Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Absence de prescription d’une action en responsabilité pour une œuvre achetée en 1996

Article publié le 6 février 2024

Un acheteur avait acquis, en novembre 1996, pour près de 200.000 dollars un bronze présenté comme un exemplaire du Penseur d’Auguste Rodin par une galerie d’art. La vente de l’œuvre était accompagnée à l’époque d’un certificat d’authenticité d’un expert tiers, confortant l’authenticité de l’œuvre et indiquant qu’il s’agissait d’une épreuve ancienne, réalisée autour de 1900. Mais le collectionneur soumit en 2012, soit seize ans après son acquisition, l’œuvre au Comité Rodin qui déclara que l’exemplaire qui lui était soumis pour expertise constituait en réalité une contrefaçon.

Le collectionneur tenta alors d’engager la responsabilité délictuelle personnelle du directeur de la galerie d’art – et non de la société venderesse – et celle de l’expert ayant délivré le certificat d’authenticité, sollicitant à l’encontre de ces deux professionnels le prix d’achat de l’œuvre à titre de préjudice matériel subi et la perte de chance d’avoir une œuvre dont la valeur aurait été « considérablement appréciée » aujourd’hui (soit plus de cinq millions d’euros).

Mais un potentiel obstacle procédural aurait pu réduire à néant tout examen judiciaire des demandes du collectionneur. En effet, l’expert ayant attesté à l’époque l’authenticité de l’œuvre soulevait la prescription de l’action engagée par l’acquéreur 19 ans après son achat, d’autant plus, selon l’expert, que l’acquéreur ne pourrait « invoquer une expertise tardive faite à son gré 16 ans après cette acquisition et dont il n'a informé le vendeur du résultat que huit mois plus tard ». Pour autant, tant le Tribunal judiciaire de Paris que la Cour d’appel de Paris, au terme d’un arrêt du 23 janvier 2024[1], ont refusé de faire application d’une quelconque prescription extinctive à l’encontre de l’action judiciaire menée par l’acquéreur.

Le point de départ de l’action en responsabilité
Comme en matière d’action en nullité d’un contrat, poursuivie notamment sur le fondement de l’erreur sur les qualités essentielles, l’action en responsabilité délictuelle répond au régime de droit commun de la prescription quant au point de départ de la prescription et à la durée de la prescription, lorsqu’est recherchée la responsabilité d’une galerie d’art. Ainsi, l’article 2224 du Code civil retient que les « actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». En d’autres termes, la prescription de l’action en responsabilité relève d’un point de départ dit « glissant », c’est-à-dire fixé au jour de la connaissance réelle du dommage, sous réserve de tout délai butoir éventuel, mécanisme légal n’ayant été consacré qu’au terme de la loi du 17 juin 2008, soit postérieurement au présent litige.

Or, selon la Cour d’appel de Paris, le dommage tiré du défaut d'authenticité de l’œuvre litigieuse n’avait pu être révélé à l’acquéreur antérieurement à l’avis du Comité Rodin du 12 septembre 2012 ayant qualifié cette œuvre de contrefaçon. Que le propriétaire ait conservé par devers lui la sculpture acquise en 1996 sans soupçonner un instant que son authenticité pouvait être remise en cause ne permettait pas de retenir une mise en mouvement de la prescription de l’action en responsabilité. Dès lors, selon les magistrats d’appel, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l'action en responsabilité délictuelle engagée contre l’expert le 13 octobre 2015, soit trois ans après la découverte, n'était pas prescrite.

En revanche, la responsabilité délictuelle du directeur de la galerie d’art ne fut pas retenue par la Cour d’appel de Paris, tandis que celle de l’expert ayant certifié l’authenticité de l’œuvre le fut, sans pour autant qu’un dédommagement au bénéfice de l’acheteur ne soit mis à sa charge.

Que retenir ? 

  • la reconnaissance de l’existence d’un doute réel et sérieux sur l’attribution d’une œuvre emporte la détermination facilitée du point de départ du délai de prescription ;

  • la connaissance du refus de la part du spécialiste ou du comité d’authentification de l’artiste au travail duquel l’œuvre litigieuse est rattachée semble fonder le doute réel et sérieux ;

  • les questions de prescription des actions en responsabilité ou en nullité doivent être regardées avec attention, notamment lorsque la vente est antérieure à la loi du 17 juin 2008.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet. 

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Avocats en droit de l’art et avocats en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Paris, pôle 4, ch. 13, 23 janv. 2024, RG no 20/18439.