein soutint même devant le tribunal d’homologation que l’estate bénéficierait d’un enrichissement sans cause s’il venait à devoir s’acquitter de droits sur les ventes, car seul son travail aurait permis à l’œuvre d’être reconnue et valorisée. Cette demande fut rejetée en 2016 et conduisit l’administrateur à poursuivre l’ensemble des galeries avec lesquelles le collectionneur avait noué des accords commerciaux. Ces partenariats auraient généré, selon les divers documents procéduraux disponibles, jusqu’à un demi-million de dollars de recettes annuelles. Et dans l’hypothèse où les galeries auxquelles Jeffrey Goldestein avait confié ses tirages seraient condamnées, celles-ci auraient alors toute latitude pour se retourner contre leur ancien partenaire. L’enjeu est d’autant plus important que la cote de Vivian Maier a presque doublé selon certains spécialistes depuis 2013, les tirages posthumes étant dorénavant proposés entre 3.500 et 7.000 euros. Pendant ce temps, l’héritier de Vivian Maier demeure toujours inconnu et sans doute soulagé de ne pas encore être confronté à un tel cadeau empoisonné.   

Une première version de cet article est parue dans l’édition française de The Art Newspaper de novembre 2021.  

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet. 

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des successions d’artistes dans la défense de leurs intérêts, notamment sur les questions de titularité des droits d’auteur et de contrefaçon des droits d’auteur. Notre Cabinet défend de nombreuses successions dans des problématiques à dimension internationale.