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Le droit de suite en Belgique

Article publié le 6 octobre 2023

À la suite de la célèbre affaire dite de l’Angélus de Jean-François Millet, œuvre ayant fait l’objet d’une vente pour un montant important alors que la famille de l’artiste vivait dans une misère certaine, la France a introduit un droit à rémunération en lien avec les reventes successives d’une œuvre d’art au terme de la loi du 20 mai 1920. Un mécanisme similaire a été introduit en Belgique dès la loi du 25 juin 1921. Si à l’origine, seules les ventes aux enchères publiques étaient concernées, les articles XI.175 à XI.178 du Code de droit économique ont consolidé ce mécanisme et l’ont étendu à l’ensemble des transactions faisant intervenir un professionnel du marché de l’art.

Le droit de suite n’est donc ni une taxe ni une charge sociale. Tout comme les droits de reproduction et de représentation, il s’agit bien d’un attribut patrimonial du droit d’auteur. Mais ces deux dernières prérogatives s’analysent en des droits exclusifs qui permettent au créateur de décider du principe et des modes de diffusion de son œuvre. Ils reposent sur le pouvoir d’autoriser et d’interdire. Cette faculté est absente du droit de suite qui n’est qu’un simple droit à rémunération. Une fois divulguée, l’œuvre suit sa carrière et l’auteur ne peut normalement empêcher la revente du support dans lequel elle est matérialisée. L’ayant droit ne peut même pas fixer l’étendue de la rémunération. Le créateur dispose simplement du droit de percevoir un pourcentage, dont le montant est fixé par le législateur, sur les prix de vente successifs de l’œuvre. La fonction alimentaire du droit de suite est la clé du système. Elle en explique l’existence, les caractères et le régime même si l’ensemble ne paraît pas toujours parfaitement cohérent.

Une harmonisation européenne en matière de droit de suite
Le droit de suite constitue l’une des prérogatives patrimoniales attachées droit d’auteur permettant à l’auteur d’une œuvre, puis à ses héritiers, de percevoir un certain montant lors des reventes successives du support de la création. L’ensemble des éléments inhérents à ce droit a fait l’objet d’une harmonisation par une directive européenne en 2001[1], comprenant notamment sa définition, les œuvres visées, les bénéficiaires de ce droit, les taux, les transactions concernées, ainsi que les débiteurs du paiement de ce droit à rémunération.

Le caractère du droit de suite
Le Code de droit économique précise que le droit de suite est un droit st « inaliénable, auquel il ne peut être renoncé, même de façon anticipée »[2]. La loi de 1921 précisait qu’un tel droit ne pouvait faire l’objet de « toute cession »[3]. À cet égard, le Tribunal de Bruxelles a pu préciser en 2006 qu’une telle « disposition visait à protéger l’auteur des pressions exercées sur lui, à la suite de la vente de son œuvre »[4].
Ainsi, l’auteur dispose, sa vie durant, du bénéfice de ce droit lequel perdure septante années à compter de son décès[5], ce droit étant alors dévolu aux héritiers de l’auteur et autres ayants droit éventuels[6]. Pour autant, la décision précitée précise également que l’auteur peut disposer d’un tel droit par voie testamentaire. 

