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La vente de tableaux par la société d’un peintre peut bénéficier des règles fiscales favorables aux œuvres d’art en matière de TVA

Article publié le 3 novembre 2025

Aux termes de sa décision du 1er août 2025, la Cour de justice de l’Union européenne juge que les ventes d’œuvres d’art par un artiste au travers d’une société qu’il a fondée à cet effet n’exclut pas l’application des règles fiscales favorables. Alors qu’elle avait été invitée à apprécier si la société fondée par un artiste pouvait être considérée comme « auteur » de ses œuvres, la juridiction fait un pas de côté dans sa réponse, en rappelant qu’en matière de TVA, seules les conditions de la transaction marchande taxée conditionnent la détermination de la règle fiscale applicable.

La vente d’œuvres d’art soumises à des règles de TVA favorables
Afin de favoriser l’entrée des œuvres d’art sur le marché de l’Union européenne, le droit communautaire, et notamment la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, autorise les États membres à prévoir certains dispositifs avantageux. La livraison – terme employé en matière de TVA pour parler d’une vente – des œuvres d’art par l’auteur ou ses ayants droit peut ainsi bénéficier d’un taux réduit de TVA, en France de 5,5%, sur le prix de vente.
Et, jusqu’au 1er janvier 2025, les marchands, notamment les galeries d’art, bénéficiaient quant à eux du régime dit de la TVA sur la marge qui permet de calculer le montant de la taxe, non sur le prix de vente, mais seulement sur la marge réalisée par le vendeur. L’application de ce régime a toutefois été modifié depuis le début d’année.

L’exclusion de ces règles favorables aux studios d’artiste
Jusqu’à présent l’administration fiscale considérait que la vente de l’œuvre par l’artiste ne pouvait bénéficier du taux réduit de 5,5 % que si la vente était réalisée directement par ses soins. Toute vente au travers une société créée pour exercer son activité était quant à elle soumise au taux de TVA à 20 %. Ainsi, en 2006, la Cour administrative d’appel de Lyon avait refusé l’application du taux réduit aux ventes des œuvres commercialisées par une société fondée par un artiste pourtant investie de la gestion de ses droits d’auteur. « Le seul fait qu’une personne physique ou morale détienne un droit patrimonial sur tout ou partie des œuvres d’un auteur ne suffit pas à lui conférer la qualité d’ayant droit de celui-ci ». Ainsi, quand bien même les œuvres avaient été créées par l’artiste, la première vente de celles-ci ne pouvait être éligible au taux réduit de 5,5 %.
Saisi pour la première fois d’un litige similaire en 2022, le Conseil d’État interrogeait la Cour de justice de l’Union européenne afin de savoir si la société d’un artiste pouvait elle aussi, afin de bénéficier d’un tel dispositif fiscal favorable, être considérée comme « auteur » au sens des dispositions en matière de TVA de l’Union européenne. Cette procédure concernait la galerie parisienne Karsten Grève, laquelle s’était vue notifier par l’administration fiscale une remise en cause du régime de TVA sur la marge retenu pour la commercialisation de tableaux de l’artiste britannique Gideon Rubin acquis en 2014, non auprès de l’artiste, mais au Studio Rubin Gideon, une société de droit britannique dont l’artiste était associé.

Un recadrage du débat par la Cour de justice de l’Union européenne
Tant en première instance qu’en appel, les juridictions françaises avaient refusé de considérer que les ventes des œuvres à la galerie Karsten Grève avaient été réalisées par l’artiste. La Cour administrative d’appel de Paris avait retenu dans un arrêt du 1er juin 2022 que « s’agissant d’un tableau, l’auteur d’une œuvre d’art ne peut être que l’artiste qui l’a peint de sa main. La société STRG, qui est une personne morale, ne saurait par suite être regardée comme l’auteur des tableaux en cause. » La galerie ne pouvait donc opter pour le régime de la marge autorisé, selon la cour, uniquement pour « les objets d’art qui leur ont été livrés par l’auteur ou par ses ayants droit ».

