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Premières décisions de la CNS (1/4) : définir et mettre en œuvre une cartographie et des politiques de gestion des risques

Article publié le 9 février 2024

Les 20 et 26 octobre 2023, la Commission nationale des sanctions (CNS) a rendu ses premières décisions à l’encontre de professionnels du marché de l’art assujettis aux obligations en matière de LCB/FT. Bien que les sanctions infligées aient été publiées au sein de journaux spécialisés, les décisions ont été rendues publiques au début du mois de février 2024 sur le site Internet de la CNS[1]. La lecture de celles-ci permet de dresser les attentes de la CNS sur les faits susceptibles de constituer un manquement aux obligations en la matière. Au sein de ces décisions, sept manquements aux obligations en matière de LCB-FT sont invoqués. Le manquement relatif aux mesures applicables en matière de gel des avoirs n’étant, pour chacune des galeries et de leurs dirigeants, pas caractérisé.  

L’obligation légale de définir et mettre en œuvres des cartographies et des procédures internes
Le premier manquement invoqué constitue la pierre angulaire des obligations à la charge des entités assujetties, à savoir l’obligation de définir et de mettre en place des dispositifs d’identification et d’évaluation des risques de BC-FT, ainsi qu’une politique adaptée à ces risques[2]. Selon la CNS, cette exigence légale revêt un caractère impérieux dans le secteur de la vente d’œuvres d’art et des antiquités. Les vulnérabilités suivantes sont alors avancées : la culture de la discrétion, le recours à des sociétés écran, les activités de ces entités en tant que telles, leur implémentation géographique, notamment en présence de clientèle située à l’étranger impliquant des transferts de fonds depuis des pays tiers. Bien que de tels éléments puissent effectivement caractériser une infraction de blanchiment ou de financement du terrorisme, ils ne doivent pas conduire à une stigmatisation de l’ensemble du marché de l’art et de ses acteurs. 

La nécessité de disposer de cartographies et de procédures formalisées
Au cours du contrôle sur place opéré par les agents des douanes, aucune des galeries concernées n’ont pu présenter un quelconque protocole interne, un dispositif ou une procédure permettant de démontrer la mise en œuvre de cette obligation légale. La justification tenait, selon les deux galeries, à la mise en œuvre de processus non formalisés. L’ensemble des arguments soulevés, bien que distinct, n’emporte pas la conviction de la CNS. Ainsi, la première galerie invoquait l’application de règles et de processus permettant d’exercer un contrôle de vigilance. La seconde galerie avait admis ne pas disposer de procédures formalisées mais procéder à l’identification des risques « en fonction de son expérience ». De telles pratiques informelles ne peuvent permettre de satisfaire aux obligations en la matière, quelle que soit la taille de la structure concernée ou l’activité exercée (galerie d’art, antiquaire, maison de ventes, etc.).

Le volume de l’activité exercé écarté
La seconde galerie invoquait un argument tenant à la minoration d’une telle obligation au regard du volume de son activité. La CNS rappelle que « tous les professionnels assujettis sont tenus d’élaborer une classification des risques, quel que soit le volume de leur activité ». Il s’agit là de l’application stricte des dispositions du Code monétaire et financier, dès lors que les entités du marché de l’art, et notamment les galeries, sont assujetties aux obligations en matière de LCB-FT sous réserve de négocier ou d’agir en qualité d’intermédiaires dans le commerce d’œuvres d’art ou d’antiquités, lorsque la valeur de la transaction ou d’une série de transactions liées est d’un montant égal ou supérieur à 10 000 euros. L’ajout d’une condition tenant au volume d’activité de l’entité assujettie ne s’infère aucunement des dispositions du Code monétaire et financier. Les acteurs du marché de l’art, dont les galeries, sont assujettis de manière indifférenciée aux obligations en la matière et ce, peu importe leur chiffre d’affaires, le volume de leur activité ou leur renommée.  

Les conséquences tenant à l’absence de définition et de mise en œuvre de telles procédures
La CNS considère que l’absence de mise en œuvre de telles procédures a corrélativement eu une incidence sur l’absence de détection d’opérations devant faire l’objet d’un examen complémentaire[3], renforcé, voire d’une déclaration de soupçon. La CNS vise notamment le cas d’une vente pour un montant de 175.000 euros au profit d’un client établi à l’étranger par l’intermédiaire d’une plateforme numérique. Ces éléments ne permettent pas d’instituer de facto l’obligation de procéder à des mesures complémentaires ou à un examen renforcé bien qu’il faille procéder à l’identification et à la vérification de l’identité dudit client. Le client était ici une société établie au Panama, pays figurant sur la liste des pays tiers à haut risque du GAFI, ce qui implique de mettre en œuvre des mesures de vigilance complémentaires. Tel aurait dû être également le cas dans le cadre d’une transaction impliquant un acquéreur identifié parmi des personnalités ayant des activités dans les paradis fiscaux, impliquant aussi de procéder à un examen renforcé.  

Les diligences effectuées a posteriori du contrôle
Bien que la caractérisation du manquement soit appréciée au jour du contrôle opéré par les douanes, les décisions font état de diligences postérieures, pouvant avoir une incidence éventuelle sur le quantum des sanctions. Ainsi, et actant de leurs obligations en la matière, les deux galeries ont porté à la connaissance de la CNS certaines informations suite au contrôle diligenté par les douanes. L’une d’elles produisait un document intitulé « Politique de conformité à la lutte contre le blanchiment d’argent, la lutte contre le financement du terrorisme et les sanctions » qui revêtait un caractère incomplet selon la CNS en raison de « l’absence d’évaluation et de classification des risques appropriée à l’activité de la société, à sa clientèle, au type d’œuvres vendues par la galerie et aux conditions de la transaction ains que d’actions de vigilance à mener en fonction du nveau de risque qui ressort de l’évaluation du client ». Il semble que pour la CNS le protocole interne de chaque entité assujettie doit comporter de tels éléments afin de satisfaire à une telle obligation légale. La seconde galerie faisait valoir avoir mis en en place une cartographie et une classification des risques mais ne parvenait pas à rapporter la preuve d’une telle allégation. 

Dès lors, il s’infère de ces décisions que les acteurs du marché doivent être en mesure de présenter à leur autorité de contrôle, la DGDDI, lors d’un contrôle, les dispositifs d’identification et d’évaluation des risques et une classification des risques. La mise en place de procédures internes doit être formalisée par écrit et présenter certaines caractéristiques afin d’être en mesure de satisfaire à cette obligation cardinale en matière de LCB-FT.

Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur 

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.

[1] En effet, le Code monétaire prévoit la publication de la décision sur le site Internet de la CNS sans qu’aucun délai ne soit prescrit.
[2] Et ce, conformément aux articles L. 561-4-1, L. 561-32 et R. 561-38 du Code monétaire et financier.
[3] La terminologie employée par la CNS diffère des dispositions du Code monétaire et financier, lequel fait mention de « mesures de vigilance complémentaires ».