Les œuvres concernées par le droit de suite
La première condition concerne les œuvres qui constitue le champ d’application d’un tel mécanisme. À cet effet, il est expressément précisé qu’il s’agit des seules « œuvres d’art graphique ou plastique ». Une liste est dressée au sein de l’article XI.175§2 du Code de droit économique[7], précisant que de telles œuvres doivent avoir été exécutées par l’artiste ou avoir été exécutées en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité[8].
Cette liste vise ainsi comme « œuvre d’art originale », les œuvres d’art graphique ou plastique telles que les tableaux, les collages, les peintures, les dessins, les gravures, les estampes, les lithographies, les sculptures, les tapisseries, les céramiques, les verreries et les photographies, pour autant qu'il s’agisse de créations exécutées par l’artiste lui-même ou d’exemplaires considérés comme œuvres d’art originales. À la différence du législateur français, il semblerait que le législateur belge ait choisi de limiter les hypothèses des œuvres concernées par ce mécanisme en ne mobilisant pas un adverbe tel que « notamment » pour étendre le champ des possibles.
Par ailleurs, il est notable de relever que la loi – tout comme la directive européenne – reste silencieuse quant au nombre exact d’exemplaires nécessaire pour l’application de ce droit, notamment lorsque la typologie d’œuvre concernée relève du domaine des arts matriciels. Un auteur belge indique qu’il est en réalité fait application des critères retenus par le droit fiscal français[9], bien qu’en matière de droit de suite il convient de s’intéresser davantage aux dispositions françaises en matière de droit d’auteur plutôt qu’en matière de droit fiscal. L’illustration la plus connue du nombre d’exemplaires considérés comme originaux au titre du droit de suite en matière d’art matriciel est bien évidemment celle des fontes en bronze. Tant en droit belge qu’en droit français, ces fontes en bronze constituent des œuvres originales au sein du droit de suite dans la limite de douze exemplaires, exemplaires commerciaux (numérotés traditionnellement en chiffres arabes) et épreuves d’artistes (numérotés traditionnellement en chiffres romains) confondus[10]. A contrario, la directive européenne octroie une certaine liberté aux États membres s’agissant des manuscrits originaux des écrivains et compositeurs. Dès lors, le législateur belge a fait le choix de ne pas soumettre ces œuvres au bénéfice droit de suite[11]. Une situation similaire existe en France. Sont également exclus du champ d’application du droit de suite les œuvres architecturales et cinématographiques.

Les ventes concernées par le droit de suite
Le droit de suite trouve à s’appliquer en cas de revente d’une œuvre, excluant ainsi de son champ d’application les libéralités (dons et legs), ainsi que la première vente de l’exemplaire de l’œuvre par l’artiste ou ses ayants droit. Cette revente doit faire intervenir en tant que vendeurs, acheteurs ou intermédiaires, des professionnels du marché de l’art. Antérieurement à la transposition de la directive européenne de 2001 en droit belge, seules les reventes d’art au sein d’une vente aux enchères publiques étaient concernées. Dorénavant, les ventes en galerie ou par le biais de courtiers en art sont concernées. En revanche, les ventes directes entre particuliers sans l’intervention d’un professionnel, tel un galeriste ou un marchand, sont exclues du mécanisme.
Enfin, l’application de ce droit est expressément exclue lorsque (i) le vendeur a acquis l’œuvre directement de l’artiste moins de trois ans avant la revente considérée et (ii) que le prix de revente est inférieur à 10.000 euros[12]. Il appartient au vendeur de prouver le respect de telles conditions. Une telle disposition paraît opportune lorsqu’une galerie acquiert directement une œuvre auprès d’un artiste encore peu reconnu et pour lequel elle souhaite promouvoir de manière la plus efficace possible le travail.

Le calcul du montant du droit de suite
Le droit de suite est calculé « sur le prix de revente » du support de l’œuvre concernée. Ce prix de revente s’entend du prix « hors taxe »[13] et ne peut être inférieur à 2.000 euros pour que le mécanisme s’applique.
La Belgique a fait le choix d’un seuil plus élevé qu’en France – où celui-ci est fixé à 750 euros – mais moins élevé que le seuil maximal de 3.000 euros prévu par la directive européenne. Le droit de suite doit être calculé selon les taux dégressifs dans le cas des ventes remplissant les conditions d’application du droit de suite et par tranches. À titre d’exemple, la tranche comprise entre 2.001 euros et 50.000 euros donne lieu à l’application du taux de 4% et au-delà de 500.000 euros, le taux est de 0,25%.
En tout état de cause, le montant total maximal de ce droit est de 12.500 euros pour chaque revente[14].

La centralisation de la perception de ce droit par une plateforme unique
Le législateur belge a institué une plateforme unique ayant vocation à recevoir en permanence (i) les déclarations de reventes des œuvres et (ii) les paiements du droit de suite[15]. Cette plateforme, gérée par des sociétés de gestions collective, est intitulée « resaleright ». Elle veille à être représentative de l’ensemble des titulaires de ce droit et garantit tant une gestion qu’une répartition équitable du droit de suite, que ce droit ait été confié par l’auteur à une société de gestion collective ou non[16]

