Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Une application restreinte de la contribution diffuseur

Des sculptures – relevant ici des arts dits premiers – dont il n’est pas établi qu’elles ont été exécutées entièrement par un artiste ou un groupe d’artistes et qui ne portent pas l’empreinte de la personnalité de leur auteur ne sont pas des œuvres originales au sens du droit de la sécurité sociale et leur vente n’est donc pas assujettie au paiement de la contribution diffuseur, dite 1,10 % diffuseur selon la Cour d’appel de Paris.
Toute vente d’une œuvre d’art donne lieu au paiement d’une contribution de 1,1 % dite « contribution diffuseur », acquittée auprès de l’Urssaf ou de la Maison des Artistes par la personne qui procède « à la diffusion ou à l’exploitation commerciale d’œuvres originales » pour financer le régime de la sécurité́ sociale des auteurs-artistes.
Après le contentieux tranché par la Cour d’appel de Toulouse concernant l’application de cette contribution diffuseur à la vente aux enchères publiques d’un sceau impérial chinois, un autre contentieux était encore pendant, quinze ans après la vente dite Vérité organisée à l’hôtel Drouot en 2006. Celle-ci avait donné lieu à la dispersion historique de 514 lots de la très belle collection d’objets et de sculptures d’art africain et océanien de Pierre et Claude Vérité. La société Enchères Rive Gauche avait à l’époque adjugés ces lots pour un montant record de 44 millions d’euros avant de recevoir une notification de paiement à l’Urssaf de 21.000 euros au titre de la contribution diffuseur. La maison de ventes contestant l’application de ce mécanisme aux sculptures dispersées par ses soins au feu des enchères, un contentieux naquit dont la décision de la Cour d’appel de Paris du 18 février 2022[1] vient d’apporter un nouvel épilogue qui pourrait être définitif si l’Urssaf ne se pourvoit pas une nouvelle fois en cassation.

Fondement et finalité du « 1,10 % diffuseur »
Le premier alinéa de l’article L. 382-4 du Code de la sécurité sociale met à la charge de toute personne qui procède à la diffusion ou à l’exploitation commerciale d’une œuvre d’art, une obligation de contribuer au financement de la sécurité sociale des artistes-auteurs. L’article précise qu’il importe peu qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale ou encore d’une personne de droit privé ou de droit public. Sont ainsi concernés par cette qualité de diffuseurs, les galeries d’art, les éditeurs d’art, les opérateurs de ventes volontaires, les antiquaires, les brocanteurs, certains musées, etc.
Cette contribution, dénommée « 1,10 % diffuseur », est calculée sur un barème tenant compte soit du chiffre d’affaires réalisé par toute personne réalisant une diffusion ou une exploitation commerciale des œuvres des artistes, vivants ou morts, auteurs d’œuvres graphiques et plastiques ou de leur rémunération lorsque l’œuvre n’est pas vendue au public, soit des sommes qu’elles versent à titre de droit d’auteur aux artistes ou organismes percevant ces sommes pour leur compte, à l’occasion de la diffusion ou de l’exploitation commerciale des œuvres des artistes, vivants ou morts, auteurs d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques. Les ventes peuvent concerner la production d’un artiste vivant ou décédés. De la même manière, les œuvres pour lesquelles les droits patrimoniaux se seraient éteints par écoulement du temps (soit soixante-dix ans après le décès de l’auteur concerné) entrent dans le champ d’application de l’article. Les opérateurs de ventes volontaires de telles œuvres sont soumis à cette contribution fixée à 1,10 % du montant TTC des commissions perçues sur le produit des ventes aux enchères, soit le montant cumulé des frais acheteur et vendeur.

La contestation de l’application du “1,10 % diffuseur” aux œuvres de la vente Vérité
Dans le présent cas d’espèce, l’opérateur de ventes volontaires contestait l’application de ce mécanisme dès lors que, selon la maison de ventes, ces objets ne rentraient pas dans le champ d’application de l’article 98 bis de l’annexe III du Code général des impôts.
Le 5 février 2015, la Cour d’appel de Paris[2] avait rejeté l’opposition formée par l’opérateur de ventes volontaires contre le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale ayant validé les contraintes décernées par l’Urssaf, au motif que seules les ventes d’objets manufacturés ou utilitaires ne reflétant pas la personnalité́ de leur auteur échappent à la contribution, faute de présenter le caractère d’œuvre originale, ce qui n’était pas le cas des objets litigieux. Si ceux-ci avaient à l’origine un rôle social ou utilitaire, ce caractère aurait, selon la cour, disparu lorsqu’ils ont changé de continent pour devenir des objets de vente dans le monde de l’art où leur caractère d’œuvre artistique aurait été reconnu à part entière. L’arrêt fut censuré par la Cour de cassation, le 4 mai 2016[3], pour défaut de base légale, faute pour la Cour d’appel de Paris d’avoir précisément caractérisé la nature des objets en cause.

