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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

La reddition de comptes en France et en Belgique (1/2)

Le contrat d’édition s’articule autour de la cession de droits d’auteur consentie à l’éditeur par l’auteur. En contrepartie d’une telle cession de droits, l’éditeur est tenu à un certain nombre d’obligations, parmi lesquelles figurent une obligation tenant à la publication de l’œuvre dans un certain délai. D’une telle publication s’infère une obligation de rendre compte des exploitations de l’œuvre et, corrélativement, de procéder au versement d’une rémunération au profit de l’auteur.

Un devoir légal d’information à l’égard de l’auteur
L’obligation de rendre compte s’infère du devoir de transparence dû à l’auteur par l’éditeur, en charge de l’exploitation de ses droits. Cette obligation doit permettre de « rendre compte à l’auteur du calcul de sa rémunération de façon explicite et transparente »[1] et est due pour chaque ouvrage, quand bien même l’éditeur serait en charge de l’exploitation de plusieurs ouvrages de ce même auteur. Alors que l’obligation de reddition de comptes fait l’objet de dispositions spécifiques au domaine de l’édition en droit français, la loi belge du 19 juin 2022 a abrogé l’ancien article XI.198 du Code de droit économique spécifique au contrat d’édition et a instauré un nouvel article XI.167/2 relatif à l’obligation de fournir des informations à l’auteur. Cet article revêt une portée générale, pour tout contrat de cession ou de licence de droits tenant à l’exploitation d’œuvres, bien qu’il soit expressément fait mention de la prise en considération des « spécificités de chaque secteur ».

Le contenu de la reddition de comptes
Le contenu d’un tel document diffère en fonction du format d’édition de l’œuvre[2]. Ainsi, doivent être mentionnés pour un ouvrage sous format papier, le nombre d’exemplaires fabriqués en cours d’exercice, en stock en début et en fin d’exercice, vendus par l’éditeur, hors droits et détruits au cours de l’exercice et, si le contrat d’édition prévoit une provision pour retours d’exemplaires invendus, le montant de la provision constituée et ses modalités de calcul. Lorsque le livre est édité sous format numérique, la reddition précise les revenus issus de la vente à l’unité de la publication concernée et de chacun des autres modes d’exploitation du livre. En tout état de cause, doit être mentionné le montant des redevances dues ou versées à l’auteur, ainsi que les assiettes et les taux des différentes rémunérations prévues au contrat d’édition. L’article précité du Code de droit économique belge mentionne la nécessité de communiquer « des informations actualisées, pertinentes et complètes, sur l’exploitation de ses œuvres, notamment en ce qui concerne les modes d’exploitation, l’ensemble des recettes générées et la rémunération due ». L’utilisation de l’adverbe « notamment » ouvre le champ des possibles quant aux informations susceptibles d’être communiquées, laissées à la discrétion des parties au sein du contrat d’édition. En tout état de cause, les catégories légalement précisées constituent un minimum.
À l’inverse du droit français, un certain assouplissement est prévu en droit belge, lequel introduit la faculté de réduire l’obligation d’information due par l’éditeur dans des cas dûment justifiés dans lesquels la charge administrative résultant de l’obligation de transparence se « révèle disproportionnée par rapport aux recettes générées par l’exploitation de l’œuvre »[3]. En pareille hypothèse, l’obligation de communication de l’éditeur « peut être limitée aux types et au niveau d’information que l’on peut raisonnablement attendre dans le secteur concerné ». Une telle formulation est soumise à une subjectivité certaine, fruit de nombreuses interprétations par les parties, de telle sorte qu’il apparaît opportun de le préciser au mieux au sein du contrat d’édition. 

La communication des cessions de droits réalisées
En sus des différentes informations que l’éditeur doit communiquer à l’auteur se trouvent également les cessions de droits à des tiers réalisées au cours de l’exercice considéré par l’éditeur. À cet égard, la Cour de cassation française a condamné un éditeur qui n’avait pas respecté son « obligation d’informer l’auteur des conditions dans lesquelles son œuvre est exploitée à l’étranger »[4] dans le cadre d’une cession conclue par un éditeur pour une édition hors de France. En droit belge, le Code de droit économique précise que l’auteur peut demander par courrier recommandé avec accusé de réception « des informations supplémentaires relatives à l’exploitation de ses œuvres à ce tiers ou à la personne à qui les droits ont été cédés ou au preneur de licence, qui transmet au tiers la requête de l’auteur ou son représentant. Lorsque l’auteur ou son représentant souhaite adresser directement sa requête au tiers, la personne à qui les droits ont été cédés ou le preneur de licence lui fournit des informations sur l’identité du tiers à l’auteur ou son représentant »[5] bien que les conventions collectives spécifiques à l’édition peuvent restreindre l’une ou l’autre des possibilités[6]

Une exception pour les contributions non significatives
L’Accord interprofessionnel français du 20 décembre 2022 signé entre le Syndicat National de l’Édition et des syndicats d’auteur a apporté un éclairage quant à l’obligation d’information tenant aux contributions significatives. Celles-ci sont définies par référence à l’article L. 131-4, 4° du Code de la propriété intellectuelle comme la « contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l’œuvre ». En pareille situation, l’obligation de l’éditeur s’en trouve allégée, tant dans ses modalités que dans son contenu. En effet, cette obligation n’est due qu’à la condition que l’auteur en formule la demande et uniquement une fois par an. Par ailleurs, le contenu de l’information est restreint aux éléments d’identité, à la date de parution, au tirage cumulé depuis la première publication, au nombre d’exemplaires vendus depuis la première publication, ainsi qu’à la liste des cessionnaires. Une remarque s’impose : la référence à un élément essentiel de la création de l’œuvre pourrait traduire un jugement de valeur et présenter un caractère déceptif pour certains auteurs, comme ceux ayant essentiellement rédigé une préface au sein d’un ouvrage.
La contribution non significative est également évoquée par le Code de droit économique belge, permettant même à l’éditeur de ne pas satisfaire à son obligation de reddition des comptes sous réserve que l’auteur demande des informations et « démontre qu’il a besoin de ces informations pour exercer ses droits » lorsque la rémunération initialement convenue se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des recettes ultérieurement tirées de l’exploitation de l’œuvre, lui permettant de demander une rémunération supplémentaire appropriée et juste[7]. À cette fin, il peut demander les informations de la reddition des comptes par envoi recommandé avec accusé de réception ou d’une manière précisée par la convention collective qui lui est applicable.

Ainsi, la reddition des comptes constitue une obligation essentielle de l’éditeur, dont le contenu est précisé par les dispositions légales, laissant peu de marge de manœuvre à l’éditeur.  

Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains, des auteurs de bande dessinée et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs. Notre Cabinet d’Avocats intervient dans la défense des droits des auteurs aussi bien en France qu’en Belgique (Bruxelles).

[1] Code de la propriété intellectuelle, article L. 132-17-3.
[2] Ibid.
[3] Code de droit économique belge, article XI.167/2, deuxième alinéa.
[4] Cass. civ. 1re, 9 févr. 1994, no 92-12.299.
[5] Code de droit économique belge, article XI.167/2, cinquième alinéa.
[6] Code de droit économique belge, article XI.167/2, sixième alinéa.
[7] Code de droit économique belge, articles XI.167/2, troisième alinéa et XI.167/3.