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Le mapping monumental et sa protection par le droit d’auteur

Article publié le 1er septembre 2023

Ainsi que le rapportait un article du journal Le Monde d’août 2023, les installations immersives à ciel ouvert séduisent de plus en plus les villes françaises. Des communes les utilisent pour proposer, gratuitement et dans un format nocturne, des expositions à ciel ouvert. La Fête des lumières a joué un rôle pionnier dans l’apparition de ces expériences. Celle-ci se tient depuis 1989 au mois de décembre dans les rues de Lyon. A Chartres, plusieurs formes lumineuses recouvrent chaque année les édifices de la ville. Le vidéo mapping consiste une technique de projection utilisée pour transformer des objets et éléments en surface d’affichage pour la vidéoprojection, permettant ainsi une mise en lumière souvent dynamique et colorée d’un bâti remarquable. Cette méthode apparue dans les années 2000 vise ainsi à projeter des vidéos et des animations visuelles en jouant avec leurs aspérités grâce à un ou plusieurs vidéoprojecteurs.  L’objectif du mapping est de créer des illusions d’optique en plaçant des contenus visuels sur des volumes statiques. Et lorsque cette mise en lumière, cette illumination ou ce mapping concerne des édifices symboliques, tels que des monuments patrimoniaux ou institutionnels, il est alors possible de modifier le sens de compréhension du bâtiment par des illusions d’optique qui décomposent le lieu ou encore de proposer une nouvelle narration du bâtiment par l’ajout de contenus narratifs, emportant corrélativement la mise en œuvre d’une nouvelle médiation entre le public et l’édifice. Ces dispositifs peuvent ainsi donner éventuellement prise à une reconnaissance par le droit d’auteur.

L’indifférence du support de l’œuvre et de son caractère éphémère
La projection d’une œuvre lumineuse sur un bâtiment ou un monument ne perturbe pas a priori la qualification de cette œuvre. En effet, une jurisprudence ancienne et constante considère qu’un support éphémère peut permettre d’exprimer la forme d’une œuvre de l’esprit. En d’autres termes, l’intangibilité du support ne constitue aucunement une condition nécessaire à la reconnaissance de ce premier critère de qualification d’une création comme étant potentiellement protégeable par le droit d’auteur.
Il importe alors uniquement de rechercher si l’éclairage, l’illumination, le jeu de lumières, le mapping vont au-delà d’une seule mise en valeur de la conception et de la forme de l’édifice, au-delà d’une sujétion totale au bâtiment préexistant. Ainsi si la réalisation s’avère caractérisée par des choix personnels quant aux effets produits, à l’atmosphère offerte, à la narration proposée, un tel mapping sera bien évidemment éligible à la protection par le droit d’auteur. À cet égard, et selon Alexandra Georgescu Paquin, « dans tous les cas, une hybridation est formée par la fusion de l’œuvre (son/lumière) et de l’architecture ; l’œuvre enveloppe, recouvre et colle à chaque surface de son support, s’en inspire et le transforme et, surtout, n’existe que grâce à ce dernier. L’hybridité formelle favorise la médiation lorsque l’œuvre contemporaine transforme les représentations du lieu patrimonial ». Mais une telle hybridité n’est pas synonyme d’une reconnaissance automatique du mapping au titre du droit d’auteur.  

