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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

La protection des traductions par le droit d’auteur

Article publié le 5 septembre 2023

L’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle répute que « les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ». Le Code de la propriété intellectuelle prévoit ainsi une présomption d’originalité au bénéfice des auteurs de traduction, justifiant alors le recours à une contractualisation par le biais d’un contrat d’édition en vue d’assurer l’exploitation de la traduction réalisée par un éditeur. Mais l’instar de toute autre création pour laquelle le bénéfice du droit d’auteur est revendiqué, la qualification de l’originalité s’impose en premier lieu, que cette originalité s’exprime de manière autonome ou de manière dérivée par rapport à une œuvre en rapport, comme en matière de traduction.

Une subordination à l’œuvre première
Et cette subordination à l’œuvre première est expressément rappelée par les dispositions de l’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle : « sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ». Si la traduction correspond donc à une œuvre dérivée, l’originalité de la traduction est alors souvent envisagée comme étant une originalité relative. Le travail de traduction est donc contraint – une fidélité à l’œuvre première s’impose, sous peine d’emporter une action en justice de la part de l’auteur de l’œuvre traduite – tout en pouvant permettre à l’auteur de la traduction de tenter de parvenir à exprimer sa personnalité par des choix libres et créatifs, afin d’éviter le seul déploiement d’un savoir-faire technique, savoir-faire qui ne saurait être protégé au titre du droit d’auteur. 

Une subordination non exclusive d’une traduction originale
Mais cette subordination n’est pas en elle-même exclusive d’une reconnaissance d’un apport créatif de la part du traducteur, justifiant une multiplicité éventuelle de traductions d’un même texte, et la jurisprudence s’en fait souvent l’écho. À cet égard, la Cour d’appel de Paris avait pu retenir, dans le cadre d’une action en référé, que « des traductions de textes préexistants peuvent être protégées comme des œuvres originales, même si elles portent sur des archives étrangères accessibles au public, dès lors que ces traductions portent la marque de l'apport intellectuel et personnel de leur auteur notamment par le choix des mots et la construction des phrases utilisées pour exprimer en français le sens des textes étudiés »[1].
Et de manière plus récente et plus détaillée, la Cour d’appel de Paris a pu énoncer dans un attendu de principe limpide les enjeux attachés à la caractérisation de l’originalité d’une traduction d’une œuvre littéraire. Ainsi, selon la Cour, « pour bénéficier de cette protection, la traduction, tout en restant fidèle à l’œuvre première, doit révéler l’existence d’un dialogue intime avec celle-ci dans lequel se révèle la personnalité et l’activité créative du traducteur »[2]. Et ce dialogue intime permettant une éventuelle activité créative du traducteur doit être prouvé. Dans l’espèce concernée, la Cour avait ainsi retenu que les traducteurs avaient cherché « à se démarquer d’une simple traduction littérale en français de la pièce de théâtre [de l’auteur], par une adaptation et une mise en forme originale, notamment pour rester au même niveau de langage des personnages et leur personnalité propre (étant rappelé que tout le texte est composé de dialogues) sans que le texte de l’œuvre source l’imposait ». Les dialogues composant le texte traduit reposaient alors sur des choix personnels des traducteurs « en s’éloignant de la traduction littérale de façon significative et qui ne s’imposaient pas » d’eux-mêmes. L’originalité de la traduction reposait ici sur trois critères principaux selon les magistrats : une absence de traduction littérale du texte d’origine, une adaptation de la langue à la personnalité des personnages de l’œuvre, ainsi que la recherche d’une musicalité dans la traduction.

Une subordination plus présente pour les œuvres scientifiques ou techniques
Et une telle originalité est assurément plus aisée à démontrer dans le domaine de la littérature que dans celui des textes scientifiques ou techniques, l’œuvre première poursuivant elle-même souvent une finalité fonctionnelle. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris a pu suivre, dans une décision du 29 juin 2021[3], le raisonnement d’une maison d’édition poursuivie en justice par le premier traducteur auquel elle avait fait appel en retenant « que la traduction d’une œuvre complexe, comme celle en cause, impose au traducteur une particulière fidélité à la pensée de l’auteur de l’œuvre d’origine ». En l’espèce, l’œuvre « complexe » dont il s’agissait consistait en l’ouvrage de Leo Spitzer « Classical and christian ideas of world harmony ». Bien que le genre soit normalement indifférent dans l’appréhension de l’originalité d’une œuvre de l’esprit – ici une traduction – la Cour retient néanmoins que «  l’œuvre à traduire consistait en une œuvre à caractère scientifique, [l’auteur de l’œuvre première] étant […] un professeur de philologie romane et de littérature comparée, et [le traducteur] indique, sans être contredit, que sa traduction remise à l'éditeur consistait en plus de 260 pages consacrées à l’étude du concept d'harmonie du monde, impliquant celle d’un ‘‘champ sémantique qui s’est constitué à des époques et dans des littératures différentes’’, ayant nécessité la traduction de multiples citations dans plusieurs langues anciennes et modernes ».
Or, pour la Cour, si l’auteur de la première traduction avait procédé « à de multiples choix lexicaux, grammaticaux, documentaires et stylistiques, ce qui est attendu de tout traducteur, les choix qu’il revendique relèvent d’un savoir-faire [..] et témoignent de son érudition […] et de sa parfaite connaissance du sujet traité, sans pour autant être le signe d’un effort créatif ou d’une démarche subjective qui seraient révélateurs de l’empreinte de sa personnalité ». En l’espèce, la traduction d’une œuvre ici à caractère scientifique impose au traducteur une réelle fidélité au texte de l’œuvre première qui a oblitéré tout accès à la condition d’originalité. La seule mise en œuvre d’un savoir-faire technique déployé à l’occasion du travail de traduction empêche corrélativement l’expression de la personnalité du traducteur et toute protection au titre du droit d’auteur.

