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Absence de condamnation de l’expert ayant mal authentifié une œuvre pour une galerie

Article publié le 7 février 2024

Un acheteur avait acquis, en novembre 1996, pour près de 200.000 dollars un bronze présenté comme un exemplaire du Penseur d’Auguste Rodin par une galerie d’art. La vente de l’œuvre était accompagnée à l’époque d’un certificat d’authenticité d’un expert tiers, confortant l’authenticité de l’œuvre et indiquant qu’il s’agissait d’une épreuve ancienne, réalisée autour de 1900. Mais le collectionneur soumit en 2012, soit seize ans après son acquisition, l’œuvre au Comité Rodin qui déclara que l’exemplaire qui lui était soumis pour expertise constituait en réalité une contrefaçon.

Le collectionneur tenta alors d’engager la responsabilité délictuelle personnelle du directeur de la galerie d’art – et non de la société venderesse – et celle de l’expert ayant délivré le certificat d’authenticité, sollicitant à l’encontre de ces deux professionnels le prix d’achat de l’œuvre à titre de préjudice matériel subi et la perte de chance d’avoir en sa possession une œuvre dont la valeur aurait été « considérablement appréciée » aujourd’hui (soit plus de cinq millions d’euros).

L’expertise judiciaire, sollicitée préalablement par l’acquéreur, ayant conforté l’analyse du Comité Rodin, la responsabilité de l’expert ayant délivré à l’époque de l’acquisition un certificat d’authenticité accompagnant la vente de l’œuvre était alors judiciairement débattue. Et dès lors qu’aucun lien contractuel n’existait entre l’acquéreur et l’expert, la responsabilité civile de ce dernier ne pouvait être recherchée que sur le fondement délictuel qui impose la démonstration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice conformément aux dispositions de l’article 1240 du Code civil (ancien article 1382).

La Cour d’appel de Paris envisage ainsi, au terme de sa décision du 23 janvier 2024[1], tour à tour les trois conditions cumulatives légalement imposées, afin de retenir l’existence d’une faute à laquelle n’est finalement relié aucun véritable préjudice indemnisable.

La faute de l’expert qui délivre un certificat d’authenticité pour accompagner la vente d’une œuvre
Afin de pouvoir tenter de qualifier l’existence d’une faute, la Cour s’attache, en premier lieu, à rappeler que l’expert reconnaît avoir été sollicité par la galerie d’art aux fins d’expertiser l’œuvre litigieuse. Cette expertise ayant donné lieu à la délivrance d’un certificat d’authenticité, l’expert « devait procéder aux diligences que les règles de l’art imposent en la matière ». Et ce, d’autant plus, selon la Cour, que l’expert « qui affirme l'authenticité d'une œuvre d'art sans assortir son avis de réserves engage sa responsabilité sur cette seule affirmation à l'égard de l'acquéreur », conformément à une formulation bien établie de la Cour de cassation, formulation habituellement mobilisée dans le contentieux attaché à la vente aux enchères publiques.
Or, l’affirmation sans réserve de l'authenticité du bronze, sur laquelle il existe des doutes réels et sérieux, permet de reconnaître l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’expert envers l’acquéreur. Plus précisément, et « au surplus » selon la Cour, l’expert ne pouvait se contenter d’un certificat préalablement établi en septembre 1993 par un autre expert, dès lors que l'historique rappelé par l'expert judiciaire n’était pas probant. De la même manière, l’expert n’a pas su préciser à la Cour le plâtre avec lequel il aurait comparé le bronze litigieux et en a déduit son authenticité. Et à supposer qu'il s'agisse du plâtre patiné en noir qu'il avait remis à l'expert judiciaire dans le cadre de la procédure, ce dernier, après avoir comparé les mesures des deux plâtres, soit le plâtre de référence et ce plâtre patiné en noir, avec le bronze litigieux, en a tiré la conclusion que le plâtre litigieux constituait un surmoulage à partir d'un exemplaire authentique.    
Dès lors, selon la Cour, « quand bien même un certificat d'authenticité ne constitue pas un rapport d'expertise », en délivrant un tel certificat alors que la comparaison du bronze litigieux avec le plâtre, à laquelle il a procédé, et le certificat attaché au bronze étaient de nature à émettre un doute sur cette authenticité, l’expert n’avait pas mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour apprécier l'authenticité du bronze et a ainsi manqué à son obligation de moyens. Corrélativement, la faute de l’expert était nécessairement caractérisée pour la juridiction. 

