De la qualification d’un bien culturel sur simple photographie au flagrant délit de détention de biens culturels sans justificatif
Article publié le 10 juin 2025
Souhaitant très certainement contribuer à l’endiguement du phénomène des fouilles illégales, notamment en raison de l’utilisation récurrente de détecteurs de métaux, la Cour de cassation est récemment venue apporter sa pierre à l’édifice. En effet, par un arrêt rendu en avril 2025[1], la Haute Cour adopte une position extensive quant à l’appréciation de la flagrance du délit de détention de biens culturels sans justificatif d’origine, lui permettant dès lors de valider la procédure afférente et surtout la saisie des pièces de monnaie litigieuses.
Les faits à l’origine de la flagrance : la détention de bien culturel sans justificatif
En 2015, un professionnel numismate, dont la société est immatriculée en Irlande, a fait l’objet d’un contrôle douanier en France. Interpellé à bord de son véhicule, le numismate était alors en possession de 40 pièces de monnaie « pour partie ancienne ». Or, le professionnel s’est avéré être en incapacité de pouvoir justifier dûment de leur provenance. Scrupuleux, les agents des douanes ont sollicité la DRAC géographiquement compétente afin d’obtenir des informations quant à la nature des pièces et notamment quant à leur potentielle qualité de biens culturels. À cette fin, les agents des douanes transmettaient uniquement des photographies des pièces concernées.
Sur la seule base des photographies reçues, un ingénieur du bureau d’étude de la DRAC émettait un avis considérant que ces pièces étaient des « objets archéologiques, provenant de trouvailles au détecteur de métaux et constituaient des biens culturels ». Par voie de conséquence, le professionnel était placé en retenue douanière, les pièces de monnaie étaient saisies et le prévenu renvoyé ultérieurement devant les instances correctionnelles.
L’importance de la qualification de bien culturel pour caractériser la flagrance
Dans cette affaire, le numismate contestait la régularité de la procédure en soulevant la nullité de la retenue douanière dont il avait fait l’objet, se fondant notamment sur l’incomplétude de l’analyse réalisée des objets saisis par la DRAC. En effet, pour le professionnel poursuivi, la valeur et l’ancienneté des pièces n’avaient pas été caractérisées, faisant dès lors obstacle à la qualification de bien culturel. Si son raisonnement avait été suivi, le bien-fondé de l’intégralité de la procédure aurait été annulé, faute de pouvoir caractériser un délit.
En pratique, la qualification de bien culturel suppose qu’un professionnel apprécie à la fois l’ancienneté et la valeur du bien concerné. En effet, la règlementation vient fixer des seuils d’ancienneté puis de valeur, dépendant de la nature de l’objet, permettant de déterminer si un bien est susceptible d’être qualifié ou non de bien culturel. Pareille qualification est essentielle afin de déterminer si le possesseur d’un bien culturel doit ou non apporter des preuves de sa détention légitime. Dès lors, l’appréciation de ces critères suppose, de facto, une expertise, de surcroît physique, par un expert compétent.
Or, dans cette décision, la Cour de cassation réalise une pirouette en venant balayer la question centrale de la qualification de bien culturel et de l’absence d’expertise dûment réalisée. En effet, la Cour de cassation déduit la nature délictuelle des faits et donc de la régularité de la procédure du simple fait de ne pas posséder de justificatif et de l’avis émis (uniquement sur photographie) par un ingénieur d’étude. Or, cet avis ne saurait s’assimiler à une réelle expertise quant aux deux critères qualificatifs précédemment évoqués.
Devra-t-on dorénavant considérer qu’un bien est présumé être un bien culturel dès lors qu’aucun justificatif ne peut être fourni par le propriétaire du bien contrôlé et ce, en dehors de tout expertise physique ? La décision rapportée interroge fortement à cet égard.
Un article écrit par Me Alix Vigeant
Avocat à la Cour et Collaboratrice du Cabinet
Dans le cadre de son activité dédié au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste ses clients, notamment marchands ou commissaires-priseurs, confrontés à toute demande relative à la circulation des biens culturels (classement trésor national, classement monument historique, délivrance d’un certificat ou d’une licence d’exportation, etc.) ou confrontés à un contrôle douanier.
[1] Cass. crim., 2 avr. 2025, n° 24-80.999