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Révocation de la donation d’œuvres d’art

Article publié le 8 août 2025

Régulièrement présentes dans les donations ou legs, les charges imposées au bénéficiaire par l’artiste ou le collectionneur peuvent emporter sa révocation dès lors qu’elles sont inexécutées. Ce puissant mécanisme juridique protège ainsi la cause déterminante ayant animé le donateur au moment de son don.

La suite de l’affaire Simon Hantaï – Jean Hamon
La saga judiciaire Hantaï-Hamon a fait émerger une nouvelle affaire dans le sillage des décisions constatant le détournement de l’ancienne collection de la Régie Renault, donnée à l’association « L’incitation A la Création » (IAC) par son président. Condamné à verser à la société Total lubrifiant la somme de 16 millions d’euros pour abus de biens sociaux, ce dernier s’était vu saisir par la société pétrolière un certain nombre d’œuvres qu’il détenait. Parmi celles-ci figuraient des tableaux de Simon Hantaï. C’est en découvrant leur mise en vente à venir que les héritiers du peintre hongrois ont obtenu la suspension de l’organisation de la vente aux enchères et ont attrait l’association en justice pour inexécution de la charge d’inaliénabilité qui avaient été stipulée au moment de la donation.

Cette charge figurait également dans les donations de deux autres peintres qui avaient réalisé au profit de la régie Renault un ensemble de quatre œuvres datées de 1980 pour le premier et trois peintures réalisées sur des toiles de tente pour le second. Les deux artistes avaient fait don de leurs œuvres en 1987 à l’association IAC, précisant, au sein du document accompagnant ces actes, « Je vous confirme que j’ai donné définitivement à l’association “L’incitation à la Création” l’ensemble des œuvres que j’avais réalisées pour la Régie Renault. J’ai bien noté que ces pièces ne pourront en aucun cas être revendues, et ne pourront être utilisées que pour des manifestations ou des accrochages à vocation culturelle, non commerciale et non publicitaire. »

L’action en révocation d’une donation
Ayant découvert qu’une partie des œuvres qu’ils avaient données allaient être mises en vente à l’occasion d’une vente aux enchères judiciaires à l’initiative de la société Total lubrifiant, les artistes sollicitaient en justice une mesure de saisie revendication. Cette procédure d’urgence permettait ainsi leur retrait de la vente, avant leur mise à l’encan. Ils assignaient ensuite en révocation de la donation l’association IAC dans deux procédures distinctes devant le Tribunal judiciaire de Versailles dont les décisions ont été rendues en 2025[1].

Cette action en révocation est fondée sur les articles 953 et 954 du Code civil qui prévoient qu’en cas d’inexécution d’une charge, les biens rentreront dans le patrimoine du donateur. Ces charges, imposées par un donateur ou un légataire au bénéficiaire de la libéralité, peuvent se définir comme les conditions déterminantes de la volonté du donateur. Le non-respect de ces conditions emporte la révocation, laquelle produit donc des effets similaires à la résolution d’un contrat.

L’intention de vendre ne constitue pas une violation de la clause d’inaliénabilité
À l’appui de leurs demandes respectives, les artistes affirmaient que les charges imposaient à l’association une inaliénabilité des œuvres et un usage exclusif pour des expositions culturelles et non commerciales. Ces exigences auraient été violées en raison de la mise en vente aux enchères publiques des œuvres saisies dans les maisons de l’ancien président, sans que l’association ne s’y oppose. En outre, la disparition des œuvres non mises à l’encan laissait entrevoir une aliénation par l’association. Enfin, ils affirmaient que l’inactivité de l’association, en cours de dissolution judiciaire, faisait obstacle à la réalisation du but culturel de l’association et, corrélativement, à la présentation des œuvres à l’occasion d’expositions dans ce cadre.

Le Tribunal judiciaire de Versailles n’accueille pas l’argumentation des artistes selon laquelle la mise en vente emporterait violation de la clause – non contestée – d’inaliénabilité. En effet, les magistrats estiment que si les œuvres saisies devaient être mises à l’encan, elles ont été retirées de la vente par l’intervention des artistes la veille de celle-ci. « Or, l’intention de vendre une œuvre ne pouvant être assimilée à la vente de l’œuvre, la mise en vente des œuvres (…) ne peut suffire à caractériser l’inexécution de la charge d’inaliénabilité de la donation. »

La preuve de l’exécution de la charge pèse sur le bénéficiaire
Pour autant, les magistrats prononcent la révocation des dons consentis par les deux artistes. En effet, ceux-ci soutenaient que les œuvres données, non saisies par la société Total lubrifiants, avaient fait l’objet d’une aliénation. Et ces affirmations n’étaient nullement contredites par l’association. La charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’inaliénabilité imposée par les artistes pesait sur la seule association, « à qui il appartient (…) de justifier qu’elle aurait respecté la clause lui interdisant de vendre les œuvres données ». Le Tribunal judiciaire en tire pour conséquence que la charge d’inaliénabilité des œuvres n’a pas été respectée et ordonne corrélativement la restitution des œuvres saisies.

Il est toutefois intéressant de relever que la charge accompagnant les dons ne mentionnait que la revente des œuvres. Rien ne semble interdire une cession à titre gratuit des œuvres au profit d’un autre lieu qui les aurait présentées dans une optique culturelle. L’inaliénabilité des œuvres données n’est donc pas totale mais limitée à leur vente. Il est en effet discutable d’affirmer que leur simple disparition suffit à constater la violation de l’inaliénabilité.

Un article écrit par Me Simon Rolin
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des héritiers d’artistes ou des collectionneurs dans l'appréhension des problématiques successorales spécifiques attachées aux œuvres et objets d'art, que ces problématiques soient d’ordre fiscal, d’ordre successoral ou encore d’ordre pénal. De la même manière, le Cabinet accompagne tout collectionneur soucieux d’envisager sereinement la possession et la transmission d’œuvres d’art et d’objets de collection.

[1] TJ Versailles, 1re ch., 13 mars 2025, RG no 22/06673 ; TJ Versailles, 1re ch., 29 avr. 2025, RG no 22/04627.