La société d’un artiste peut être considérée comme l’« auteur » d’une œuvre
Article publié le 5 août 2025
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, la livraison des œuvres d’art par une personne morale fondée par l’auteur qui les a créées ou ses ayants droit peut bénéficier du taux réduit prévu spécialement pour les œuvres d’art. Les artistes organisant leur activité avec une société pourront donc désormais vendre leurs œuvres directement par le biais de celle-ci à un taux de TVA de 5,5 %.
Voici une décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui pourrait parachever une révolution du régime de la TVA applicable aux ventes d’œuvres d’art[1]. En effet, après l’entrée en vigueur au 1er janvier 2025 d’un taux réduit à 5,5 % applicable à toutes les ventes des œuvres d’art et aux objets de collection, cette décision affirme que peut être considérée fiscalement comme une œuvre d’art une création qui naît directement dans le patrimoine d’une société.
Jusqu’au 1er janvier 2025, seules les ventes d’œuvres d’art réalisées par l’artiste ou ses ayants droit pouvaient bénéficier d’un taux de TVA réduit de 5,5 %. La vente subséquente par une galerie ou une maison de ventes aux enchères était quant à elle assujettie à la TVA sur la marge. Contraint par la directive du 5 avril 2022 de modifier ce régime, l’État français décidait à la suite d’une mobilisation des galeries et des marchands d’inscrire dans la loi de finance 2023 que toutes les ventes d’œuvres d’art seraient désormais soumises à une TVA au taux réduit de 5,5 %. Les galeries étaient donc invitées à modifier leurs pratiques en appliquant un taux de 5,5% sur le prix de vente des œuvres.
Pour autant, quel que soit le régime envisagé, la création – qu’elle soit un tableau, une sculpture, une photographie ou un multiple – doit être considérée comme une œuvre d’art au sens du droit fiscal. La définition de l’œuvre d’art est prévue à l’article 98 A de l’Annexe III du Code général des impôts, lequel impose que l’œuvre ait été réalisée par l’artiste ou, pour certaines catégories de créations, par ses ayants droit. La jurisprudence, au regard de l’intervention nécessaire de la « main de l’artiste », refusait alors de considérer comme « œuvre d’art » les créations qui étaient mises pour la première fois sur le marché par la société dans laquelle l’artiste exerce son activité[2]. Dès lors, non seulement la vente par cette société était soumise à une TVA à 20 %, mais les autres ventes ne pouvaient également bénéficier des taux spécifiques aux œuvres d’art bien plus intéressants que ceux de droit commun.
C’est dans ce contexte que la galerie Karsten Grève a fait l’objet d’une remise en cause du régime de TVA retenu pour la commercialisation de tableaux de l’artiste Gidéon Rubin. Ces tableaux avaient été acquis en 2014 par la galerie au Royaume-Uni auprès du Studio Rubin Gideon, une société de droit britannique dont l’artiste était l’un des associés. La galerie avait alors appliqué à ces acquisitions intracommunautaires le régime de la marge bénéficiaire.
Ce choix était contesté par l’administration fiscale en France. Selon l’administration fiscale, une œuvre d’art créée par une société ne pouvait être considérée comme telle au sens de l’article 98 A de l’Annexe III du Code général des impôts et ce, même si l’artiste l’avait matériellement réalisée et qu’il était actionnaire de la société. Cette position était confirmée par le Tribunal administratif[3] puis par la Cour administrative de Paris[4] jusqu’à ce que le Conseil d’État interroge la Cour de justice de l’Union européenne afin de savoir si les dispositions européennes en matière de TVA interdisaient à une personne morale d’être regardée fiscalement comme l’« auteur » d’un tableau.
Au sein de son arrêt du 1er août 2025, la Cour de justice de l’Union européenne infirme la position française. Selon les magistrats européens, rien n’interdit qu’un artiste puisse créer et commercialiser ses œuvres au travers d’une société. Et alors que la Cour était invitée à préciser d’éventuelles conditions auxquelles devrait répondre la société (détention de tout ou partie du capital social par l’artiste, fonction de gérant de l’artiste, transfert d’une partie substantielle des revenus à l’artiste, etc.), la juridiction européenne estime que la seule condition est que cette société ait été fondée par l’auteur ou ses ayants droit aux fins de commercialisation des objets que l’auteur a créé.
Si cette décision est susceptible de modifier l’organisation de la production et de la commercialisation de ses œuvres d’art, l’artiste – ou sa société – ainsi que son marchand doivent rester prudents sur le taux de TVA choisi. En effet, la liste limitative des sept mediums considérés sans contestation possible comme des œuvres d’art reste applicable. Toute création ne rentrant pas dans ces définitions est donc soumise à un taux de 20 % lors de ses différentes ventes.
Un article écrit par Me Simon Rolin
Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet.
Dans le cadre de son activité, dédiée au droit du marché de l’art et au droit de l’art, notre Cabinet d’avocats assiste régulièrement des artistes et leur studio dans leurs problématiques fiscales. Le Cabinet travaille également en étroite collaboration avec des experts comptables, des administrateurs et des comptables spécialisés dans ce secteur afin de proposer un accompagnement complet à ses clients.
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[1] CJUE, 4e ch., 1er août 2025, C-433/24
[2] CAA Lyon, 28 déc. 2006, no 04-85-2
[3] TA Paris, 25 nov. 2020, no 1812825/1-3
[4] CAA Paris, 2e ch. 1er juin 2022