Le débat porté devant la cour d’appel de renvoi
Devant la cour de renvoi, la maison de vente aux enchères faisait valoir que les objets d’art premier ne rempliraient pas les conditions d’assujettissement à la contribution diffuseur car ils « appartiendraient par nature à un fonds commun culturel et religieux sans marque d’individualité d’un auteur » puisqu’« en art tribal, la notion d’auteur n’existe pas », et ceux-ci correspondraient plutôt « à des objets ethnologiques à vocation utilitaire ou cultuelle, façonnés par des artisans ». Par ailleurs, en présence d’un ensemble d’œuvres, la preuve de l’originalité, qui devrait s’apprécier comme en matière de droit d’auteur, doit être rapportée œuvre par œuvre prise individuellement, et non globalement comme l’avait fait à l’origine la Maison des Artistes.
Au contraire, la Maison des Artistes considérait que les œuvres en litige constituaient des œuvres d’art, dès lors qu’elles ne ressortaient pas d’un caractère uniquement ethnologique et qu’elles se caractérisaient lesquelles se caractériseraient « par les choix artistiques opérés par l’artiste et le fait que l’œuvre ait été réalisée de la main de l’artiste, sans utilisation de techniques permettant une reproduction stéréotypée ». En outre, il était soutenu que les sculptures litigieuses ont toutes été réalisées en un exemplaire unique, peu important qu’elles aient ou non chacune été intégralement réalisées par un seul et même artiste.
La cour de renvoi de Paris donne finalement gain de cause à la maison de vente aux enchères, en retenant que les conditions nécessaires à l’assujettissement à la contribution diffuseur ne sont pas réunies. Ainsi, selon la cour, il n’est pas établi que les œuvres constituant les lots de la vente Vérité, prises individuellement, ont été exécutées entièrement par l’artiste ou par un même groupe d’artistes et il n’est pas davantage démontré qu’elles présentent un caractère original au sens de l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts auquel renvoie le droit de la sécurité sociale.

Une confusion entre l’originalité du droit d’auteur et l’œuvre d’art au sens du droit fiscal
De manière fort étrange, mais c’était là l’argumentation des parties au litige, la cour reprend la définition de l’originalité visée en matière de droit d’auteur afin de conclure que les mentions du catalogue ne permettent pas d’établir que l’une des œuvres litigieuses porterait l’empreinte de la personnalité de l’auteur concerné.
Une telle analyse s’avère incongrue, dès lors que le texte du Code de la sécurité sociale n’opère aucune référence à la question de l’originalité ou même de l’original, soit à une appréhension à l’aune du droit d’auteur. Bien au contraire, la seule appréhension à retenir ici de l’œuvre est celle opérée par les textes en matière fiscale, dont essentiellement ceux qui régissent l’application ou non du taux réduit de TVA aux seules œuvres d’art.  
Le raisonnement de la cour d’appel de renvoi est ainsi erroné dès lors qu’il prend pour appui une référence à la notion d’œuvre de l’esprit et non appui sur l’appréhension fiscale de l’œuvre d’art. L’empreinte de la personnalité y est ici indifférente. Si les lots concernés par la vacation dédiée à la collection des époux Vérités n’avaient pas été fabriqués en série par des moyens techniques, mais à la main en un unique exemplaire, une difficulté persistait néanmoins face à leur qualité d’objets ethnologiques à vocation utilitaire ou cultuelle. De la même manière, il était bien délicat d’attribuer les lots concernés à un ou plusieurs artistes déterminés. Ces arguments auraient assurément suffi à ne pas retenir l’application des dispositions du 1,10 % diffuseur sans avoir à malmener les dispositions légales. Et la présente décision a vocation à rayonner au-delà des seuls objets relevant des arts dits premiers.

Que retenir ?
o   L’application de la contribution diffuseur impose à l’Urssaf de justifier de l’éligibilité de chaque lot ou de chaque objet concerné au régime ;
o   Il est possible de contester l’application d’une telle contribution diffuseur dès lors que l’objet concerné (notamment dans les arts dits premiers, les antiquités, les arts asiatiques ou encore les arts et traditions populaires) reprend une thématique esthétiquement ou sociologiquement codifiée ;
o   Cette solution s’applique à tous les acteurs du marché de l’art, qu’ils soient maisons de ventes, antiquaires, galeristes, brocanteurs.  


Un article écrit par Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Nous accompagnons également nos clients sur tous les aspects fiscaux de leur activité.

[1] CA Paris, pôle 6, ch. 12, 18 févr. 2022, RG no 17/09654.

[2] CA Paris, pôle 6, ch. 12, 5 févr. 2015, RG no 09/01.342.

[3] Cass. civ. 2e, 4 mai 2016, no 15-15.836.