Attribution en vue d’une vente vs en dehors de la perspective d’une vente
Les faits de l’espèce sont ici intéressants, dès lors que l’expert tiers à la vente a délivré un certificat d’authenticité qu’il savait devoir accompagner l’acquisition de l’œuvre authentifiée par ses soins. En ce sens, la mission expertale n’était pas étrangère à la vente réalisée. La solution dégagée le 8 juin 2007 par la Cour de cassation dans l’affaire dite du Tremblement de Terre, concernant une œuvre faussement attribuée à Max Ernst, ne pouvait donc s’appliquer. Ici l’expert tiers à la vente est bien au contraire considéré comme un expert consulté dans le cadre d’une vente et doit alors épouser les mêmes contraintes en termes de responsabilité. C’est ce que la Cour souligne par l’emploi de la formule « au surplus » lorsqu’elle vient plus précisément s’intéresser au manque de diligences de l’expert sollicité dans le cadre de la vente projetée. Il apparaît ainsi, toujours dans un rapport d’opposition avec la décision du 8 juin 2007, que la simple erreur et l’absence de réserves sur l’attribution suffisent à engager la responsabilité d’un expert intervenu dans ce cadre. Si l’expert ne s’était pas engagé sur l’authenticité de l’œuvre à l’occasion de la mise en vente de celle-ci, sa faute aurait dû alors être dûment prouvée, ce qui aurait été en l’espèce le cas au regard des développements opérés par la juridiction dans ses considérations rattachées à la formule « au surplus ».   

Le lien de causalité entre la faute et le préjudice
Selon la Cour, le certificat d'authenticité étant un document habituel et indispensable dans l'achat et la revente d'une œuvre d'art, et l’expert étant un professionnel de l'art spécialisé en sculpture se présentant comme étant internationalement reconnu en matière de bronze, le certificat d’authenticité dressé par ses soins à la demande de la galerie d’art et accompagnant l'œuvre litigieuse proposée à la vente a nécessairement été un élément déterminant de l’acquisition de l’œuvre par l’acquéreur. Dès lors, le lien de causalité entre la faute et tout préjudice éventuel était caractérisé. 

L’absence de préjudice au titre de la responsabilité délictuelle
Bien que la Cour reconnaisse l’existence d’une faute et celle d’un lien de causalité entre celle-ci et un éventuel préjudice, c’est bien ce troisième critère cumulatif de la responsabilité délictuelle qui a finalement fait défaut et a permis la mise à l’écart de tout dédommagement au bénéfice de l’acquéreur.
En effet, selon la Cour d’appel, et cela à juste titre, « la restitution du prix de vente d'une œuvre se révélant être une contrefaçon n'ayant pas de caractère indemnitaire, l'expert, qui n'est pas le vendeur, ne peut être tenu au paiement du prix de vente du bronze litigieux à titre de dommages et intérêts ». Cela signifie que la demande de condamnation de l’expert, formulée par l’acquéreur, à la réparation du préjudice matériel correspondant à la contrevaleur d'achat de l'œuvre litigieuse, qui constitue une demande de paiement du prix du bronze litigieux à titre de dommages et intérêts, s’avère mal fondée.   
Quant à la perte de chance invoquée par l’acquéreur, la Cour botte en touche en retenant que dès lors que l’œuvre n’est pas authentique, l’acquéreur ne peut donc invoquer une perte de chance de réaliser une plus-value à la revente de l'œuvre et le préjudice allégué n’est ni en lien causal avec la faute ni justifié par les pièces produites au débat. Les demandes indemnitaires formulées par l’acquéreur lésé sont donc infondées et sont rejetées par la Cour d’appel. Avoir juridiquement raison, ne signifie pas toujours avoir judiciairement réparation. Encore faut-il parvenir à prouver dûment les préjudices invoqués en lien avec une faute pourtant dûment caractérisée. 

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet. 

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Avocats en droit de l’art et avocats en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Paris, pôle 4, ch. 13, 23 janv. 2024, RG no 20/18439.