Une reconnaissance judiciaire de la protection des illuminations par le droit d’auteur
Si la jurisprudence s’avère très parcellaire sur la reconnaissance spécifique du mapping par le droit d’auteur, quelques décisions ont néanmoins pleinement reconnu l’éligibilité à la qualification d’œuvres de l’esprit de certains jeux de lumière. Un arrêt ancien rendu par la Cour d’appel de Bourges avait ainsi retenu que « les spectacles son et lumière constituent une forme de spectacle absolument nouvelle dans laquelle l’élément ‘‘lumière’’ est évidemment prépondérant ». Dès lors, et « dans ces conditions, le rôle du metteur en lumière, bien loin d’être assimilable à celui de l'interprète ou serviteur de l’œuvre, est susceptible d’être considéré comme celui de créateur d’une des parties essentielles de l’œuvre sans laquelle la représentation de celle-ci ne se concevait pas »[1].
Mais la saga jurisprudentielle ayant eu la plus forte résonnance en la matière, au début des années 1990, concernait l’un des monuments les plus emblématiques de Paris, la Tour Eiffel. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris avait pu juger, à propos des éclairages de la Dame de fer, que « les moyens mis en œuvre suivant une conception originale qui avait pour fin, et qui a eu pour résultat, de faire découvrir, en les soulignant par des jeux de lumière habilement composés, les lignes et les formes donnant à l’ensemble du monument sa valeur esthétique et aussi symbolique »[2], permettant ainsi la pleine reconnaissance de la mise en lumière au bénéfice de la protection accordée par le droit d’auteur. Cette décision fut confortée devant la Cour de cassation, celle-ci retenant que « la composition de jeux de lumière destinés à révéler et à souligner les lignes et les formes du monument constituait une ‘‘création visuelle’’ originale, et, partant, une œuvre de l’esprit »[3].
Encore faut-il que l’œuvre dont la protection s’avère revendiquée soit bien identifiée. C’est ainsi que dans un autre contentieux plus récent, concernant la présentation de la Tour Eiffel éclairée en jaune en première de couverture et en rouge en quatrième de couverture d’un ouvrage consacré au Paris du plaisir, la société gérant les droits sur la Tour Eiffel n’a pu faire valoir judiciairement ses droits. En effet, le Tribunal de grande instance de Paris déboutait ladite société de son action en contrefaçon[4], faute pour celle-ci d’avoir su identifier avec précision l’œuvre lumineuse sur laquelle elle aurait pu revendiquer des droits, celle-ci ne correspondant pas, par exemple aux éclairages conçus à l’occasion du nouveau millénaire ou au scintillement créé en 2003 et pour lesquels la société est bien titulaire des droits par cession. En l’espèce, « le simple éclairage » de la Tour Eiffel utilisé par l’éditeur poursuivi ne saurait assurément donner prise au droit d’auteur.
Enfin, il avait également pu être retenu par la Cour d’appel de Lyon que l’éclairage de la place des Terreaux avait pu constituer un travail original et créatif dès lors que « la nuit, cet éclairage met en valeur tout particulièrement les colonnes d’eau intermittentes à hauteur variable ainsi que la fontaine Bartholdi déplacée »[5]

Une éventuelle œuvre composite
Ces exemples dénotent tous le lien entre une réalisation préexistante et une création nouvelle. Pour autant, la réalisation préexistante n’était plus dans les exemples précités protégée au titre des droits patrimoniaux en raison de l’ancienneté de la création concernée. Mais une telle situation ne correspond pas à l’ensemble des projets de mapping ou de mise en lumière, ceux-ci pouvant également être déployés sur des créations architecturales pour lesquelles leur auteur – ou ses héritiers éventuels – bénéficie toujours de la protection accordée au titre du droit d’exploitation. En pareille hypothèse, il apparaît certain que la qualification juridique à retenir pour la création nouvelle soit celle d’une œuvre dite composite, dès lors que cette dernière correspond, selon les termes de l’article L. 113-2, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, à « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ». L’œuvre qui sera ainsi mise en lumière ou qui fera l’objet d’un mapping existe tout à la fois antérieurement et indépendamment de l’intervention de l’auteur de la mise en lumière du bâtiment ou du monument. En pareille hypothèse, la mise en lumière du bâtiment ou le mapping, lui-même protégé au titre du droit d’auteur, sans qu’une collaboration avec l’auteur de l’œuvre première n’existe, devrait emporter la reconnaissance d’une œuvre dérivée.
C’est ainsi que le Tribunal de grande instance de Créteil avait pu retenir une telle qualification pour l’éclairage de la Grande Arche de la Défense[6]. En premier lieu, le Tribunal s’est attaché à retenir le caractère original de l’œuvre lumineuse dont la protection était revendiquée. Ainsi, « l’éclairage émane de l’intérieur de l’Arche, l’ensemble des projecteurs étant caché sous les bielles de tension, alors qu’habituellement les projecteurs sont placés à l'extérieur du monument à illuminer » et « l’ensemble des projecteurs travaille en contre plongée, feux croisés, avec des faisceaux extrêmement serrés, permettant de graduer l’intensité de lumière du bas vers le haut, de sorte que la partie supérieure de l’Arche soit plus éclairée que sa base et amène à lever le regard vers le haut tout en laissant les angles marqués pour mettre en relief l’architecture du bâtiment, en évitant l’effet d’optique d’aplatissement ». Puis, une fois cette originalité consacrée, vint l’étape de qualification de l’œuvre lumineuse. Or, « l’éclairage ayant été réalisé postérieurement à la construction de l’Arche [...], cette œuvre créée s’analyse en une œuvre composite au sens des dispositions de l’article L. 113-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle ». Une telle qualification impose à l’auteur de l’œuvre seconde d’obtenir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre première. En cas contraire, l’illumination créée constituerait une contrefaçon. Il en serait de même en cas d’atteinte éventuelle au droit moral de l’architecte.