Pour autant, dans son arrêt du 1er août 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a refusé de répondre à la question préjudicielle telle qu’elle lui avait été formulée par le Conseil d’État. En effet, la notion d’« auteur » est susceptible de porter à confusion en ce qu’elle renvoie au droit d’auteur. Or, le débat ne portait pas sur la possible assimilation d’une société à un auteur, mais sur la « taxation des transactions commerciales » entre la société de l’artiste et la galerie. La Cour relevait également que la réalisation des tableaux des mains de l’artiste britannique ne faisait pas débat. Ainsi, seules les modalités de vente de ceux-ci étaient discutées. La Cour de justice de l’Union européenne reformula ainsi la question de la façon suivante : « la livraison d’objets d’art effectuée par leur auteur ou par ses ayants droit agissant au travers d’une personne morale assujettie à la TVA » peut-elle bénéficier du régime favorable de la TVA sur la marge ?

La vente des peintures de l’artiste au travers de sa société reconnue
Déplaçant le débat pour lequel la juridiction française l’avait saisie, la Cour de justice de l’Union européenne relève que les dispositions de la directive avaient pour objectif « de favoriser l’introduction sur le marché de l’Union de nouveaux objets d’art, qu’ils soient importés dans l’Union ou nouvellement créés sur son territoire, en prévoyant un traitement fiscal favorable pour l’importation de tels objets, pour leur première livraison après création, et pour la première livraison de ces objets par des assujettis-revendeurs. » En outre, la distinction entre une livraison par l’artiste ou sa société reviendrait notamment à s’opposer au principe de neutralité fiscale selon lesquels des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA. Ainsi, la vente d’œuvres d’art, qu’elle se fasse directement par l’artiste ou qu’elle intervienne au travers de sa société est éligible aux règles favorables en matière de TVA.
La Cour de justice de l’Union européenne poursuit son raisonnement en dégageant deux critères destinés à encadrer les situations dans lesquelles les ventes d’œuvres via de telles sociétés peuvent bénéficier de ces dispositions. D’une part, les œuvres d’art doivent être attribuées à l’auteur. Tel est le cas lorsque la personne morale a été fondée par l’auteur « aux fins de la commercialisation des objets d’art [qu’il] a créés (…) dans la mesure où, dans un tel cas de figure, cette livraison a lieu dans le cadre des arrangements que l’auteur ou ses ayants droit ont généralement mis en place aux fins de cette commercialisation ». D’autre part, cette personne morale doit avoir le droit « de disposer dudit objet comme un propriétaire dès sa création ». L’œuvre doit ainsi naître dans le patrimoine de la société et non dans celui de l’artiste. Les autres critères envisagés par le Conseil d’État (détention de tout ou partie du capital social par l’artiste, fonction de gérant de l’artiste, transfert d’une partie substantielle des revenus à l’artiste, etc.) ne sont en revanche pas retenus par les magistrats européens.

Une application à toute vente d’œuvre d’art réalisée par les studios d’artiste ?
Si cette décision concerne l’application spécifique du régime de la TVA sur la marge aux ventes par une galerie d’œuvres réalisées par les artistes ou leurs ayants droit, rien ne semble s’opposer à une application plus large pour toute vente réalisée par les sociétés fondées par des artistes. En effet, la nouvelle fiscalité applicable depuis le 1er janvier 2025 ne limite plus l’application du taux de TVA aux seules livraisons réalisées par l’auteur ou ses ayants droit ou aux importations. Toutes les ventes d’œuvres d’art sont désormais soumises au taux réduit de 5,5 % sur le prix de vente. Les galeries d’art appliquent désormais la plupart du temps ce taux réduit en lieu et place de la TVA sur la marge.

L’exclusion par la Cour de justice de l’Union européenne des modalités de commercialisation invite à reconsidérer la lecture de l’article 98 A de l’Annexe III du Code général des impôts définissant la notion d’œuvre d’art. Seule compte ainsi la réalisation matérielle de l’œuvre par l’artiste ou sous son contrôle, indépendamment du patrimoine au sein duquel elle est affectée à sa création.

Un article écrit par Me Simon Rolin
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