Qui doit déclarer le droit de suite ?
La loi distingue les débiteurs de ce droit. En ce qui a trait aux ventes aux enchères publiques, le professionnel du marché de l’art, l’officier public et le vendeur sont solidairement tenus de procéder à la notification dans le mois suivant celle-ci sur la plateforme et au paiement des droits dans un délai de deux mois suivant la notification[17].  Lors des autres ventes, le professionnel du marché de l’art et le vendeur sont solidairement tenus à cette notification dans un délai de trois mois à compter de la revente[18] puis également de deux mois suivant la notification. La notification doit comporter un certain nombre d’indications, comprenant les données d’identification du professionnel du marché de l’art, le titre de l’œuvre d’art, le nom de l’auteur et si possible sa nationalité, la date de la revente, l’indication du cas d’exclusion éventuel ainsi que le prix de vente hors TVA.

Qui doit payer le droit de suite ?
Si le responsable du paiement est le professionnel qui intervient dans une transaction, comme une maison de ventes, la loi prévoit que par principe ce droit est « dû à l’auteur par le vendeur ». Néanmoins, il est notable de relever que la jurisprudence européenne a introduit, en 2015, la possibilité pour les États membres d’aménager conventionnellement la charge du droit de suite[19] et de permettre ainsi aux maisons de ventes de faire peser la charge du droit de suite non plus sur le vendeur mais sur l’acheteur.

L’auteur dispose d’un délai de cinq ans à compter de la revente de son œuvre pour agir en paiement de son droit de suite. À l’expiration de ce délai, les droits n’ayant pu être reversés sont répartis entre les auteurs et ayants droit[20].

Ainsi, le droit de suite belge est sensiblement similaire au droit de suite français, notamment en raison de l’harmonisation de la directive européenne. Le régime applicable diffère par la mise en place d’une plateforme dédiée en Belgique, permettant la centralisation des notifications et, corrélativement, du paiement du droit de suite aux auteurs ou aux ses ayants droit, assurant une meilleure gestion et rémunération des auteurs.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet
& Me Adélie Denambride, Avocat à la Cour et Collaboratrice du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires de justice) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Le Cabinet accompagne également des collectionneurs (acheteurs ou vendeurs) dans la défense de leurs droits.
Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

À titre d’illustration, notre Cabinet d’Avocats a accompagné une succession d’un artiste majeur du XXe siècle dans le recouvrement des sommes qui lui étaient dues par des maisons de ventes et galeries au titre du droit de suite.

[1] Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale.
[2] Code droit économique, article XI. 175§1.
[3] Loi frappant d’un droit les ventes publiques d’œuvres d’art au profit des artistes, auteurs des œuvres vendues, 25 juin 1921, article 1er.
[4] Trib. Bruxelles (24e ch.), 19 mai 2006, A.R. nr. 04/11559/A.
[5] Code de droit économique, article XI.166 §1.
[6] Code de droit économique, article XI.175 §4.
[7] Comprenant « les tableaux, les collages, les peintures, les dessins, les gravures, les estampes, les lithographies, les sculptures, les tapisseries, les céramiques, les verreries et les photographies ».
[8] Lesquels sont « en principe numérotés ou signés, ou dûment autorisés d’une autre manière par l’artiste ».
[9] A. Berenboom, « Chapitre 3. - Quels sont les droits des auteurs ? » in Le nouveau droit d’auteur, 5e édition, Bruxelles, Larcier, 2022, p. 277.
[10] Code de la propriété intellectuelle, article R.122-3, c).
[11] Ch. des représentants de Belgique, Projet de loi transposant en droit belge la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 sept. 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre originale, 4 mai 2006, article 3, p. 6.
[12] Code de droit économique, article XI.175 §2. Une telle exception figure également en droit français (Code de la propriété intellectuelle, article L. 122-8, premier alinéa).
[13] Code de droit économique, article XI.175 §1er.
[14] Code de droit économique, article XI.176.
[15] Code de droit économique, article XI. 177 ; Arrêté royal fixant les conditions et les modalités de gestion du droit de suite visée aux articles XI.177 et XI.178 du Code de droit économique du 11 juin 2015, article 1.
[16] Arrêté précité, articles 2 et 3.
[17] Code de droit économique, article XI.178§1.
[18] Arrêté précité, article 3.
[19] CJUE, ch. 4e, 26 févr. 2015, aff. C-41/14.
[20] Code de droit économique, article XI.178 §3.