De potentielles contraintes empêchant la reconnaissance d’une œuvre de l’esprit
Mais le bâtiment, monument ou emplacement mis en lumière peut parfois empêcher la reconnaissance de l’intervention artistique comme étant constitutive d’une œuvre de l’esprit. Une telle réalité a pu être rappelée à l’occasion d’un contentieux opposant la société Cathédrale d’Images à la société Culturespaces, la première reprochant à la seconde d’avoir commis des actes de contrefaçon de l’œuvre dont elle était titulaire des droits et qui constituait en une projection organisée dans les carrières des Baux-de-Provence. Encore fallait-il parvenir à prouver l’originalité de l’œuvre dont la protection était revendiquée. Or, la Cour d’appel de Paris rappelle dans un premier temps un principe fondamental en droit d’auteur. Ainsi, « le droit d’auteur ne peut naître de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire, aussi talentueux soit-il, tel qu’un travail de recherche et de documentation, et que les choix effectués ne peuvent être pris en compte que s’ils sont laissés à l’arbitraire de l’auteur »[7].
Une fois ce principe rappelé, la Cour relève que « les éléments produits par les appelants, s’ils révèlent qu’un véritable travail a été mis en œuvre afin de transformer les anciennes carrières en un lieu de spectacles audiovisuels et que l’idée de M. Plecy a bien pris forme, ne sont pas de nature à caractériser l’apport créatif et original de M. Plecy puis de M. Polad-Spadoni ; que, comme le tribunal l’a relevé, il n’est pas démontré que les décisions qui ont été prises, s’agissant notamment du cheminement des spectateurs à l’intérieur du site et de l’emplacement du matériel (notamment des projecteurs) et des zones de projection, qui constituent l’essentiel de la scénographie invoquée, ont traduit une démarche artistique révélatrice de la personnalité des intéressés et qu’elles n’ont pas été seulement dictées par des contraintes techniques et naturelles ». Dit autrement, plusieurs éléments démontraient distinctement que les choix opérés par la société demanderesse avaient été contraints et non arbitraires. Monsieur Plecy, le concepteur de l’œuvre revendiquée, avait en effet fait réaliser un « relevé topographique », ainsi que des « mires de travail » pour « définir le tracé du parcours et les zones utilisables pour les projections ». Les choix qui avaient été opérés n’avaient pas été remis en cause au cours des années successives alors même que les spectacles donnés dans les carrières étaient chaque année différents.
La scénographie, la sélection et l’emplacement des surfaces où étaient projetées les images s’avéraient immuables, de spectacle en spectacle. Il était alors délicat de déterminer des choix créatifs spécifiques dont la reprise par la société Culturespaces aurait constitué une contrefaçon. Cette emprise du préexistant par rapport à la projection, au mapping ou à la mise en lumière proposé pourrait potentiellement restreindre le champ de la protection de telles créations au titre du droit d’auteur, notamment si le cahier des charges du commanditaire laisse peu de liberté de choix au créateur. Une attention particulière devra ainsi être accordée à cette question afin de laisser aux créateurs concernés la possibilité de procéder à des choix libres et créatifs notamment lorsque le commanditaire souhaite se voir céder les droits sur la création pour en assurer une exploitation continue et l’éventuelle défense de ses droits en justice.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et du marché de l’art, et plus généralement au droit d’auteur, le Cabinet assiste régulièrement des artistes et leurs héritiers confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme. Le Cabinet accompagne également des entreprises innovantes notamment en matière d’œuvres d’art vidéo ou d’œuvres d’art numériques. Avocats en droit de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, droit d’auteur, droit de l’audiovisuel, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Bourges, 1er juin 1965, D. 1966, p. 44 note H. Delpech.  
[2] CA Paris, 1re ch., sect. A, 11 juin 1990, RG no 90/00245.
[3] Cass. civ. 1re, 3 mars 1992, no 90-18.081.
[4] TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 27 avr. 2006, RG no 05/16184.
[5] CA Lyon, 20 mars 2003, RG no 2001/03048 ; confirmé par Cass. civ. 1re, 15 mars 2005, no 03-14.820.
[6] TGI Créteil, 1re ch. civ., 3 mars 1998, Clair et autre c/ Établissements André Leconte SA.
[7] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 1er déc. 2015, RG no 14/14179.