La potentielle originalité des titres des ouvrages traduits
La protection des titres d’œuvres littéraires fait l’objet d’un contentieux relativement nourri en raison de la distinctivité nécessaire des titres d’un point de vue commercial. En matière de traduction, la liberté accordée au traducteur dans l’appréhension du titre peut être d’un degré plus ou moins élevé. Une affaire certes très ancienne mais néanmoins célèbre avait entraîné la condamnation de Gibert Jeune pour avoir repris sans autorisation l’expression « Les Hauts de Hurlevent » sur un bandeau de promotion. Le Tribunal de commerce de la Seine avait alors retenu que la traduction du titre du roman anglais « Wuthering Heights » d’Emily Brontë par « Les Hauts de Hurlevent » constituait une traduction originale, dès lors le terme « Wuthering » ne connaît aucun équivalent en français[4]. Le titre français relevait exclusivement de l’interprétation opérée par le traducteur du titre anglais et exprimait ainsi son point de vue et sa personnalité.
Au contraire, une traduction qui reprendrait exactement les termes du titre de l’œuvre première ne saurait bénéficier d’une quelconque protection au titre du droit d’auteur, puisqu’une nouvelle fois il ne s’agirait que de la mise en œuvre d’un savoir-faire. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris a pu rejeter la protection de la traduction de « Fifty shades of Grey » de E. L. James par « Cinquante nuances de Grey »[5]. En l’espèce, le terme « Grey » faisait expressément référence, par l’usage explicite d’une majuscule, à l’un des deux personnages du roman et la traduction opérée n’avait emporté aucun travail personnel du traducteur, soit aucun choix libre et créatif. La seule reprise servile en langue française du titre originel ne saurait donner lieu à une protection par le droit d’auteur.

La potentielle originalité des noms des personnages traduits
Bien qu’à notre connaissance aucun procès n’ait été spécifiquement dédié à la question précise de la traduction des noms de personnages fictifs, il est depuis longtemps acquis que ces noms puissent être protégés par le biais du droit d’auteur lorsqu’ils présentent une originalité suffisamment caractérisée. Et pareille solution est fort ancienne, à l’image de la protection reconnue en 1959 par le Tribunal de grande instance de la Seine pour le nom du personnage de la série de romans policiers Chéri-bibi[6] ou encore de la protection reconnue en 1972 par le Tribunal de grande instance de Paris pour le nom du personnage l’Affreux-Jojo[7]. Or, et à l’instar des titres d’ouvrages en langue étrangère, un traducteur peut pleinement opérer des choix libres et créatifs dans la traduction du nom d’un personnage fictif.
À cet égard, le personnage d’Uncle Scrooge inventé en 1947 par le légendaire Carl Barks a connu en France et en Belgique plusieurs traductions. C’est ainsi qu’il fut présenté pour la première fois en 1949 en France sous le nom d’Oncle Harpagon, en référence au personnage central de L’Avare de Molière, puis sous le nom d’Oncle Edgar au sein de plusieurs comic strips en France ou sous celui celui d’Oncle Jérémie McDuck en Belgique. Et ce n’est qu’en 1952 que le nom de Balthazar Picsou, et donc d’Oncle Picsou, sera définitivement adopté. Quant aux traductions en d’autres langues du nom de ce personnage, celles-ci dénotent en creux la singularité de la traduction française, la traduction allemande ou néerlandaise étant, à titre d’exemple, Dagobert Duck. Quant aux Beagle Boys inventés également par Carl Barks, dont le nom provient de leur ressemblance morphologique au chien éponyme, ils furent appelés Rapetoutos, puis Ratistou avant d’être nommés définitivement les Rapetou. En Belgique, la première traduction proposée fut celle de Filous Boys. Or, en matière de bande dessinée notamment et dans le cadre de séries diffusées mondialement, le character merchandising joue un rôle essentiel et appelle une attention particulière des traducteurs dans la reprise éventuelle par l’éditeur et ses contractants de la traduction originale du nom des personnages ainsi promus.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs et leurs différents partenaires. Avocats en droit de l’édition, nous intervenons également en matière de droit des contrats, droit d’auteur, droit de l’art, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Paris, 14e ch., sect. A, 6 févr. 2002, RG no 2001/17352.
[2] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 7 juin 2016, RG no 15/03475.
[3] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 29 juin 2021, RG no 18/21198.
[4] T. com. Seine, 26 juin 1951.
[5] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 2 avr. 2014, RG no 13/08803.
[6] TGI Seine, 2 mars 1959, Ann. 1965, 66.
[7] TGI Paris, 20 mai 1972, RIDA janvier 1973, p. 44.