Vente aux enchères et perte de chance
Article publié le 26 mai 2025
Lorsque la vente d’une œuvre d’art est judiciairement remise en cause, la logique juridique peut sembler parfois fort étrange pour tout connaisseur du marché de l’art. Si l’acquéreur parvient à démontrer l’inauthenticité de l’œuvre, deux choix s’offrent à lui pour remettre en cause l’acquisition litigieuse. Il peut solliciter la nullité de la vente passée et, en cas de succès de son action, l’acquéreur devra restituer le bien acquis en contrepartie de la restitution à son profit du prix versé au moment de la transaction. Il peut également solliciter la seule mise en jeu de la responsabilité du professionnel et conserver le bien litigieux. En pareille hypothèse, et selon une jurisprudence établie, l’acquéreur percevra une indemnité correspondant à la valeur que l’œuvre aurait dû avoir au jour du jugement si elle avait été authentique, valeur néanmoins diminuée du prix du bien conservé par ses soins. Une décision de la Cour d’appel du 1er avril 2025 offre une illustration de cette seconde hypothèse, à propos d’une table basse faussement attribuée à Diego Giacometti adjugée (hors frais de vente) à 58.000 euros le 24 mai 2016 et pour laquelle l’adjudicataire vient d’être indemnisé à hauteur de 98.080 euros.
La table basse « Têtes de chiens » (circa 1984) avait ainsi été adjugée par Artcurial qui s’était assurée du concours d’un cabinet d’expert pour la description du lot au sein du catalogue. Cette œuvre était présentée comme une variante du modèle de 1963 et bénéficiait d’un certificat de James Lord. Par ailleurs, sa provenance était bien établie, depuis l’acquisition auprès de l’artiste en 1984 avec un passage en vente publique chez Aguttes en 2014 jusqu’au collectionneur privé l’ayant confiée à Artcurial. Après l’adjudication, la table fut proposée à une autre maison de ventes en vue de sa revente. Celle-ci refusa d’inclure l’objet dans l’une de ses vacations en raison de doutes sur son authenticité, doutes confirmés par les ayants droit de l’artiste. L’adjudicataire sollicita alors la remise en cause de la vente passée auprès d’Artcurial.
La juridiction retient ici la responsabilité de la maison de ventes. À ce titre, la Cour considère que la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l’aléa jaugé et ne saurait être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. C’est pourquoi, la Cour fixe cette perte de chance à 80 % au vu du doute sur l’authenticité de la table, « mais également de la présentation de celle-ci comme étant un modèle rare ». Et afin de fixer la valeur d’une table similaire de Diego Giacometti au jour de la décision, la Cour retient un graphique produit pendant les débats présentant une évolution de près de 120% de la cote de l’artiste de 2016 à 2024. Le prix d’achat initial étant de 58.000 euros (hors frais acheteur), la valeur de référence à prendre en considération est donc de 127.600 euros, valeur de laquelle doit être déduite la valeur de la table, « qui ne saurait être inférieure à la somme de 5.000 euros ». Ainsi, selon la Cour, la perte de chance s’élève à la somme de 98.080 euros (80 % x 122.600), soit ici le montant de l’indemnisation devant être perçue par l’adjudicataire.
L’intégralité de l’article est à retrouver dans l’édition française de mai 2025 de The Art Newspaper.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires de justice) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Le Cabinet accompagne également des collectionneurs (acheteurs ou vendeurs) dans la défense de leurs droits. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).